Société
Géraldine Savary: «Il pleut des hallebardes sur notre été»
Il pleut. Semaine après semaine, on consulte le bulletin météo et nos vies se couvrent de nuages et d’humidité. Presque chaque matin, au moment de partir au travail, je vois des trombes d’eau qui s’écrasent sur le petit monde des pendulaires fuyant vers leur train. Les gens à vélo avancent aveugles et trempés, les passants ont les pantalons collés aux cuisses, on devine la peau.
À la gare, il y a aussi des enfants qui partent en course d’école avec des maîtresses à l’air sombre. M’est revenue, en marchant sous mon parapluie, l’odeur de ces journées où nous allions en visite à Lucerne au Musée des transports. Les sandwichs dans le sac à dos étaient tout mous, même les chips Zweifel gisaient au fond du paquet, dans le bus, ça sentait la laine mouillée.
C’est aussi en juin qu’on se marie. Bien sûr, on se rassure avec le proverbe, mariage pluvieux mariage heureux mais dans les faits, c’est quand même triste de s’unir sous un ciel gris, à sourire aux invité-e-s avec la robe blanche qui traîne dans les flaques.
Réseau électrique arraché
En juin encore, on organise les anniversaires des grands-parents, les apéros de boîte, on court à la fan zone soutenir la Nati, les festivals pour retrouver les ami-e-s, un peu de culture, beaucoup de bières, ces dernières finançant la première. Tous ces moments de la vie qui marquent à vie sont suspendus aux humeurs du ciel. Même les merles sont muets cette année, l’avez-vous remarqué?
Mieux vaut la pluie que les bombes, vous me direz. Mais la pluie tue aussi. Dans les Grisons endeuillés par la disparition de trois des leurs sous les flots. La pluie détruit des maisons aimées, parfois héritées de génération en génération, elle isole des vallées, telle la commune d’Anniviers qui a vu la rivière sortir de son lit. La population de Zinal a été privée d’eau, le réseau électrique arraché à plusieurs endroits. Genève ou Morges ont été victimes d’inondations, l’aéroport provisoirement fermé.
Des spécialistes nous disent que notre mémoire, réchauffée par les températures de ces dernières années, a oublié à quel point juin pouvait être capricieux. On pourrait se contenter de cette explication. Mais peut-être qu’enfin, il serait temps de s’inquiéter pour de vrai de ces dérèglements de saison. Car la planète est précieuse aussi parce qu’elle permet aux humains de collectionner les instants précieux.
Retrouvez cet édito dans le magazine Femina du 30 juin 2024.
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