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Les femmes figurant sur les photos tirées de «Flux. Regards par-dessus la frontière» (Ed. Infolio) ne sont pas celles qui témoignent dans ce dossier.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 550 000 déplacements quotidiens aux frontières du canton de Genève: 275 600 déplacements entrants par jour. 67%d’entre eux se font dans le sens France-Suisse, 33% de la Suisse vers la France (18% à Coppet, Nyon et Rolle, et 15% dans le reste de la Suisse romande). Pour Frédéric Bessat, chef de l’antenne France du Projet d’agglomération franco-valdo-genevois – qui vient d’être rebaptisé Grand Genève –, le frontalier est «un actif nécessaire! Une partie intégrante et constitutive d’une agglomération, une évolution naturelle de ce phénomène urbain qu’est le Grand Genève. Une main-d’œuvre active qui contribue à près d’un tiers du PIB suisse!» La tendance, déjà massive, va encore s’accentuer ces prochaines décennies. Ainsi, si les 265 communes du Grand Genève comptent aujourd’hui 890 000 habitants, ces derniers seront un million en 2020!

Le défi est de taille. Il s’agit de donner vie à une agglomération transfrontalière franco-suisse. Souvent critiqués, montrés du doigt voire moqués, les frontaliers vivent plus ou moins bien leur statut hybride. Certains en retirent de la fierté, d’autres de la honte, d’autres encore de la culpabilité. Les hommes, majoritaires dans la statistique, vont à l’essentiel et tentent de ne percevoir que les avantages de ce mode de vie.

Pour les femmes, la chose est plus complexe. Même lorsqu’elles parcourent une centaine de kilomètres par jour, elles pensent encore courses, enfants, docteurs, devoirs, nounous… Le cliché n’est pas obsolète! Beaucoup de frontalières travaillant à temps partiel. A elles, donc, le devoir impérieux de rentrer à l’heure et d’honorer les tâches familiales. Ce sont ces femmes qui nous ont intéressés dans ce dossier. Comment font-elles pour… tout faire? Quelle image ont-elles de leur statut? Font-elles les courses en Suisse ou en France? Et la consultation médicale, elle se fait de quel côté? Sans parler des horaires d’école, lorsqu’elles sont mamans…

Presque une double vie

Pragmatiques, les frontalières «pendulent» avant tout pour leur travail, mais aussi pour les loisirs, la consommation, le sport, la médecine. Et toutes de citer leurs petites habitudes d’un côté et de l’autre, l’attachement à un produit, une boutique: «Mon fils adore les saucisses chez Manor à Chavannes-de-Bogis», explique Estelle, qui roule entre Gex et Meyrin. «Moi, j’achète mes chocolats de Pâques à Lausanne, car j’y trouve des lapins miniatures», poursuit Sylvie, qui transite entre Armoy et Genève.

Elles remplissent donc leur réfrigérateur en France et chinent des vêtements en Suisse durant la pause déjeuner. Pour le reste, le choix se fait sans tenir compte de la frontière. Ce qui détermine que l’on aille au cinéma, au restaurant, voir une expo ou faire du sport, ce sont les amis et les occasions. Pas la couleur du drapeau. «C’est un mode de vie, tranche Chantal, flamboyante frontalière du Pays de Gex. On est faite pour ou pas!»

Et pour s’intégrer, il faut d’abord éviter l’écueil du «parler français». Car si la langue est commune, la culture ne l’est pas, et certaines frontalières ne le perçoivent pas. «Le frontalier travaille à l’étranger, souligne Jean-François Besson, secrétaire général du Groupement transfrontalier européen. La Suisse n’est pas une province française, c’est un pays avec une organisation, des règles, une structure qu’il faut faire l’effort de connaître si on veut y travailler et y réussir.» Pour Marie-Laure, assistante de direction et usagère quotidienne du TER entre Culoz (Ain) et Genève-Cornavin, «il y a une différence de démarche entre les gens intégrés, qui vivent ici depuis toujours, et ceux qui sont venus à Genève juste pour travailler et gagner de l’argent.»

Il y aurait donc frontalier et frontalier. «Oui, avance Chantal, la frontalière du Pays de Gex. Nous, nous dépensons et sortons en Suisse. Il y a une manière de se comporter, de respecter le pays où l’on travaille. Certains Français critiquent trop ouvertement, ne viennent que travailler à Genève, sans y dépenser un centime, et le revendiquent fort.» Trop fort? Stigmatisées, les frontalières oscillent entre lassitude et discrétion: «J’ai eu honte d’être frontalière quand je suis arrivée à Genève il y a dix ans, poursuit Chantal. Nous sommes sous-payées et déconsidérées en Suisse.» Il faut donc louvoyer et ne pas trop se positionner. Rester dans l’entre-deux et accepter, en sus, d’être aussi critiqué en France. Le regard qui y est porté sur ces «profiteurs» est rude: «J’entends toujours les mêmes remarques, avoue Sandra. Certes, je gagne bien ma vie. Mieux que si je travaillais en France. Mais ceux qui critiquent ne sont pas forcément prêts à accepter nos contraintes, nos horaires, nos trajets et notre organisation singulière.»

Un quotidien mouvementé

Si elles acceptent quolibets et véritables menaces, c’est surtout parce qu’elles aiment leur travail. Leurs compétences y sont reconnues, même si elles n’ont pas toujours droit à l’égalité salariale. Les frontaliers, hommes et femmes, sont tout simplement des gens professionnels, flexibles et caméléons. «Je dis volontiers que je suis bilingue, relève Laeticia, qui parcourt 140 kilomètres par jour entre son domicile français et Lausanne. Quand je passe la frontière, je change de monnaie, d’accent, de vocabulaire.» Et la couleur du passeport, qu’on ne montre même plus à la douane, n’a pas d’importance. «Nous parlons peu de nos nationalités respectives, confirme Estelle. Ce n’est pas ce qui compte.»

Connaître la nationalité de l’autre dans une région globalisée n’a ainsi plus de sens. Elles préfèrent rire de leur quotidien, s’adonner à l’autodérision, se raconter des anecdotes. Devenues maîtresses ès frontières, elles s’unissent, sont solidaires et souffrent en silence lorsqu’une galère se présente. Parce que les couacs sont fréquents. «Si je fais de longs trajets, c’est parce que je ne peux pas me loger à Genève et alentour, relève Marie-Laure, l’assistante de direction usagère quotidienne du TER entre Culoz (Ain) et Genève-Cornavin. Du coup, le problème fondamental du frontalier, c’est le manque de fiabilité de la SNCF. Grèves, menaces d’intempéries, suppression d’arrêts et de trains aux heures de pointe sans explications pour éviter d’augmenter les statistiques de retards…Tout est combat. Il faut sans cesse être sur le qui-vive, tout vérifier. Pour ceux qui pointent ou ouvrent un magasin, c’est l’enfer. Si le train était plus régulier, ce serait le paradis, parce que mon boulot me plaît.»

«Flux. Regards par-dessus la frontière», Collectif, Editions Infolio. Photos: Laurence Bonvin, Michel Delaunay, Julie Langenegger, Loan Nguyen, Pierre Vallet. Textes: Denis de Rougemont, Bernard Debarbieux, Blaise Hofmann et Joëlle Kuntz.

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