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Et si les enfants ne naissaient pas tous d’une histoire d’amour, mais aussi d’une belle amitié? Le scénario peut faire écarquiller les yeux. C’est pourtant devenu le choix de nombreuses personnes tentées par la maternité ou la paternité et décidées à faire l’impasse sur le lien, traditionnellement présenté comme évident, entre sentiments amoureux et procréation. Puisque les relations amoureuses durent de moins en moins longtemps et que le schéma classique de la famille papa-maman-enfants n’offre plus aucune garantie tous risques face à l’avenir, pourquoi faudrait-il se coltiner un conjoint dans le seul but de devenir parent? Attention cependant: l’idée n’est pas ici de se contenter de dégoter un géniteur, mais bien un second parent, prêt à assumer pleinement son rôle – tout en vivant bien sagement de son côté.

Dérobée aux couples homosexuels, cette solution dite de la coparentalité séduit de plus en plus d’hétéros en manque de progéniture. Une tendance clairement soulignée par les chiffres. Créateur de co-parents.fr, plateforme promettant non pas de trouver l’amour de sa vie mais bien le père ou la mère de ses futurs enfants, Franz Sof nous confirme l’intérêt des hétéros pour cette nouvelle façon de faire famille: «Lors du lancement en 2008, 50% des inscrits étaient des homosexuels. Aujourd’hui, 70% de nos membres sont hétérosexuels.»

Une alliance pragmatique

Et si le site compte une majorité de femmes (environ les deux tiers), les profils se révèlent éminemment variés. Parmi les 20 000 membres du site (dont 450 en Suisse), on croise en effet des célibataires endurcis dont le rêve le plus cher est de devenir papa, des amoureuses esseulées ayant enchaîné les peines de cœur, ou encore des divorcés ne voulant pas renoncer à leur désir d’être parent, tout comme ces homosexuels, en couple ou en solo, ne se résignant pas à leur sort infécond.

Sans détour, la coparentalité s’affiche donc comme l’alliance pragmatique de deux désirs d’enfant contrariés. Le contrat se veut clair. Dès le départ, ces néofamilles se construisent sur le modèle de la garde partagée, celle que pratiquent tant de divorcés, les tensions (et frictions) amoureuses en moins. La différence, d’un cas à l’autre, porte moins sur le «comment» que sur le «pourquoi». Si pour certains la formule «l’enfant, pas le couple» est un choix clairement porté par un désir d’indépendance (c’est le cas surtout du côté des hommes, nous confie le concepteur du site), pour la majorité cette pratique apparaît plutôt comme la solution de secours après avoir échoué à trouver chaussure à son pied. «Les femmes hétérosexuelles seules ont du mal à faire le deuil d’un père et préfèrent la coparentalité au don de sperme», analyse Franz Sof. «Cela sûrement aussi pour des raisons pratiques, présume-t-il. Parce que élever un enfant seul n’est pas facile.»

Etre parent pour de vrai

Ce nouveau concept parental porte déjà ses fruits. Depuis sa création en 2008, le site co-parents.fr annonce la naissance de «plus de 500 enfants dans le monde». Et son fondateur en témoigne, non sans une fierté toute personnelle: «J’ai créé ce site dans le but de trouver une coparente. Depuis, j’ai deux enfants, nés en 2009 et 2011.» Comme il le dit ensuite, l’homme n’a pas pu réellement «profiter» de son site puisque, «finalement, ce sont deux amies proches qui se sont lancées dans l’aventure avec moi. Nous avons procédé à une insémination artisanale, à l’aide d’une seringue: ça fonctionne très bien!»

Et aujourd’hui? «Tout se passe vraiment très bien. Quand on a ses enfants la moitié du temps, on a envie de se consacrer pleinement à eux.» Si, sur la plateforme, la grande majorité souhaite vivre réellement conjointement sa future parentalité, certains proposent cependant de s’adapter aux souhaits de l’autre parent – soit pour les pères de s’effacer et pour les mères d’assumer seules l’avenir du bambin. C’est selon. L’avantage restant que l’enfant connaîtra tout de même ses origines.

La coparentalité n’a en effet pas forcément besoin de passer par la case internet. Parfois, il suffit que deux amis proches partagent le même désir pour que ce projet d’enfant puisse se concrétiser. «La famille, ce n’est plus une institution, note Michel Fize, chercheur au CNRS. C’est un réseau. Un réseau d’individus qui se forme, se déforme et se reforme en fonction des intérêts des conjoints.»

«La famille est entrée dans l’ère du sur-mesure, poursuit le sociologue. On est sorti du modèle imposé du prêt-à-porter, soit le modèle familial unique avec la femme, l’homme, les enfants nés du mariage, le tout sous la bénédiction de l’Eglise. Aujourd’hui, on n’en finit pas d’aller vers de nouvelles formes de vie familiale.»

Cette nouvelle pratique n’en inquiète pas moins la psychologue Anne Jeger: «La prise de risque est importante, quand je lis les annonces et vois que certains futurs coparents potentiels se connaissent à peine. La coparentalité se construit et ne s’improvise pas. Il va falloir élever cet enfant sur plusieurs années. Quels moyens se donnent-ils pour que ce couple parental fonctionne?»

Du côté de la loi, cependant, rien ne vient contester ce type de procédé, tant qu’il est «naturel» – entendez par là: qu’il ne nécessite pas d’assistance médicale à la procréation. Ce dont l’ancien conseiller national Jacques Neyrinck (PDC/VD) se réjouit: «Ça ne regarde pas l’Etat de savoir qui couche avec qui. Si on devait légiférer sur tout, ce serait la catastrophe!»

Gare à l’enfant doudou

Le politique avoue d’ailleurs n’être aucunement choqué par cette pratique: «Ce qui est inquiétant, c’est un enfant qui est abandonné. Que les parents biologiques aient couché ou non n’a aucune importance.» Il poursuit en admettant cependant que, s’il était question de légiférer sur la question, l’idée ne passerait jamais la rampe: «La législation suisse est très en retard. Elle essaie de défendre un modèle standard qui veut que le père et la mère biologiques soient mariés et ne divorcent jamais. Mais ce n’est absolument plus la situation actuelle.»

Certes, la loi a le devoir de veiller au bien-être des enfants. Mais, comme le précise Michel Fize, «quelle que soit la manière de faire couple, les principes fondamentaux vis-à-vis des enfants restent les mêmes: on doit les protéger, les éduquer, leur donner des valeurs pour les construire le mieux possible comme de futurs citoyens. Cela ne change pas.» Quant au côté insécurisant de la chose, le chercheur rappelle combien aujourd’hui «toutes les familles sont plus ou moins précaires. Le mariage n’est plus un CDI comme autrefois, mais bien un CDD.» Un des arguments en faveur de ces «familles artificielles» trouve d’ailleurs son ancrage dans la souffrance éprouvée par tant d’enfants pris en étau lors de la séparation, voire littéralement broyés dans les fracas de la rupture amoureuse de leurs parents.


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L’absence de lien amoureux entre les parents éviterait donc ces tensions nauséabondes? «Pas sûr, rétorque la psychologue. Il se peut qu’au bout du compte les coparents ne s’entendent pas, et que cela génère des conflits. Les affects ne seront alors pas dirigés sur le partenaire, mais essentiellement sur l’enfant: cet enfant-là, il est à moi!» La question de la place accordée à l’enfant dans de telles configurations apparaît dès lors essentielle. «Il est important que l’enfant ait une place d’enfant, poursuit la spécialiste, et non celle d’un doudou qu’on se passe.»

Pour Michel Fize, là se pose la responsabilité des adultes: «Il faut être vigilant et toujours avoir à l’esprit l’intérêt de l’enfant. Quelle que soit la forme de vie familiale, il faut s’interroger sur les raisons d’enfanter. Faire un enfant pour se faire plaisir, donner un sens à sa vie ou mieux la supporter, n’est jamais le meilleur argument pour avoir un enfant.» Or, comme le précise la psychologue, «le désir d’enfant est important aujourd’hui, comme si on misait tout sur lui».

Individualistes... ensemble!

Une assertion qu’atteste pleinement le sociologue: «Dans des sociétés en crise comme les nôtres, l’enfant demeure la dernière valeur sûre, le dernier univers sur lequel on a encore prise, alors que partout ailleurs on ne décide plus grand-chose.» Le risque étant que les parents développent quelque chose de l’ordre de la propriété, comme cela arrive aussi dans nombre de familles traditionnelles.

Ce qui interpelle également le sociologue, c’est le côté utilitaire des relations humaines. «Cette pratique prouve combien nous sommes dans une société foncièrement individualiste, où les individus raisonnent en fonction de leurs intérêts propres», commente-t-il. «En gros, la philosophie de notre génération, c’est: les autres oui, mais seulement s’ils me sont utiles.»

La famille serait-elle donc une espèce en voie d’extinction? «Elle devient plurielle, mais ne disparaîtra pas, nous certifie le sociologue. Le besoin de regroupement et de rassemblement reste très fort. Prenez Nuit Debout. C’est aussi une résistance de l’individu face à la grande solitude quotidienne. On se met ensemble pour ne pas rester seul. L’idée familiale restera à coup sûr une idée forte.»

Ce qu’en dit la loi

La législation suisse interdit le recours aux mères porteuses, ainsi que le don d’ovocytes ou d’embryons en vue d’une procréation médicalement assistée. Le don de sperme, lui, est légal. Quant à l’insémination artisanale, rien n’est prévu la concernant. Ainsi, tout enfant né hors mariage est considéré sur le même plan, qu’il soit le fruit d’une relation amoureuse, d’un deal entre couples homosexuels, le résultat d’un «coup d’un soir» ou la concrétisation d’un projet de coparentalité. Dans tous ces cas, l’enfant portera le nom de sa mère biologique. Si le père reconnaît l’enfant (ou si le lien de filiation est constaté par décision de justice), l’autorité conjointe sera admise. Dans le cas contraire, celle-ci sera exclusivement exercée par la mère (cf. art 298a du Code civil).

Nos témoignages

Samir*, 50 ans, divorcé «J’ai déjà un enfant, une fille de 14 ans, mais elle vit au Danemark, avec sa mère. Je ne la vois donc que pendant les vacances. Le reste du temps, je suis seul. J’ai un désir profond d’avoir un autre enfant et d’être un vrai père: pratiquer la paternité, transmettre l’héritage génétique, les connaissances, les valeurs… Peut-être encore plus parce que ma famille est loin. Elle est restée en Irak. Je suis arrivé seul en Suisse il y a vingt ans pour faire mes études. Je devais rentrer, mais il y a eu la guerre… Je n’ai pas eu d’autre choix que de rester ici. J’ai eu plusieurs relations. Malheureusement, aucune n’a abouti à la fondation d’un foyer, d’une famille. Un ami m’a parlé de ce site, et je m’y suis inscrit il y a quelques mois.

Mon envie est de trouver d’abord une femme qui partage le même désir. Pour parler, discuter, voir les affinités et comment est-ce qu’on pourrait s’organiser… Je suis prêt à la coparentalité, à «partager l’enfant», mais à condition d’être sûr de la personne. Avoir un enfant est une grande responsabilité. Il ne s’agit pas juste de l’enfanter, mais aussi de s’en occuper sur la durée, le protéger, le rendre heureux. En même temps, je l’avoue, mon idéal serait de rencontrer une femme pour fonder une vraie famille. Ce site n’est pas un site de rencontre, certes. Mais sa force est peut-être de relier des personnes qui ont pour première envie commune celle d’avoir un enfant. Et c’est là le lien le plus fort qui puisse unir deux êtres.»

Céline*, 38 ans, célibataire «J’ai grandi avec des parents divorcés, longtemps en conflit. Je n’ai jamais cru à l’amour éternel, mais j’ai quand même tenté ma chance, comme on dit. Après plusieurs histoires mal finies, j’ai décidé de rester seule. Je suis bien comme ça, j’ai plein d’amis, un boulot prenant, une vie active. Par contre, je ne voulais pas me résigner à ne jamais devenir mère. Ce n’est pas possible: j’ai trop d’amour à donner.

Un de mes meilleurs amis est homosexuel, nous avons longtemps évoqué la possibilité de donner naissance à un enfant ensemble, et de nous en occuper conjointement. Nous en parlions souvent. Mais voilà, il s’est mis en couple et son copain refusait catégoriquement cette idée. Cela a évidemment fini par un gros clash.

Je me suis inscrite sur ce site il y a quatre ans, et je suis la mère d’un petit bout de 2 ans et demi. J’ai mis un certain temps à trouver un coparent sur la même longueur d’onde que moi, avec qui pouvoir aussi créer un vrai lien d’amitié. Aujourd’hui, notre quotidien est bien rodé, même si je ne suis pas encore prête à lui laisser la garde à mi-temps: notre fils est encore trop petit, à mon sens. Par contre, je commence à envisager d’avoir un second enfant. Mais lui pas. Je me suis donc réinscrite pour trouver un deuxième papa. Je ne sais pas encore ce que je vais faire: tout dépendra des rencontres qui auront lieu! J’ai deux rendez-vous prévus prochainement. A suivre, donc!»

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