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Enquête: pourquoi les Millennials divorcent moins?

Pourquoi millenials divorcent moins

Les moins de 45 ans ont trouvé un nouveau moyen de se rebeller contre leurs aînés: ils restent mariés.

© Savs / Unsplash

Divorcer? C’est soooo 2005. Presque aussi ringard que la tecktonik ou le lecteur MP3. De nos jours, pour un couple marié, le trend, c’est de ne pas se quitter. De l’Amérique à l’Asie, de l’Afrique subsaharienne à la Scandinavie en passant par l’Hexagone et nos contrées helvètes, les chiffres sont clairs: les époux ont de moins en moins tendance à jeter leurs alliances.

En Suisse, alors que le nombre de mariages célébrés tous les ans est relativement stable depuis deux décennies, celui des dissolutions d’unions est en baisse depuis le milieu des années 2000: 21 330 en 2005, contre 15 900 en 2017, soit près d’un tiers de moins, selon l’Office fédéral de la statistique. Même phénomène en France où, selon plusieurs rapports de l’INSEE, qui tient les statistiques nationales, on enregistre une nette perte de vitesse de la divortialité au cours des dernières années.

Changement de mentalités

Quant aux États-Unis, le taux de démariages y a chuté de 18% entre 2008 et 2016, soulignent les auteurs d’une étude sur la question réalisée par l’Université du Maryland, alors que, là encore, la cadence des unions est stable. Une évolution notamment due aux jeunes générations. «Les moins de 45 ans ont trouvé un nouveau moyen de se rebeller contre leurs aînés: ils restent mariés», lançait un article de l’agence de presse Bloomberg en septembre dernier.

Il avait pourtant la carapace épaisse, le mythe de l’explosion irrépressible des divorces. On croyait les ruptures en folle ascension, atteignant des altitudes toujours plus stratosphériques. Certes, depuis les sixties, la courbe des désunions a été longtemps en pente ascendante dans la plupart des pays occidentaux, mais le vent a tourné.

On n’improvise plus

Faut-il en déduire que les couples qui s’unissent sont devenus plus solides que par le passé? C’est fort possible, relève Laura Bernardi, professeur de sociologie et membre du pôle de recherche national LIVES à l’Université de Lausanne.

«Une partie de cette baisse de la divortialité s’explique sûrement par la plus grande sélectivité des mariages actuels. Ceux qui décident de se marier aujourd’hui le font dans des conditions différentes d’il y a 30 ans. Avant de se passer la bague au doigt, les tourtereaux ont souvent vécu une période de cohabitation, soit une phase de test. Lorsque le duo s’avère incompatible, il se brise fréquemment avant qu’une demande en mariage survienne.»

Des noces plus sélectives

Une lecture identique est faite outre-Atlantique. Dans l’étude qu’il cosigne sur le sujet, Philip Cohen, professeur de sociologie à l’Université du Maryland, note ainsi que les millennials seraient plus exigeants dans le choix de la personne avec laquelle ils échangent les alliances. Contrairement aux baby-boomers, qui se mariaient assez jeunes, les nouvelles générations préfèrent attendre un peu. Leur oui résulterait alors d’une réflexion plus longue, plus mûre.

«S’ils ont autant de temps pour dénicher l’élu(e), c’est aussi parce qu’ils ressentent moins l’injonction sociale de se marier dès qu’ils sont dans une relation sérieuse, relève la psychologue et sexologue Marie-Hélène Stauffacher. Auparavant, on s’unissait pour se conformer à des attentes sociales, quitte à enchaîner trop vite les étapes. Ceux qui se marient actuellement le font réellement parce qu’ils le désirent.»

En attendant The One

Par ailleurs, les allergiques à l’engagement ad vitam aeternam ont plus de facilités à assumer leur vision du couple, ajoute Laura Bernardi, puisqu’«il existe une pluralisation des modèles tolérés par la société». Conséquence de cette période de décantation des partenaires, l’âge moyen du premier mariage en Suisse est d’environ 30 ans. Il se situait plutôt autour des 25 ans en 1970.

Les sites de rencontre produiraient des mariages plus solides

«Pendant longtemps, je n’ai pas voulu entendre parler de mariage, témoigne Emilio, jeune trentenaire neuchâtelois. Toute la symbolique kitsch qu’il y avait autour, ça me faisait fuir. Je préférais vivre en concubinage. Peut-être aussi parce que je ne sentais pas que j’avais rencontré le grand amour qui me donnerait envie de passer une telle étape. Un jour, sans rien avoir vu venir, j’ai trouvé celle qui a changé mon état d’esprit. Je lui ai demandé sa main au bout de deux ans car, là, j’étais certain, je n’avais aucun doute, c’était ce que je voulais, avec elle. A la grande surprise de mes proches, on m’a donc mis la bague au doigt à 33 ans.»

Résistance aux tensions

Reste que pour espérer atteindre les noces de saphir, d’argent, voire d’or, trouver The One ne suffit pas. Encore faut-il vouloir et faire en sorte que ça dure. Et ça tombe bien, une partie des millennials a fortement revalorisé le concept d’engagement pour la vie. «On assiste à un revival de valeurs plus traditionnelles, analyse Marie-Hélène Stauffacher, qui remet au centre l’amour éternel avec un grand A. Ce climat redonne ses lettres de noblesse à la fidélité, à l’effort au quotidien pour entretenir la relation.» Ouf, on ne divorce donc plus sur un coin de table à la première difficulté.

«Il y a quinze ans, il suffisait parfois d’un seul gros conflit pour mener une union à l’éclatement, se rappelle la psychologue. Je constate lors de mes consultations que les couples de maintenant n’ont plus envie de se séparer au moindre problème, surtout les moins de 40 ans. Chez eux, d’ailleurs, je vois désormais moins de familles recomposées que par le passé.»

Pas d'amoureux en laisse

Pourtant, les couples d’aujourd’hui ne font pas que piocher dans la panoplie sentimentale de leurs aînés. La solidité un peu plus marquée des mariages est peut-être due à un alliage subtil entre certains idéaux d’autrefois et une modernité dans la dynamique du couple. À commencer par la cuisine, ou le ménage, qui tendent de plus en plus à se réaliser à quatre mains. «En effet, parmi les générations plus jeunes, les couples qui ont un partage plus égalitaire des tâches domestiques se séparent moins», estime Laura Bernardi.

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Autre paramètre conjugal pouvant expliquer la baisse des divorces: une liberté plus grande accordée au conjoint, susceptible de diminuer le sentiment de frustration individuelle et d’éloigner cette image de prison que véhiculait souvent le mariage naguère. Mariés depuis 10 ans, Madeleine et Sylvain ont l’habitude de lâcher la bride de temps en temps:

«Mon épouse adore voyager, moi beaucoup moins, et puis mon travail me limite dans le choix des congés. Elle part donc plusieurs fois par an en week-end avec ma sœur ou des copines. De mon côté, je n’hésite pas à passer des soirées juste avec mes amis. Cette flexibilité et cette tolérance vis-à-vis de nos activités perso nous font du bien et on vit régulièrement cette excitation de se retrouver après des jours d’absence.»

Près des yeux, loin du cœur

Pour Marie-Hélène Stauffacher, fonctionner avec un je et un tu autonomes serait ainsi idéal. «Je pense qu’on a acquis un côté plus positif dans la conception du couple. Chacun est moins dépendant de l’autre, moins obligé de limiter ses projets. Aux USA par exemple, il est courant de laisser le partenaire partir quelque part deux ou trois jours par mois afin qu’il voyage, sorte entre amis ou visite sa famille. C’est évidemment une histoire de confiance, cela exige une maturité dans la relation.» Des couples contemporains mieux armés pour durer, peut-être. Attention toutefois à ne pas en déduire que, dans cette baisse des divorces, un duo encore marié est forcément un duo encore amoureux.

«Après 5 années de mariage, mon mari et moi avons décidé de stopper notre relation d’un commun accord. Nos deux modes de vie n’étaient plus compatibles. Cependant, comme nos rapports étaient toujours très cordiaux, pour ne pas dire amicaux, nous ne voyions pas l’intérêt de divorcer. Nous avons discuté ensemble de la manière selon laquelle nous allions partager nos biens, puis sommes restés séparés et mariés durant 10 ans. C’est seulement lorsque mon ex a voulu retirer son second pilier, dans la perspective d’acheter un appartement, que nous avons fini par divorcer.»

Partir sans formalités

Un cas isolé? Pas vraiment. «On observe un phénomène assez nouveau, qui consiste à rester mariés après s’être séparés, éclaire Nicolas Favez, professeur en psychologie clinique à l’Université de Genève et chef du Centre d’étude de la famille de l’Université de Lausanne. De plus en plus de couples le font, voire restent vivre sous le même toit après avoir acté leur rupture.»

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Pourquoi ce refus de passer par la case divorce, qui semble pourtant assez logique? «Il y a une tendance générale à des séparations amoureuses plus apaisées, moins conflictuelles que par le passé, explique le professeur de psychologie. Dans ces conditions, les conjoints se disent que, finalement, il n’y a pas tellement besoin de se lancer dans les démarches pour liquider le régime matrimonial.»

Trop cher pour moi

D’autant plus compréhensible que divorcer se fait moins rapidement qu’auparavant, rappelle Marie-Hélène Stauffacher. «De nos jours, c’est devenu plus compliqué, plus long, plus cher. Les gens se posent davantage de questions avant de sauter le pas. Sans parler du coût matériel, familial, affectif… au fond, réfléchissent-ils, est-ce que ça en vaut vraiment la peine?» En Suisse, un divorce coûte 3000 francs minimum, évaluait récemment le magazine Bilan, et ce même quand les deux ex font preuve de la meilleure volonté du monde.

Et dès que les partenaires se querellent, c’est aussitôt 10 000 francs au minimum pour liquider l’affaire. «Je ne pense toutefois pas, en tout cas pour la Suisse, que l’argument financier soit l’explication principale de la baisse des divorces, diagnostique Nicolas Favez. Le mariage en soi n’est pas le régime le plus économique et les couples le choisissent souvent en connaissance de cause.» A quelques jours de la Saint-Valentin, on peut alors l’affirmer: Amour toujours est plus que jamais une expression dans l’air du temps.

Le «staying together» inspire le cinéma

Mettre un terme à son histoire d’amour… mais vivre sous le même toit que son ex. Une configuration de plus en plus fréquente, selon les sociologues, et qui participe en partie au phénomène de la baisse des divorces. Ce cocktail relationnel explosif a rapidement inspiré le septième art. Dès 2006, dans «The Break Up», Jennifer Aniston et Vince Vaughn continuaient malgré eux à vivre ensemble après leur rupture.

Le thème s’est ensuite infiltré dans les réalisations francophones, avec par exemple «L’Économie du couple», en 2016. Devenus pires ennemis après la passion la plus intense, Bérénice Béjo et Cédric Kahn sont piégés dans la même villa, ce dernier n’ayant pas assez d’argent pour déménager. Situation assez proche de celle dépeinte par «Sous le même toit», de Dominique Farrugia, en 2017, où l’amour-répulsion tisse d’étranges liens.

«L'Amour Flou»: quand les acteurs jouent leur propre rupture

C’est d’ailleurs via le film «L’Amour flou», un an plus tard, que sont décrits avec le plus de profondeur les ressorts affectifs à l’œuvre derrière le staying together. Envie de tourner la page, mais aussi peur de la solitude, du désert amoureux, de briser à jamais ce qui a été bâti ensemble. Romane Bohringer et Philippe Rebbot se retrouvent à vivre dans deux apparts reliés par la chambre des enfants. Une belle métaphore du divorce.

Témoignage: «L’amour qui dure n’est pas un travail, c’est un réflexe»

«Il y a trois ans, mon mari et moi avons fêté nos six décennies de mariage. Lorsque j’ai dit à ma petite-fille que je n’avais connu qu’un seul homme – lui –, elle s’est exclamée, à la fois impressionnée et terrifiée: «Mais comment est-ce possible de n’avoir qu’une seule personne durant toute ta vie?» Je n’ai su que répondre exactement, je crois que je n’ai pu lister que des banalités. Des banalités qui, mises toutes ensemble, sont peut-être difficiles à suivre pendant toute une existence.

Lui comme moi avions chacun des défauts, évidemment. Nous avons su faire avec, les accepter. Il nous a fallu faire des compromis et aussi des concessions: avoir envie de faire plaisir à l’autre autant qu’à soi-même.

Un couple, pour durer, doit être l’objet de toutes les attentions, surtout au-delà des premières années de passion où tout est facile et coule de source.


©GettyImages

Au final, je ne dirais pas que rester ensemble longtemps résulte d’un travail, je préfère dire qu’il faut savoir défendre son couple bec et ongles, comme s’il était aussi important que soi. Contre les remous de l’existence – chômage, deuils, maladies – contre les tentations aussi, c’est sûr. Le défendre également contre nos propres paresses, contre l’impression que c’est acquis.

Même à 60 ans, mon mari et moi prenions toujours soin de notre corps et de nos tenues, car nous avions encore ce désir de plaire à l’autre. Il y a bien sûr une part de renoncement, car on ne peut avoir tout et tout le monde, mais si le plaisir d’être avec l’autre surpasse de loin ce sentiment de passer à côté d’autres histoires, d’autres personnes, alors le principal de la recette miracle est là!»

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