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Éducation bienveillante: et si les parents «imparfaits» avaient tout juste?

Education enfant bienveillance

La formule magique d'une éducation parfaite? Il n’y en a pas! Chaque parent ne peut qu’apprendre à se faire confiance, piocher ce qui lui va dans la méthode positive, accepter des moments de craquage et créer sa propre recette, fusion d’outils bienveillants et de vie réelle.

© Getty

Écouter son enfant, le laisser exprimer ses émotions, chercher à le comprendre en préférant le dialogue aux menaces: les principes de l’éducation bienveillante et ses promesses d’entente, de sérénité, ont séduit de nombreux parents qui bannissent désormais le classique: «Parce que c’est comme ça!», remplacé par d’autres solutions plus compréhensives, que l’on retrouve compilées par dizaines dans certains manuels de pédagogie. L’enfant se sent rassuré, soutenu, écouté et tout se passe bien dans le meilleur des mondes possible.

Toutefois, comment rester calme lorsque les cornettes s’écrasent au sol, suivies par l’assiette, que la cadette hurle à tout rompre et que l’aîné choisit cet instant précis pour tirer férocement la queue du chat? Doit-on se sentir mauvais parent lorsque le zen nous lâche, qu’on ne parvient plus à communiquer sereinement et qu’elle arrive au galop, la phrase, celle qu’il ne faut surtout pas prononcer: «Si tu continues, tu seras privé de dessert!» A-t-on échoué, lorsque l’éducation bienveillante rencontre la réalité d’un foyer moderne, les personnalités différentes de plusieurs enfants et la fatigue d’adultes légèrement surmenés?

Non, rassure immédiatement le pédopsychiatre Marcel Rufo. «Les parents d’aujourd’hui ont fait d’immenses progrès, ils sont beaucoup plus à l’écoute qu’auparavant, tempère-t-il. Tous veulent que leurs enfants soient heureux. Ils sont nombreux à culpabiliser ou à s’inquiéter de ne pas être parfaits, alors qu’ils sont déjà très bien!» Voilà pour l’avis du professionnel, mais sur le terrain, comment faire?

Eloge de l’approximation

Maman de 4 enfants, Agnès Labbé confie qu’après avoir longtemps cherché la perfection, elle s’est finalement autorisée à devenir une mère «détendue du chignon». Cette blogueuse et auteure française vient d’ailleurs de signer L’éducation approximative (Ed. Marabout). L’ouvrage, qui déborde d’humour et d’anecdotes personnelles, constitue une ode à l’imperfection et aux mamans imparfaitement parfaites, qui font ce qu’elles peuvent de la théorie et acceptent leurs limites, leur humanité.

«L’éducation positive propose le dialogue avec l’enfant et suggère de lui apporter une explication à chaque situation de crise, résume-t-elle. Moi, dans la vie, je n’en étais pas toujours capable. Après une journée compliquée au travail, la fatigue est telle que je n’ai plus les ressources nécessaires pour réussir à entamer le dialogue avec mon petit quatrième qui a décidé de faire la grève du pyjama. Moi, je n’y arrive pas.»

C’est grâce à une approche approximative que l’auteure a finalement trouvé un équilibre et réussi à chasser la culpabilité qui l’assiégeait. Elle est d’ailleurs loin d’être la seule! Isaline, créatrice du blog Thérèse and the kids, mère de 4 enfants elle aussi, a décidé de lâcher la bride, afin d’éviter le pétage de câble:

«Après mon deuxième bébé, je me suis jetée corps et âme dans la méthode positive, se souvient-elle. J’avais affiché des marches à suivre et des phrases types sur mon frigo. J’étais à fond. Quand mon mari s’énervait, je sursautais et le reprenais: Mais non, ce n’est pas du tout ça que tu dois leur dire! Toutefois, à l’arrivée de mon troisième enfant, j’ai compris que la théorie ne correspondait pas toujours à la vie réelle… et que ça n’était pas grave!»

Et si vous renonciez à être une maman parfaite?

Adieu, culpabilité!

Attention, tout de même, si elle conseille l’adoption de «chemins de traverse», Agnès Labbé ne discrédite absolument pas la méthode positive: «Elever un enfant sans crier, et en instaurant le dialogue avec lui est évidemment la voie royale pour en faire un adulte heureux et épanoui, estime-t-elle, mais ce n’est pas le seul chemin possible.» Autrement dit, inutile de s’autoflageller lorsqu’on laisse les jumeaux devant un dessin animé, alors que le premier chapitre de notre livre de chevet le déconseille fortement.

Pour la psychothérapeute Isabelle Filliozat, auteure de plusieurs ouvrages de référence dans le domaine de l’éducation (dont le célèbre J’ai tout essayé!, aux Ed. JC Lattès), il n’est pas pertinent de viser une application à la lettre:

«La méthode est parfois difficile, parce qu’il n’y a pas de réponse stéréotypée, toute faite, rappelle-t-elle. Il n’y a pas d‘il faut ou on doit, car il est nécessaire de s’adapter en permanence. Ce n’est pas vraiment une méthode, mais une façon de penser. Et puis, il n’est pas facile de sortir des habitudes et de faire différemment de nos parents.» Ainsi, le dogme ou la phrase parfaite n’existeraient pas? «Je ne donne jamais de conseils, acquiesce l’experte. Je donne des informations, des idées, des clés. Le choix de l’action reste au parent, car chaque famille est différente.»

Pas de panique, donc, si votre fille de 3 ans refuse d’expliquer pourquoi elle est en colère. «Personne ne connaît notre enfant mieux que nous-mêmes», rappelle la blogueuse Isaline, qui se dit régulièrement que les enfants ont «surtout besoin d’amour» («et de coquillettes!» ajouterait Agnès Labbé).

Isabelle Filliozat donnera trois conférences en Suisse romande, entre le 3 et le 5 avril 2019.

Frustrez vos enfants!

Plus encore, l’éducation approximative pourrait même venir à bout de l’enfant roi, sous-produit régulièrement pointé du doigt de la bienveillance à tous crins. Toutefois, où se situe la limite? «On la trouve, lorsque la bienveillance devient une gêne», répond Marcel Rufo. S’il applaudit l’avènement de la bienveillance et la destruction de «l’autorité sans discussion du pater familias», le coauteur de C’est moi qui commande ici! (Ed. Anne Carrière) souligne aussi l’importance du cadre autoritaire:

«Il ne faut pas laisser la bienveillance dériver en séduction, en voulant absolument plaire à son enfant, précise-t-il. Nous ne sommes pas là pour répondre à tous ses désirs, mais pour qu’il s’identifie à nous et donc à nos défauts aussi! Certaines frustrations sont nécessaires à son bonheur: tout lui accorder, ce n’est pas le préparer au monde réel, dans lequel il devra faire face à des obstacles.»

Dans un soupir compatissant, il ajoute que de nombreuses mamans lui avouent n’être tranquilles que lorsqu’elles prennent leur douche: «Si l’enfant réclame votre attention à un moment où vous ne pouvez la lui donner, expliquez-lui simplement que vous n’avez pas le temps, que vous avez eu des soucis au travail, mais que vous serez disponible demain. La frustration, qui donne accès au oui, le surprendra. Et croyez-moi, il est mieux de les étonner que d’être toujours conforme. Soyez un parent 12/24, c’est déjà superbe, mais frustrez vos enfants, je vous en supplie!»

Marcel Rufo: «La démocratie familiale fait naître des enfants tyrans!»

Se méfier des préceptes

Oser le non catégorique? Pas si facile, lorsqu’on croule sous les études scientifiques, considérant mille façons de formuler correctement le refus en limitant les dégâts. «Les parents reçoivent trop de conseils, ils ne savent plus qui écouter», déplore ainsi Isabelle Filliozat.

Une observation confirmée par Céline, maman de trois enfants, qui se sent parfois submergée: «J’ai des tonnes de livres et je suis des groupes Facebook de parentalité positive, mais il est difficile de prendre du recul sur ce qu’on voit sur les réseaux sociaux!» Car si l’accès à ce savoir peut, évidemment, constituer une aide précieuse, il augmente automatiquement la pression sur les parents:

«La société tout entière donne son avis sur ce que devrait être une bonne mère, constate Agnès Labbé. Dès lors, sous couvert de bienveillance, la course à la meilleure mère fait des ravages. Entre la cousine végane qui vous fait comprendre que le lait de soja est meilleur pour un bébé ou Instagram qui vous explique que le lit cabane rend les enfants plus intelligents, il est facile de se mettre à douter de ses capacités.»

La formule magique? Il n’y en a pas. Chaque parent ne peut qu’apprendre à se faire confiance, piocher ce qui lui va dans la méthode, accepter des moments de craquage et créer sa propre recette, fusion d’outils bienveillants et de vie réelle. Sur ce point, Isabelle Filliozat, conclut:

«La vie est courte et fragile. Le temps passe très vite. La seule question qui sera la nôtre au moment de notre départ de cette terre, c’est: comment ai-je aimé? Cela me paraît un bon guide au quotidien pour notre tâche de parents.»

Vos témoignages

Johanna, maman de 3 enfants

«Je pense qu’avec mon mari, nous tendons à une éducation bienveillante, mais nous sommes loin d’y être à 100%. Nous essayons au maximum de nos moyens d’être à l’écoute de nos enfants, de leurs besoins, de leurs sentiments, de leurs peurs et nous appliquons plusieurs principes de l’éducation bienveillante. Nous ne laissons pas hurler notre enfant lorsqu’il n’arrive pas à s’endormir, en le prenant en cododo, nous bannisons les punitions au profit des explications et de la réparation de la bêtise. Nous faisons du mieux que nous pouvons et nous les aimons de tout notre cœur. Je pense que c’est le plus important.»

Céline, maman de 3 enfants

«En 2015, nous avons découvert avec surprise (et un peu d’effroi) les tempêtes émotionnelles de notre deuxième fille, à l’approche de ses 2 ans. N’ayant jamais dû affronter cela avec notre première, nous avons fait ce qui nous semblait approprié: nous l’avons grondée, mise au coin, usé du chantage et… expérimenté l’inefficacité de toutes ces actions! En essayant de me documenter, je suis tombée sur des témoignages de parents appliquant la méthode bienveillante. Je m’y suis plongée avec la ferme intention de l’appliquer au quotidien. Les résultats étaient bluffants mais, au jour le jour, c’était très difficile. Comme chaque fois qu’on découvre quelque chose de nouveau, je pense, on fait l’erreur de vouloir s’y dévouer corps et âme, sans parvenir à prendre le recul nécessaire pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’un dogme. Je suis une maman imparfaitement bienveillante, et ça me va!»

Régis, papa de 4 enfants

«J’ai rapidement adhéré à la méthode, car elle faisait écho à ce que je vivais dans mon entreprise, qui prône un management bienveillant: finalement, être en charge d’une grande famille, c’est un peu comme avoir la responsabilité d’une petite entreprise. Mais il se trouve que l’éducation positive ne va pas forcément de soi pour une génération comme la mienne, éduquée avec des principes plus traditionnels. Du coup, par moments, elle exige des efforts. Il peut aussi être culpabilisant de lire des ouvrages d’éducation positive et de constater le décalage entre la réalité et la théorie. Heureusement, il existe plusieurs bonnes réactions à une situation. Je me fais confiance, ce qui ne m’empêche pas de vivre des moments de doutes et de remises en question. Je reste très humble par rapport à ma pratique de l’éducation bienveillante, et je dirais que notre méthode est plutôt de l’éducation positive avec des approximations.»

Johanna, maman de 3 enfants

«Lorsque nous avons commencé à nous intéresser à l’éducation positive, avec mon mari, on s’est dit: "Waouh, ça a l’air parfait!" Toutefois, nous avons vite réalisé que la méthode requiert un réel travail sur soi, afin de casser de vieux schémas ancrés en nous. Il était peut-être un peu naïf de penser que la lecture d’un livre allait suffire. Nous avons accepté que l’application de la méthode demande du temps et de l’entraînement. On a essayé, on a parfois échoué, et ce n’est pas grave! Ça, il faudrait qu’on nous le dise dès le début: que ce n’est pas grave de ne pas tout faire parfaitement. Les résultats apparaissent petit à petit et de nouvelles habitudes se créent: par exemple, lorsque notre fils de 8 ans s’énerve, nous avons commencé à lui proposer systématiquement un câlin. Nous appelons cela remplir le réservoir: lorsque les épreuves de la journée l’ont vidé, on le remplit avec des câlins, du temps d’écoute, du jeu.»

Valentine, maman de 2 enfants

«Pour moi l'éducation bienveillante est utile, parce qu'elle donne des pistes pour communiquer avec les enfants, à sortir des zones "dangereuses". Au quotidien j'utilise des astuces "bienveillants" mais parfois ça ne fonctionne pas ou je n'ai pas le temps de prendre le temps. Par exemple, le matin, au moment de partir au travail, je ne peux pas négocier pendant 20 minutes... Par contre je me suis rendue compte que certaines phrases apaisent l'enfant, qui sera plus ouvert et de meilleure humeur par la suite.

Pour que la routine du matin fonctionne bien sans chichi, on fait une sorte de «course» pour s'habiller, tout le monde s'y met, ça les motive à s'habiller seuls sans aide. En 10 minutes tout le monde est prêt (enfin sauf moi)! Pour le rangement des jeux et jouets, on le fait ensemble. Je leur laisse aussi choisir les habits le soir. Dans les moments de crises ça devient plus compliqué, mais si on les écoute, si on reste à côté d’eux sans rien faire, ils finissent par se calmer: à ce moment-là, on peut commencer la discussion après un gros câlin. Ce n'est pas toujours tout rose mais on fait comme on peut!»

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