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Doris Fiala, la «panthère zurichoise» s’attaque au sida
Elle a vécu neuf ans à Genève, et manie avec une relative aisance le français. Doris Fiala, conseillère nationale libérale-radicale du canton de Zürich, avoue être nostalgique de son séjour en terre romande. Nommée en janvier présidente de l’Aide suisse contre le sida, cette pro de la communication, souriante et déterminée, avait annoncé que son objectif premier serait d’économiser et de lever des fonds. Car l’argent manque.
En 2011, les dons ont baissé de 150 000 Sfr., et la contribution de la confédération de 750 000 Sfr. Et ce alors qu’il y a toujours plus de personnes séropositives dans notre pays. 100 jours de présidence plus tard, celle que certains journalistes ont surnommée outre-Sarine la «Pink Panther», en référence à son caractère et à sa garde-robe, a dû revoir son indemnité à la baisse en signe de bonne volonté, et rappelle que le sida continue à faire des victimes, ici en Suisse.
FEMINA Vous avez notamment été nommée pour vos liens avec le milieu économique; ces relations ont-elles déjà porté leurs fruits?
DORIS FIALA Au départ, j’ai eu peur de ne pas réussir à convaincre l’économie de me soutenir, mais c’est le contraire. Swisslife, par exemple, a ouvertement dit que leur soutien financier à l’Aide suisse contre le sida était lié à ma présence. Donc oui, l’économie me connaît bien et me fait confiance. Et en tant que présidente de l’industrie plastique, je défends les intérêts du latex, et donc du préservatif! Vous pouvez être sûr que l’économie va m’entendre, je peux être très insistante! Je ne veux pas faire de promesses que je ne pourrais pas tenir, mais je vais mettre toute mon énergie dans cette association. Faire changer de direction à ce grand bateau ne se fera pas du jour au lendemain. C’est un marathon plus qu’un sprint.
Vingt ans après son apparition, le sida est-il bientôt éradiqué en Suisse?
Je pense que la population n’est pas tout à fait au courant qu’il y a en Suisse 25 000 personnes infectées par le virus. Et, c’est très important de le rappeler, parmi ces 25 000 personnes, seules 11 000 sont traitées et ont accès aux médicaments. C’est comme une bombe à retardement. Ces 11 000 personnes représentent déjà près de 260 millions de francs de coûts par an. Quant au chiffre des infections par année, il augmente, ne se stabilise pas. 600 personnes sont ainsi atteintes chaque année. Et il faut savoir qu’il y a des effets secondaires à prendre un médicament sa vie entière. Surtout, l’infection est un choc incroyable. Beaucoup n’osent pas dire qu’ils ont été infectés et tombent dans une dépression. Des gens me disent «il y a la trithérapie, tout va bien».C’est auprès d’eux qu’il faut faire de la prévention.
Qui, aujourd’hui, est infecté par ce virus?
La moitié des personnes infectées se trouve dans le milieu homosexuel, mais il y a aussi un fort pourcentage d’hétérosexuels en provenance de pays avec une forte prévalence du VIH, de la région subsaharienne notamment. Dans cette population, il s’agit en majorité de femmes. Des gens qui n’osent souvent pas aller chez le médecin s’ils sont en état de clandestinité.
Que pensez-vous des prises de position du pape vis-à-vis du préservatif?
Je trouve cela absolument inadmissible, incompréhensible. Et je pense – je suis moi-même catholique – que beaucoup de gens tournent le dos à l’église à cause de cela. Je veux d’ailleurs prendre contact avec les responsables de toutes les religions en Suisse, car c’est un véritable danger.
Vous avez des enfants de 28, 27 et 23 ans. Comment leur avez-vous parlé du sida?
Vous savez, je suis liée à la scène homosexuelle depuis douze ans (ndlr: elle a été membre de l’organisation des Eurogames, les championnats sportifs gays et lesbiens, à Zurich, en 2000), et je suis membre d’Arud, qui s’occupe de toxicomanie. Alors à table, avec mes enfants, je n’ai pas dû faire de prévention particulière. Le sujet était très présent. J’ai des amis homosexuels qui sont touchés par la maladie. L’un d’eux vient d’essayer de se suicider. Il m’a souvent dit «tu crois que la société est tolérante, mais on est stigmatisés». Quand le sida touche votre cercle d’amis, je peux vous dire que vos enfants sont vraiment sensibilisés.
La jeunesse d’aujourd’hui n’a pas connu les morts du sida, des images parfois terrifiantes. Du coup, la maladie fait moins peur, et on se protège moins automatiquement qu’auparavant…
Je pense que cette banalisation de la maladie a été fatale. Quand un médicament permet d’éviter la mort quand vous êtes infecté, cela ôte évidemment un peu de cette peur énorme qui existait avant. Si on n’avait pas fait tout ce travail de prévention depuis de nombreuses années, où en serait-on aujourd’hui? On ne peut que faire des suppositions. Je pense qu’en théorie tout le monde sait que c’est dangereux d’avoir plusieurs partenaires sans mesures de protection, mais c’est comme avec la cigarette: malgré l’inscription «fumer tue» sur chaque paquet, il y a encore des fumeurs…
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