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Décryptage: être une célibattante en 2015

Célibataire, c’est génial… ou pas!
© istockphoto.com

Elles ont entre 30 et 40 ans, un CV bardé de diplômes, la carrière qui va avec, et une plastique à faire pâlir Jennifer Lawrence. Et comme Jennifer Lawrence, elles sont drôles et pétillantes. Côté vie privée? Rien, nada, le calme plat. Qu’est-ce donc qui cloche? Face à ces femmes qui vivent en solo, c’est la première question qui vient à l’esprit. Et ce, alors même que le – ou la – célibataire est une espèce en voie de progression, voire de domination. En Suisse, leur nombre a en effet dépassé celui des personnes mariées (43,1%), pour atteindre les 43,6% de la population, selon les résultats annuels provisoires de l’Office fédéral de la statistique pour la fin 2014. Sur le terrain, pourtant, bien peu encore se risqueraient à avouer avoir réservé une offre spéciale «pour célibataires» chez Celivoyages ou Helvetic Tours. Alors: au XXIe siècle, le célibat serait-il encore suspect?

Un sujet tabou

Oui, répond la Genevoise Pascale de Senarclens. «Particulièrement pour les femmes, cela reste un sujet tabou qui représente plus souvent une honte qu’une fierté.» Son association Bloom and Boom prépare une table ronde sur le thème pour le 25 novembre 2015, jour longtemps honni de la Sainte-Catherine, patronne des femmes seules donc, forcément, désespérées. «Le célibat, estime-t-elle, est encore perçu comme une salle d’attente plus ou moins confortable avant rencontre, mariage, enfants…» «Le regard des autres reste dur, confirme Anouk, Genevoise âgée d’une trentaine d’années. «Pourquoi tu es seule?» «Pourquoi tu ne cherches pas?» Plusieurs personnes m’ont même demandé si j’étais lesbienne», s’agace-t-elle. Une question doublement sotte, homosexualité ne rimant évidemment pas avec célibat.

«Ce n’est pas toujours conscient, tempère Hélène, Fribourgeoise de 40 ans. Mais je sens bien les attentes, notamment de ma famille, qui se demande plus ou moins discrètement quand je vais enfin rencontrer quelqu’un. Sans parler des collègues, qui m’ont fait comprendre qu’ils trouvaient bizarre que je ne sois pas mariée avec trois gamins, à mon âge.»

Signe de ce malaise, nombreuses sont celles qui rechignent à évoquer leur statut. «Je n’ai pas l’intention de rester seule», nous a sèchement coupé l’une. Une autre nous a fait remarquer que nous lui avions demandé comment elle pensait «remédier» à cet état. «Comme si c’était une maladie!» Aïe. L’image des «célibattantes» à la Carrie Bradshaw de «Sex and the City» en prend un coup. Pourtant, estime la doctoresse Annie Rapp, psychothérapeute parisienne qui avait fondé une association pour femmes seules dans les années 1990, «la pression sociale a largement diminué ces dernières années». Dans son cabinet, elle reçoit des patientes qui souhaitent s’engager dans une histoire et sont «par définition, en souffrance, mécontentes de leur vie». «Nombre d’entre elles approchent de la quarantaine et se réveillent en se disant qu’elles ne veulent pas passer à côté d’une histoire, qu’elles veulent fonder une famille.» Parmi elles, certaines «souffrent de la peur de l’abandon, liée à des carences affectives dans l’enfance et qui les empêchent de s’engager.» D’autres ont été «blessées, déçues, et se disent qu’elles sont mieux sans partenaire. Celles-là sont dans l’évitement.»

Les parcours personnels et leurs cahots expliquent certes le phénomène. Mais en partie seulement. Car il faut aussi compter avec l’indépendance grandissante, qui rend plus fortes les attentes envers un partenaire éventuel. «Oui, oui, je suis pleine de failles, je travaille sur moi. Mais ça ne veut pas dire qu’être en couple est synonyme d’être bien dans sa tête», rit jaune Mélanie, de Fribourg. «Il est rare que la vie en solo soit délibérément recherchée, mais un nombre grandissant de ceux qui la vivent deviennent exigeants sur les conditions d’une sortie», analysait l’année dernière le sociologue français Jean-Claude Kaufmann, spécialiste du couple. En France toujours, la psychanalyste Marie-France Hirigoyen a évoqué les «nouvelles solitudes»; selon elle, l’autonomie relativement neuve des femmes fragilise les liens intimes. Sans qu’elles voient forcément la solitude d’un mauvais œil. «Etre seule, c’est comme une facilité, glisse Anouk. C’est un choix, plus ou moins conscient, mais ça reste un choix.»

Lausannoise, la quarantaine joyeuse, Deborah vit plutôt bien son célibat. Mais avoue, tapie en elle, «la peur de finir en Tatie Danielle acariâtre, dévorée par ses chats». Cette crainte de se retrouver seule à tout jamais plane comme une menace, confirme Pascale de Senarclens. «Bien des femmes avec qui nous avons échangé disaient que si, par magie, elles étaient assurées de rencontrer quelqu’un plus tard, elles vivraient cette période beaucoup plus facilement. Plus que le célibat lui-même, c’est la crainte qu’il soit définitif qui pèse. Le sentiment de faire partie d’une minorité, celui d’être considérée comme hors norme contribuent aussi à rendre la situation lourde et insécurisante.» Dans une société où l’indépendance est revendiquée mais où, paradoxalement, la différence interpelle, «cette norme que nous avons individuellement intégrée depuis l’enfance nous empêche de percevoir positivement notre situation, dès lors que celle-ci n’est pas répandue autour de nous et considérée comme «bizarre».

Face au manque affectif

«Même si elle s’assume et qu’elle a une foule d’amis et d’activités, le plus dur à vivre pour une femme seule, c’est certainement le manque affectif, qui peut surgir à tout moment», estime pour sa part Christiane Link, organisatrice de «rencontres non virtuelles» pour célibataires sur la région lémanique. Bien sûr, elle en connaît certaines qui semblent «très bien vivre» comme ça. «Elles considèrent que, si elles rencontrent quelqu’un, ça sera un plus dans leur vie bien remplie.» Mais d’autres ont plus de peine à affronter la solitude, même momentanément. «Elles perdent confiance et seraient prêtes à s’installer dans une relation non satisfaisante juste pour échapper à la solitude.» «Les femmes sont programmées dès leur plus jeune âge pour attendre le prince charmant, insiste Pascale de Senarclens. A cela s’ajoute la marque laissée par les injonctions faites aux générations précédentes: trouver un mari à tout prix. Dans un monde où, il y a juste quelques décennies, nous n’avions ni carnet de chèque à nous ni droit de vote, il est difficile d’imaginer que l’on pourrait s’éclater «ad vitam æternam», ou simplement se débrouiller, sans un homme dans sa vie.»

Une joyeuse insouciance

Pourtant, le célibat a de beaux jours devant lui. Certes, il n’est pas encore la norme, mais les relations n’ont pas fini d’évoluer. «Il est perçu comme le négatif de la vie en couple, alors qu’il constitue une phase de vie qui peut durer plus ou moins longtemps, parfois toute la vie, commente Pascale de Senarclens. Une période à relativiser, ajoute-t-elle. Comme lorsque, à 20 ans, on croit sa vie fichue parce que l’on ne sait pas ce que l’on veut faire plus tard, alors que c’est si chouette de profiter de ses 20 ans!» Bloom and Boom, son association, tend ainsi à «remettre en question l’idée que tout le monde est fait pour être en couple et avoir des enfants.»

Et si, précédant une évolution des mentalités toujours en retard sur nos vies réelles, les femmes seules, parmi nous, commençaient à assumer joyeusement un mode de vie qui n’a rien, au fond, d’une bizarrerie?

Témoignages

«Je me suis forgé une carapace» (Deborah, 41 ans, Lausanne)

«Je suis célibataire depuis bientôt deux ans, après une relation qui en a duré quinze. Vivre seule ne me pose pas de problème. Après ces années de vie à deux, cela m’a fait du bien de ne pas rendre de comptes. De me poser, de voyager, de rentrer quand je le voulais après une soirée arrosée… Et puis, j’ai une vie professionnelle bien remplie. Mais justement, je me suis forgé une armure au travail, celle de la fille qui prend des décisions et n’a peur de rien, et cela déteint sur qui je suis dans la vie. Parfois, j’ai peur de m’habituer à ce célibat, d’avoir comme une carapace sentimentale. Ce qui m’inquiète, c’est de ne pas avoir eu de coup de cœur depuis un moment. Car au fond, j’aimerais bien rencontrer quelqu’un. Je ne suis pas fusionnelle, je n’ai pas absolument besoin d’une moitié, je n’ai pas non plus un cahier des charges insurmontable. Je voudrais simplement partager de bons moments avec quelqu’un. Mais je suis à un âge où les hommes sont casés, ont des enfants… Et les rencontres d’un soir, cela va un moment. C’est difficile de traverser ça sans se remettre en question et se déprécier.»

«Vous connaissez la chanson d’Emilie Loizeau, «Je ne sais pas choisir?» (Mélanie, 38 ans, Fribourg)

«Quand je dors toute seule, j’me dis Dieu ce serait bon
De partager mon lit avec un garçon
Quand je partage mon lit avec un garçon
J’me dis dormir toute seule, Dieu, ce serait bon…»

C’est tout moi, ça! Bon, ce n’est pas comme si j’avais un tas de prétendants transis devant ma porte. Mais je ne suis pas mécontente de ma vie. Je travaille beaucoup, je voyage et, quand je rentre, je suis contente de traîner en pyjama, un verre de vin à la main. En même temps, la solitude me pèse. Le dimanche soir, l’angoisse monte et j’ai hâte de reprendre le boulot. Autour de moi, les bébés pleuvent et je me sens de plus en plus décalée. Ça me blesse aussi de penser que les gens me voient comme cette fille pas casée… J’ai vécu plusieurs histoires pas terribles: c’était des hommes pris, ou d’autres avec qui je savais très vite que ça n’allait pas marcher. Parfois, je me dis que, de toute façon, je ne rencontrerai jamais le bon. Je crois que j’ai une telle trouille de l’échec que je préfère faire l’autruche.»

«J’avais une vision du couple immature» (Stéphanie, 36 ans, Nyon)

«Si je vis bien le fait d’être seule? Cela dépend des jours! J’aime me sentir libre, n’être pas obligée de faire des concessions. Je voyage beaucoup seule, je fais de belles rencontres que je ne ferais pas forcément si j’étais en couple. Mais ce n’est pas toujours rose. Je n’en parle pas autour de moi, mais faire l’amour me manque. Toucher le corps d’un homme, être touchée…

J’ai longtemps été la «runaway bride», celle qui vit des amours passionnées, impossibles, pleines de souffrances et de drame. On m’a souvent dit que j’avais un comportement masculin. Mais au fond, ce sont les hommes qui me faisaient peur. Je portais sur eux un regard cynique, comme une défense. J’en connais beaucoup qui sont comme ça, qui meurent d’envie d’être aimées mais qui ont peur de souffrir. J’avais peur d’être utilisée, abandonnée, de ne pas être comprise, de me tromper… Et puis j’avais une vision du couple fusionnelle, passionnée. Immature. A présent, j’ai plutôt envie de tendresse. De partager. D’une épaule qui me rassure. Envie de donner aussi. Et d’avoir des enfants. La maturité qui vient, je suppose…»

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