Disparition mystérieuse
Cryptomonnaie: Où est passée l'arnaqueuse Ruja Ignatova?
Que feriez-vous avec 4 milliards de dollars en poche? Ruja Ignatova, elle, a trouvé la réponse: disparaître. Elle a filé avec son monumental pactole vers un horizon connu d’elle seule. Après avoir, évidemment, pris bien soin de recouvrir ses traces. Changement d’identité avec de faux papiers, chirurgie esthétique pour se redessiner un nouveau visage, la désormais richissime quadra n’a plus été revue depuis octobre 2017, date de son évaporation subite aux yeux du monde.
Sept longues années plus tard, est-il imaginable que Ruja Ignatova, toujours introuvable, se prélasse au bord d’un lagon, un cocktail dans une main et l’air doux des alizés entre les doigts de pied? Peut-elle se croire aujourd’hui oubliée et relâcher enfin, un peu, l’état d’hypervigilance dans lequel elle doit vivre? Pas sûr. Car la disparue volontaire ne s’est pas vraiment volatilisée dans l’indifférence générale: la moitié des plus fins limiers de la planète sont encore à ses trousses.
Son visage, du moins celui d’antan, cette bouche pulpeuse lovée dans un rouge à lèvres rubis et ces yeux bleus qui semblent déjà regarder loin derrière vous, comme s’ils préparaient depuis toujours la cavale, figurent sur l’affiche des dix personnes les plus recherchées par le FBI. Ce printemps, la prime offerte pour la retrouver a d’ailleurs plus que doublé pour atteindre les 250’000 dollars. Mais qu’a donc fait Ruja Ignatova pour que les cinq continents lui en veuillent à ce point?
Naissance de la cryptoqueen
Au tout début, pourtant, elle n’avait rien d’une fugitive internationale. Émigrée bulgare arrivée en Allemagne quand elle avait 10 ans, en 1990, parcours scolaire en ligne droite et sans histoire, doctorat en droit à l’Université de Constance, premier job au réputé cabinet McKinsey… pas franchement le genre de CV à finir dans une intrigue tordue des Experts Miami.
Sauf qu’au début des années 2010, Ruja Ignatova commence à tremper dans des affaires louches. Elle et son père, Plamen, rachètent une fonderie mal en point, dont la faillite bizarrement ficelée quelques années après attire l’attention de la justice qui condamne le duo familial à de la prison avec sursis.
C’est là que la juriste aux drôles de hobbys effectue un virage à 180 degrés et se lance dans la finance en Bulgarie. Et elle voit tout de suite les choses en grand. En énorme, même. Dr Ruja Ignatova et un associé fondent OneCoin, une cryptomonnaie censée battre le bitcoin sur son propre terrain et, surtout, rapporter des fortunes aux investisseurs.
Dans une sorte de remake du Loup de Wall Street version Carpates, elle ameute la planète entière grâce à des conférences clinquantes dans les palaces, les salles de concert, jusqu’au stade de Wembley, en Angleterre. Elle s’improvise gourou de la révolution monétaire en marche, le rôle de sa vie, celui de la cryptoqueen, comme elle se qualifie elle-même.
Ruée vers l’or mondialisée
Bijoux et robes de princesse, voitures de luxe paradant en file indienne devant les lieux des colloques, rien n’est trop beau ni trop hors de prix pour convaincre les gens d’acquérir des OneCoin. Elle devient propriétaire de vastes demeures haut de gamme, s’offre un spectaculaire yacht, La Davina. Dès 2014, des millions d’individus dans au moins 175 pays vont ainsi lui faire confiance et convertir des épargnes, des plans retraite, voire faire tapis pour acheter en masse cette cryptomonnaie réputée vite doubler la mise de départ, puis doubler encore, et encore.
Beaucoup s’imaginent déjà millionnaires sans le moindre effort. Mais en 2016, des experts découvrent que le OneCoin est en réalité une pyramide de Ponzi, un montage financier qui ne crée aucune valeur, puisque l’argent des nouveaux investisseurs alimente les gains des premiers arrivés, donnant l’impression qu’un rendement existe bel et bien. Bernard Madoff était tombé pour la même arnaque en 2008.
Le plus grand scam de l’histoire?
Sous pression de ses investisseurs en panique, Ruja Ignatova est attendue de pied ferme lors d’une conférence à Lisbonne à l’automne 2017 pour s’expliquer. Celle qui détestait être en retard ne se présentera jamais. Une enquête internationale permet de découvrir que la cryptoqueen a lâché jets privés et navires de luxe pour embarquer dans un vol low cost Sofia-Athènes le 25 octobre 2017. Puis disparaître des radars à son arrivée dans la capitale grecque.
Était-elle vraiment le cerveau de cette gigantesque escroquerie, le plus grand scam de l’histoire? Certaines connaissances ont laissé entendre que l’arnaque n’était pas censée aller aussi loin et aussi vite, que Ruja Ignatova avait voulu stopper la machine qui s’emballait avant qu’il ne soit trop tard. Mais des «forces obscures» l’en auraient empêchée.
Les autorités américaines ont d’ailleurs arrêté son frère Konstantin à Los Angeles en 2019, un frangin réputé frayer avec de gros poissons des mafias de l’Est, et partie prenante dans OneCoin. Ruja Ignatova a-t-elle dû fuir le monde entier qui la veut en prison, ou quelques parrains qui la verraient bien coulée dans le béton au fond de la mer Noire pour avoir cassé cette usine à blanchir l’argent sale? Hier voleuse cynique et richissime, elle a peut-être fini par devenir, elle aussi, une victime de sa propre machination.
Bio
1980 Naissance à Roussé, en Bulgarie.
2004 Entre au cabinet McKinsey après un doctorat en droit.
2014 Fonde la cryptomonnaie OneCoin avec un associé.
2016 Des experts commencent à soupçonner que OneCoin n’a pas de blockchain, sécurité obligatoire à toute crypto car empêchant ses créateurs de manipuler son cours.
2017 Disparaît à Athènes. On la soupçonne depuis de vivre à Francfort, sous une fausse identité.