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Comment notre visage influence le cours de nos vies

Dossier Beaux Moches Isaiah Taylor Photography Stocksy

A l’école, ceux qui possèdent un physique agréable sont globalement mieux notés et bénéficient d’un meilleur pronostic de réussite académique. Une fois dans le monde du travail, rien ne change. Le physique constitue «une variable clé» des destinées professionnelles, comme le rappelle le sociologue Jean-François Amadieu, spécialiste de la question.

© Isaiah & Taylor Photography / Stocksy

Futile, la beauté? Pas pour le psychologue et rédacteur en chef de la revue Le Cercle Psy, Jean-François Marmion: «Elle fait partie de ces sujets assez peu étudiés, alors qu’il s’agit de quelque chose qui nous concerne au quotidien. On se regarde tous dans la glace le matin, non?» L’homme a de l’humour, mais c’est un psychologue avant tout. Un psychologue un peu iconoclaste, c’est vrai. Titillé par le sujet, comme il l’avait été par la connerie, à laquelle il a également consacré un ouvrage, le voilà qui convoque une vingtaine de spécialistes, des chercheurs de différents domaines, afin de réfléchir sérieusement à tous ceux que la nature a gâtés, ou pas, car «avec l’apparence, c’est notre image qui est en jeu et la façon dont les autres nous perçoivent». Résultat, une Psychologie des beaux et des moches (sous la direction de Jean-François Marmion, Ed. Sciences Humaines), qui montre comment la perception de l’apparence physique influence nos choix, nos décisions, bien au-delà du petit jeu de la séduction.

Pour prétendre au titre de beau dans nos sociétés, il faut réunir un certain nombre de caractéristiques. La jeunesse en fait partie, de même que, pour les femmes, posséder de grands yeux et un petit nez, façon «héroïne à la Disney», résume Jean-François Marmion. Les hommes, eux, seraient bien inspirés d’afficher une mâchoire carrée pour faire partie du club. Un club qui offre à ses membres une longue, très longue liste de privilèges.

Large surévaluation

Pour plaire, être beau est indéniablement un plus. Toutefois, ce statut va de pair avec toute une série de qualités positives qu’on attribue inconsciemment aux personnes attirantes. On les imagine plus sociables, plus extraverties, en meilleure santé physique et mentale, plus fougueuses sexuellement. Les beaux sont jugés plus désirables en tant que partenaire amoureux, plus coopératifs, plus dignes de confiance, plus chaleureux, plus sensibles, plus stables, plus persuasifs. On leur prête plus d’amis, un métier prestigieux, une vie réussie, un mariage forcément heureux. N’en jetez plus! C’est une réalité, «la beauté fait l’objet d’une constante surévaluation», comme le résume Lubomir Lamy, professeur en psychologie sociale à l’Université Paris-Descartes.

Il s’agit en fait d’un stéréotype qui associe ce qui est beau à ce qui est bien, rappelle Jean-François Marmion. Il y a bien sûr des nuances. Le fameux visage aux traits un peu enfantins (petit nez et grands yeux) est jugé plus sympathique et plus sincère que les autres, mais pas plus compétent. On ne peut pas tout avoir. D’ailleurs, les canons de beauté varient, selon les cultures, selon les époques. Le bronzage n’a pas toujours eu la cote sous nos latitudes, de même que la barbe pour les hommes. Pour les femmes, la minceur s’est aujourd’hui imposée comme la norme officielle de la beauté. Au point que certaines se disent prêtes à d’incroyables sacrifices pour un corps de rêve. Selon une enquête de l’Université de l’Ouest de l’Angleterre, à Bristol, menée sur des étudiantes, 16% renonceraient à un an de leur vie (10% à 5 ans, 2% à 10 ans, 1% à 21 ans ou plus) et 13% à 5000 livres (près de 5900 francs suisses) de leur salaire annuel! Il faut dire que les femmes sont soumises à nettement plus d’exigences en termes de beauté.

«La disparité est indéniable, admet Jean-François Marmion. On attend d’une femme qu’elle soit belle quelles que soient les circonstances et qu’elle soit belle avant tout. Les femmes ont d’ailleurs elles-mêmes intégré cette injonction. C’est cela qu’elles mettent en avant sur les sites de rencontre, en postant les plus belles photos possible, tandis que les hommes vantent leur réussite sociale. C’est de cette manière que les uns et les autres reçoivent le plus de sollicitations.»

Si les canons de beauté varient, un consensus semble néanmoins ressortir au moment de porter un jugement sur l’apparence physique, quel que soit son origine ou son statut social. Les études montrent par exemple qu’un visage relativement symétrique apparaît comme plus attirant. L’explication viendrait du fait qu’une asymétrie morphologique constituerait un révélateur d’anomalies génétiques. Autrement dit, en termes d’évolution, choisir un partenaire beau présenterait une option plus sûre de mettre au monde une progéniture en bonne santé. Au-delà du visage, «globalement, les hommes jugés les plus beaux sont ceux qui ont une silhouette plus carrée; les femmes, celles possédant une taille en sablier, même s’il existe des variations culturelles qui valorisent des formes plus rondes, note Jean-François Marmion. Nous avons, dans notre cerveau, de très vieux mécanismes qui nous poussent dans cette direction. Il existe, bien entendu, énormément d’autres facteurs qui jouent un rôle, mais ces automatismes existent, ils sont bel et bien présents en arrière-fond.»

Incontournable, le physique est souvent la première information dont nous disposons sur autrui. Il produit sur nous un effet immédiat. «Nous sommes tous sujets à des jugements automatiques, estime Jean-François Marmion. Quand on rencontre quelqu’un sans savoir qui est cette personne, on va se fier à ce qui nous saute aux yeux, c’est-à-dire son apparence. On conclura instantanément que ce qui est beau est bon et que ce qui est laid est mauvais. On se méfie moins de quelqu’un qui a une apparence agréable, on va le trouver généreux, bienveillant, drôle, alors que si sa tête ne nous revient pas, on lui attribuera immédiatement des défauts moraux. Ce sont des procédés inconscients.»

Les beaux favorisés

Cette association entre ce qui est beau et ce qui est bien se développe très tôt. Elle est renforcée par la socialisation, par les médias aussi. Dès l’enfance, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre. A l’école, ceux qui possèdent un physique agréable sont globalement mieux notés et bénéficient d’un meilleur pronostic de réussite académique. Une fois dans le monde du travail, rien ne change. Le physique constitue «une variable clé» des destinées professionnelles, comme le rappelle le sociologue Jean-François Amadieu, spécialiste de la question. Trop vieux, trop gros, autant de profils systématiquement boudés au moment de pourvoir un poste qui suppose un contact avec la clientèle. Ceux qui sont bien de leur personne possèdent quant à eux un double avantage, estime le sociologue, ils «sont d’une part auréolés d’un flot de qualités et, d’autre part, en mesure de séduire directement ceux qui les recrutent».

Des recruteurs qui ne font pas mystère de l’importance du feeling et de la fameuse première impression. Se voyant proposer plus d’opportunités, les beaux sont aussi globalement mieux rémunérés, même s’il ne faut pas occulter le revers de la médaille, qui prend encore trop souvent la forme de harcèlement, principalement à l’égard des femmes. Reste que les beaux sont globalement favorisés dans tous les domaines, y compris devant la justice, où ils sont considérés comme moins susceptibles de commettre des crimes et, le cas échéant, jugés avec plus d’indulgence. Ce qui ne signifie pas que les autres n’ont aucune chance dans la vie. Toutefois, contrairement aux beaux «à qui on fait crédit, on attendra qu’ils fassent leurs preuves», comme le résume Lubomir Lamy. Il leur reste bien sûr la beauté intérieure, le charme, tout ce qu’on découvre une fois que l’effet des automatismes à l’œuvre dans notre cerveau est retombé.

Les couples qui durent se trouvent beaux

Si la beauté est associée à la jeunesse, le temps qui passe réserve, dans ce domaine, d’étonnantes surprises.

«Chez les couples qui durent, ceux qui continuent à s’aimer au fil des années, on observe que les partenaires ont tendance à considérer que l’autre a gardé tout son charme, et même qu’il est trop bien pour eux, relève Jean-François Marmion. Après 40 ans de mariage, ils vont estimer que l’autre est bien conservé pour son âge et qu’ils ont bien de la chance parce qu’ils ne le méritent pas!»

On appelle cela l’illusion positive. Le fait de sentir que son partenaire nous voit beau, quitte à nous idéaliser, augmente le sentiment de sécurité affective.

La beauté, la Joconde et notre cerveau

A trop admirer la beauté ne risque-t-on pas de perdre la boule? Pensez au fameux syndrome de Florence ou quand la vue d’œuvres d’art déstabilise l’équilibre mental au point de produire une sorte de décompensation psychologique. Chefs-d’œuvre de la Renaissance ou fatigue du voyage, on ne connaît en réalité pas le déclencheur de telles réactions chez certains touristes. Ce qui est indéniable, c’est que l’art produit de drôles d’effets sur les êtres humains. Le plus connu est celui ressenti face au sourire de La Joconde, de Leonard de Vinci, dont l’ambiguïté est volontiers attribuée au flou produit par la technique picturale du sfumato. Pour la neurologue américaine Margaret Livingston, cette expression, qui semble aller et venir, est aussi générée par notre propre système visuel. Le sourire apparaît et disparaît selon l’endroit où se fixe votre regard, autrement dit votre vision centrale, qui permet de voir les couleurs, les détails. Quand on pose ses yeux sur ceux de Mona Lisa, le reste de son visage est alors perçu par notre vision périphérique, moins précise, qui va capter les ombres autour de sa bouche. Des ombres perçues différemment en regardant directement sur ses lèvres.

© La Joconde, portrait de Mona Lisa, Leonard de Vinci, huile sur panneau de bois de peuplier, 77x 53cm, 1503-1506, Louvre.

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