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Brindilles jetées sur le feu

Comment le vaccin divise les couples

Le vaccin dechire les couples 2

Pour Christian Reichel, thérapeute, la plupart du temps, le vaccin vient s’ajouter à d’autres tensions déjà existantes: «C’est un peu comme si c’était la dernière poignée de brindilles qu’on jette sur le feu. Elle met en lumière des positions différentes au sujet de questions existentielles qui étaient déjà là, mais qui, tout à coup, sont devenues plus évidentes.»

© Getty Images/LaylaBird

La pandémie nous chauffe de plus en plus à blanc et ça n’aide pas à maintenir la paix des ménages. Fin octobre 2021, un sondage SSR venait confirmer ce que beaucoup vivent ou observent au quotidien. Presque une personne interrogée sur deux dit craindre des conflits dans sa sphère privée à cause de la crise sanitaire.

Aucun des huit précédents coups de sonde similaires réalisés depuis le début de la pandémie n’avait jamais atteint de telles proportions. Jusqu’ici, cette préoccupation rongeait moins de 25% des gens. Aujourd’hui, un tiers admet avoir carrément coupé les ponts avec un proche pour cause de divergences au sujet de la gestion du coronavirus. Au cœur des tensions: la vaccination. La pression sur les réticents vient de monter d’un cran, début novembre, avec l’organisation, par les autorités, d’une semaine destinée à les inciter à franchir le pas de l’injection. Sans parler du débat brûlant autour de la loi Covid sur laquelle le peuple suisse se prononcera dimanche prochain. Le cortège de mesures sanitaires destinées à lutter contre la pandémie a passablement refroidi l’ambiance au sein de fratries, d’amis, de proches.

Mais elle met aussi à mal la vie conjugale, comme le confirme Christian Reichel, thérapeute à Antenne Couples, à Lausanne, qui a été confronté à plusieurs reprises à des couples déstabilisés. «De manière générale, on le voit bien, les discussions autour du vaccin peuvent très vite s’enflammer, relève-t-il. Au sein du couple, c’est potentiellement explosif, car cela peut faire naître le sentiment de ne pas être compris.» À l’entendre, la plupart du temps, le vaccin vient s’ajouter à d’autres tensions déjà existantes: «C’est un peu comme si c’était la dernière poignée de brindilles qu’on jette sur le feu. Elle met en lumière des positions différentes au sujet de questions existentielles qui étaient déjà là, mais qui, tout à coup, sont devenues plus évidentes.»

Nouvel objet de discorde

Pour la psychiatre et psychothérapeute Alessandra Duc Marwood, responsable de l’unité les Boréales au CHUV, «les vaccinés comme les non-vaccinés prennent les reproches au sujet du vaccin comme une forme de manque de respect, les uns parce qu’ils se sentent mis en danger avec un partenaire pouvant leur transmettre le virus, les autres parce qu’ils se sentent bafoués dans leur choix individuel. En fait, il s’agit fréquemment de la peur de l’un contre la peur de l’autre.» Elle aussi estime que les situations qui deviennent très conflictuelles révèlent souvent des difficultés préalables. Mais «cela peut aussi surgir au sein de jeunes couples encore dans la phase d’idéalisation, où l’on pense que l’autre peut combler tous nos besoins.»

«Au sein du couple, c’est potentiellement explosif, car cela peut faire naître le sentiment de ne pas être compris.»

Christian Reichel

Thérapeute

Végane vs. carnivore

Certains conjoints sont tombés de haut face à cet enjeu à la fois nouveau et omniprésent qui s’est invité entre eux depuis quelques mois. «Ce n’est pas parce qu’on est en couple qu’on a forcément eu l’occasion de confronter ses convictions face à la vaccination, rappelle Christian Reichel. Or, il ne s’agit pas que d’une question de point de vue, c’est tout l’être qui est touché.» Le thérapeute fait une analogie avec la montée du véganisme dans la société. «Lorsque, tout à coup, un des partenaires devient végane et ne supporte plus que son partenaire mange de la viande à la maison, la relation devient très compliquée. Les prises de position de l’un et de l’autre créent des fronts. Chacun considère qu’il est dans la vérité.»

S’opposer sur la vaccination contre le Covid met à rude épreuve la capacité du couple à gérer le désaccord profond, «amenant un facteur contextuel de stress important», comme le souligne Nicolas Favez, professeur de psychologie clinique à l’Université de Genève: «Certains partenaires pouvaient être dans une situation positive, peu conflictuelle, mais se découvrir peu ou mal armés pour gérer ce type de configuration. Si, avant, on pouvait être dans l’évitement pour certains sujets, la question du vaccin peut rendre saillantes des visions du monde très douloureuses.»

Dans l’intimité des foyers, certains couples optent pour la politique de l’autruche et font du sujet un tabou, tandis que d’autres se prennent le bec régulièrement, notamment parce qu’ils ne peuvent plus se rendre ensemble au restaurant, au cinéma, au spectacle, sans que celui qui n’est pas vacciné fasse un test. Or, «toute cette dimension qui concerne la vie sociale est très importante», estime Christian Reichel. Les choses se compliquent encore quand il y a des enfants ou des ados à la maison. «C’est un problème à entrées multiples», résume le thérapeute. Mais est-ce vivable à long terme? «Un désaccord profond n’est pas fatalement la route vers la séparation, affirme Nicolas Favez. Les couples ensemble depuis longtemps ont généralement l’habitude de se réinventer, de se réadapter, ils montrent une certaine flexibilité. Pour d’autres, cependant, qui restaient un peu par la force de l’habitude, cela peut être révélateur d’une relation un peu étiolée, voire en bout de course.»

La différence, une richesse

Cheffe de service de la Consultation de couple et de sexologie de PROFA, dans le cadre du Programme cantonal d’aide et de conseils pour les couples, en partenariat avec le CSP Vaud, Izabela Redmer estime qu’essayer de changer l’autre est illusoire: «Ce n’est pas un chemin porteur pour sortir des tensions dans le couple. Il est plutôt intéressant de prendre conscience qu’on s’est choisi l’un l’autre aussi parce qu’on est différent. C’est souvent cette différence qui maintient la vitalité de la relation. Et c'est d'autant plus important de chérir la complémentarité. Les divergences de point de vue peuvent être une richesse, d’ailleurs c’est parfois ce qui attire. Au sein des couples, les partenaires n’ont pas forcément les mêmes valeurs.»

Et «le vrai respect dans le couple impliquerait de faire un pas vers l’autre, de négocier des compromis, note, quant à elle, Alessandra Duc Marwood. Il faut également savoir faire le deuil de pouvoir être deux quand on se trouve dans une telle situation, il faut assumer ses choix individuels et les conséquences sociales qui vont avec.» Parmi les outils utilisés par Christian Reichel pour aider ces couples en souffrance, il y a l’intelligence émotionnelle. Autrement dit, la logique qui fait qu’un système de pensée est cohérent à l’intérieur des émotions. «Recourir à cette approche permet, petit à petit, à chaque partenaire d’entrer dans la manière de penser de l’autre. En prenant le temps, on peut arriver à un niveau de compréhension. Attention, compréhension ne veut pas dire acceptation, et la démarche n’est pas totalement symétrique. On ne dit pas à l’un qu’il a raison, ou un petit peu raison, mais chacun invite l’autre à venir dans son jardin, si vous voulez. En lui demandant de ne pas marcher sur ses plates-bandes mais avec la volonté de lui montrer ce qu’il est en train de cultiver.»

«Les divergences de point de vue peuvent être une richesse, d’ailleurs, c’est parfois ce qui attire.»

Izabela Redmer

Cheffe de service de la Consultation de couple et de sexologie de PROFA, dans le cadre du Programme cantonal d’aide et de conseils pour les couples.

«Notre porte de sortie? Que le pass sanitaire soit retiré», Thomas, 36 ans

«Je savais depuis longtemps que ma copine était contre les vaccins, c’est un truc assez répandu dans sa famille, mais jusqu’ici ça ne nous posait pas de problèmes. Lorsque j’ai décidé de me faire vacciner contre le Covid au printemps, je ne lui ai donc même pas demandé ce qu’elle comptait faire de son côté. J’ai eu la deuxième dose fin juin, je me disais que ça allait faciliter les choses pour voyager, notamment pour nous rendre à plusieurs mariages prévus l’été à l’étranger. Le problème est que ma copine est assez phobique de tous les trucs médicaux, et refuse également l’idée d’un coton-tige dans le nez. Sans vaccin ni test, elle est alors restée tout l’été en Suisse, me laissant partir seul aux mariages auxquels nous étions pourtant tous les deux invités. Cela a fini par créer de vraies disputes. On ne s’est plus parlés pendant des jours et encore maintenant une tension demeure.

D’habitude, on a tendance à glisser les problèmes sous le tapis, on fuit les conflits. On a tous les deux des horaires assez difficiles avec le travail, du coup on fait souvent en sorte de pas gâcher les moments ensemble, même si des reproches existaient sur le manque de disponibilité de l’un ou de l’autre. Mais là, les conséquences sur le quotidien sont trop importantes, c’est impossible de faire semblant. Autrefois on sortait beaucoup au resto, au ciné, et là on ne peut plus rien faire à deux. Certes, j’essaie de respecter son avis, après six ans de relation je ne peux pas dire que je ne connaissais pas ses positions sur les vaccins. Mais je prie pour que les restrictions soient levées pour pouvoir retrouver une vie normale à deux.» [NP]

«Je suis en couple avec une vraie tête de mule», Cinzia, 29 ans

«Je suis en couple avec une vraie tête de mule, un macho de la première heure. Au tout début de notre relation, je trouvais son côté brut de décoffrage assez attirant, viril, mais avec le temps, ma vision a évolué. Nous avons deux enfants en bas âge et son implication dans les tâches domestiques est toujours proche de zéro. Malgré mes remarques, mes plaintes, il préfère ne pas se remettre en question. Cette manière de me laisser tout gérer me pèse énormément. Il y a donc des tensions récurrentes dans notre couple.

Au printemps dernier, un élément inattendu est venu jeter de l’huile sur le feu: le vaccin contre le Covid. J’étais pour, d’autant plus que je voulais protéger mes grands-parents, que je visite régulièrement. Mais lui, rétif à l’autorité, veut rester dans son statut de rebelle et refuse cette injonction à se faire vacciner. Les choses se sont gâtées au moment des vacances: nous allons chaque été en Italie pour visiter nos familles respectives, c’est un rituel agréable que j’attends toute l’année. Il ne voulait même pas faire de test. Je suis donc partie seule avec les enfants. Depuis, je lui en veux beaucoup. Je ne comprends pas ce refus de faire le moindre geste pour nous.» [NP]

«On ne remet pas trop ça sur le tapis», Eric, 52 ans

«Ne pas être vacciné était devenu problématique pour mon travail, je ne pouvais plus aller non plus manger au restaurant avec mes collègues, ni aller à un concert. J’ai donc fini par le faire parce que j’ai envie de vivre, tout simplement. Je ne suis pas fondamentalement contre le vaccin, je suis surtout contre la méthode utilisée par nos autorités, cette façon de jouer sur les loisirs des gens pour faire en sorte que tout le monde soit vacciné. Ma femme, elle, est totalement contre, elle ne se fera jamais vacciner. Quitte à ce qu’on doive attendre l’été pour pouvoir aller au restaurant ensemble, sur une terrasse.

Entre nous, cette situation n’a pas débouché sur une crise, mais pour elle, j’ai craqué en allant me faire vacciner. On n’est donc pas tout à fait sur la même longueur d’onde, mais on ne remet pas trop ça sur le tapis, même si c’est difficile d’y échapper. Il suffit de regarder le TJ, le Covid revient sans arrêt. Nous, on essaie de faire en sorte que ce ne soit pas notre sujet de conversation toute la soirée et de respecter nos choix. Pour la paix du ménage.»

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