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Chronique: Le barbecue, une affaire d’homme?

Chronique tant mieux si le barbecue reste masculin

«Nos goûts ne sont pas innés, ils sont le résultat de constructions culturelles. Et s’il est bien un aliment chargé symboliquement et idéologiquement, c’est la viande», nous dit Nora Bouazzouni.

© UNSPLASH/GETTY IMAGES

Au rang des tâches que je laisse bien volontiers aux hommes, le barbecue figure en première place. Grand bien leur fasse, s’ils veulent rester debout pendant deux heures devant un appareil fumant et puant, à recevoir les conseils non sollicités d’amis convaincus d’avoir LA technique imparable pour que ça «prenne» plus vite; à subir les querelles des piqueurs de saucisses et des autres; voire à rester désespérément seuls pendant que nous autres sirotons du rosé dans nos transats.

Non, je ne me battrai pas pour obtenir la parité sur les grillades – d’autant que je ne mange pas de viande, donc on ne peut pas m’accuser d’en profiter. En revanche, lorsqu’une députée française reçoit des tombereaux d’insultes misogynes pour avoir osé dire que le barbecue était un «symbole de virilité», je m’insurge. D’autant que je subis la même chose que Sandrine Rousseau depuis sept ans que j’écris sur l’alimentation et le genre.

Oui, les hommes s’occupent plus du barbecue et mangent davantage de viande que les femmes: en Suisse, c’est quasiment deux fois plus. Mais un sondage Ifop 2022 révélait que les Français les plus viandards sont aussi ceux qui adhèrent le plus aux stéréotypes sexistes.

Nos goûts ne sont pas innés, ils sont le résultat de constructions culturelles. Et s’il est bien un aliment chargé symboliquement et idéologiquement, c’est la viande.

À peine 1% des hommes se disent végétariens, et à l’instar de ceux affichant des convictions féministes, ils sont régulièrement taxés d’«hommes soja» sur les réseaux sociaux… Alors, pourquoi le barbecue reste-t-il indissociable du masculin?

D’abord, car nos imaginaires sont imprégnés de ce qu’on appelle la «pensée magique»: nous avons l’impression, en mangeant l’animal mort, d’absorber son énergie vitale. Et plus il est massif, plus sa chair nous donnerait de la force: une côte de bœuf n’a pas la même connotation qu’une cuisse de poulet.

La viande est aussi depuis longtemps perçue – à tort – comme l’aliment le plus important d’un point de vue nutritionnel.

Et puisqu’on nous a toujours appris qu’homme = force = muscles = viande, il nous paraît cohérent que ces derniers en consomment beaucoup. Faux: les hommes n’ont pas besoin de manger plus de viande – ni de protéines – que les femmes.

Stéréotypes tenaces

Ensuite, car la virilité est affaire de pouvoir. Tuer des animaux pour les consommer assoit la domination de l’être humain sur la nature. Les hommes, dit la Bible, sont nés pour commander au vivant et les femmes, écrit le philosophe Aristote, pour leur obéir. Il faut dire que les stéréotypes les plus anciens sont les plus tenaces, qu’il s’agisse des représentations caricaturales de la préhistoire ou des allégations misogynes de l’Antiquité.

Le médecin Galien estimait que le sang chaud des hommes était synonyme de «courage et d’intelligence». Idem chez Aristote, convaincu de l’infériorité de la femme et de sa faiblesse, car ayant «par sa nature moins de chaleur». En grillant leur viande chassée au supermarché, les hommes ont-ils l’impression de dominer la nature – ou leur gazon bien tondu? Se sentent-ils les héritiers des chasseurs du paléolithique affrontant mammouths et côtelettes, armés de leur pique à brochette – pardon, de leur fer de lance aiguisé – autour du feu rougeoyant de leur barbecue au gaz?

Tant qu’ils ne laissent pas leurs femmes se farcir la préparation des repas tout le reste de l’année, moi je veux bien qu’ils continuent à me servir des aubergines grillées.

Nora Bouazzouni est journaliste et autrice, notamment de «Steaksisme, en finir avec le mythe de la végé et du viandard» (Éd. Nouriturfu, 2021) et «Faiminisme, quand le sexisme passe à table» (Éd. Nouriturfu, 2017). @ CHLOÉ VOLLMER


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