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Ce que l'abrogation de Roe v. Wade signifie pour les droits des femmes

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Depuis le 24 juin 2022, des manifestations ont lieu dans les grandes villes du pays, dont Washington. Sur leurs pancartes, les femmes soulignent qu'elles ont désormais moins de droits qu'une arme à feu.

© PROBAL RASHID/GETTY IMAGES

Le cauchemar que vivent les Américaines ressemble bien trop à une dystopie, à un scénario glaçant tiré de La Servante Écarlate. Sauf que cette terrifiante situation est bien réelle: le vendredi 24 juin 2022, après des mois d'inquiétudes et de protestations, la Cour suprême des États-Unis, majoritairement conservatrice, a décrété l'abrogation de l'arrêt Roe v. Wade, le texte ayant garanti le droit à l'avortement dans le pays, depuis 1973. La décision porte le titre de Dobbs v. Jackson Women’s Health et est parfois surnommée Dobbs dans les médias américains.

Chaque État se voit désormais octroyer le droit d'interdire l'IVG, s'il le souhaite. Et ce devrait être le cas de la moitié d'entre eux, ainsi que le souligne le New York Times. Depuis le 24 juin 2022, ils sont déjà 9 (Alabama, Arkansas, Kentucky, Louisiana, Missouri, Oklahoma, South Dakota, Utah, Wisconsin, Ohio) à avoir officialisé l'interdiction, alors que 11 autres devraient suivre d'ici peu. Le renversement de Roe v. Wade consolide en effet un mouvement conservateur, en place depuis plusieurs années: en 2019, un total de 25 lois restrictives autour de l'IVG étaient déjà intervenues dans des États comme le Mississipi, le Kentucky et l'Alabama. Des exceptions médicales subsisteront chez certains, notamment lorsque la vie de la patiente est en jeu, tandis que d'autres banniront l'IVG après un nombre de semaines légalement établi, souvent fixé à six. Il s'agit d'un point délicat, sachant que l'avortement est parfois une procédure nécessaire à la santé de la mère, lorsqu'elle souffre de certaines conditions médicales, comme une prééclampsie ou une infection.

Or, dans certains États comme l'Alabama, la Louisiane et le Missouri, aucune exception ne sera autorisée dans les cas où la grossesse résulte d'un viol ou de l'inceste. L'Alabama ajoute d'ailleurs que la seule exception médicale autorisée concernera les cas où l'enfant n'a que peu de chances de survivre à l'accouchement. Des précisions qui font froid dans le dos.

La réaction du président Joe Biden

La décision fédérale intervient moins de deux mois après la fuite inattendue d'un projet esquissé (puis validé) par la Cour suprême elle-même, diffusé le 2 mai 2022 par Politico. Cette révélation choc avait outré et marqué l'opinion publique internationale, menant à des manifestations et des tentatives, malheureusement vaines, d'empêcher l'aboutissement du projet. Pour les femmes américaines, il s'agit évidemment d'une catastrophe, sur le plan de leur santé comme sur celui de leurs droits. Sur les réseaux sociaux, bon nombre d'entre elles ont partagé leur détresse, l'impression terrifiante d'avoir fait un bond en arrière dans le temps. Partout aux États-Unis, des manifestations secouent les villes, dans un effort d'exprimer la colère et le refus d'une telle décision.

Le 24 juin 2022, le Président Joe Biden tentait de se montrer rassurant, martelant que le combat n'était pas terminé. Qualifiant la décision de la Cour suprême d'«erreur tragique», il a rappelé que certains Etats autorisaient encore l'IVG, et a encouragé les citoyen-n-e-s du pays à se mobiliser durant les élections de mi-mandat (midterms), qui auront lieu en novembre 2022: en votant pour le parti démocrate, les Américain-e-s pourraient alors faire basculer les tendances dans la Chambre des représentants et au Sénat, dont un tiers des élu-e-s est concerné par ces élections importantes.

De son côté, la Première dame Jill Biden a partagé son désarroi dans un Tweet: «Pendant 50 ans, les femmes ont eu le droit de prendre leurs propres décisions, lorsqu'il s'agit de leur corps. Aujourd'hui, ce droit nous a été volé. Et bien que nous soyons dévastées par cette injustice, nous ne serons pas réduites au silence. Nous ne resterons pas sans rien faire, alors que le progrès si durement gagné nous échappe.»

Des mots combatifs et pleins d'espoir, qui ne résonnent malheureusement pas plus fort qu'un écho, face à toutes les possibles conséquences de cette abrogation, pour les femmes.

Les risques immédiats pour la santé des femmes

L'un des slogans le plus fréquemment martelés durant les manifestations féministes, à Washington, est celui-ci: «Vous ne pouvez bannir les avortements. Vous pouvez juste bannir les avortements sûrs.» En effet, les femmes résidant dans les États concernés par l'interdiction, et qui voudront interrompre leur grossesse, se verront dans l'obligation de se rendre dans les lieux où l'IVG est encore autorisé. Or, cela n'est malheureusement pas possible pour toutes les Américaines. Certaines ne verront alors d'autre choix que d'avorter par leurs propres moyens, soit par des pratiques risquées, soit au risque d'être considérées comme des criminelles.

«Il est important de souligner les conséquences que cette décision aura dans l’immédiat, pour les femmes concernées, note Nadia Boehler, porte-parole d'Amnesty Suisse. Pour celles-ci, cela peut signifier accoucher et garder un enfant, même en cas de grossesse non désirée, ou alors la nécessité d’interrompre la grossesse de manière clandestine. Cela opère un véritable retour en arrière, avec des risques importants pour la santé des femmes.

Rappelons également que les personnes marginalisées, en situation de pauvreté ou les femmes migrantes, seront d’autant plus touchées et mises en danger, sachant qu’elles n’ont souvent pas les moyens de se rendre dans les États américains où il est encore possible d’avoir accès à un IVG dans une clinique.»

Ainsi que le souligne Reuters, les pilules abortives pouvant interrompre une grossesse avant dix semaines ne constitueront pas une solution dans tous les cas, puisqu'elles pourraient également faire l'objet de restrictions. Par exemple, dans 19 Etats, il est interdit pour un-e professionnel-le de la santé de prescrire ce genre de médicament via télémédecine. Si l'administration de Joe Biden a promis d'aider davantage de femmes à y avoir accès en cas de besoin, et notamment en cas de fausse couche, l'ATS ajoute que certains gouvernements ou entreprises en appellent à la justice pour interdire ces pilules.

De la même manière, le documentaire Netflix Roe v. Wade: La véritable histoire de l'avortement (actuellement disponible sur la plateforme) précise que l'abrogation de cet arrêt historique risque également de raréfier les cliniques acceptant de réaliser la procédure et de rendre l'accès aux soins nécessaires plus difficile et potentiellement plus coûteux pour les femmes. Rappelons également que les États-Unis possèdent l'un des taux de mortalité maternelle les plus élevés des pays développés.

Les risques futurs, pour les droits des femmes et des personnes LGBTQI+

«Le problème est que le droit à l’avortement fait partie d’un pack garantissant le respect des droits des femmes, résume Nadia Boehler. En abrogeant l’un des points centraux de ce pack, on ébranle automatiquement tous les autres, tels que la contraception, le planning familial, la santé maternelle…

Le droit à l’avortement est un pilier essentiel, qui vient d’être démantelé au niveau fédéral.»

Et ce n'est malheureusement pas tout. En mai 2022, Roger Cohen, journaliste au New York Times rappelait, au micro de France Inter, que la suppression de Roe v. Wade risquait de fragiliser d'autres droits. Puisque ce texte s'appuyait sur le droit à la vie privée, droit qui n'est pas inscrit dans la Constitution, la décision de la Cour suprême pourrait également mettre à mal les droits des personnes LGBTQI+, le mariage pour tous, le droit à la contraception, le mariage interracial et l'égalité entre les sexes.

En effet, puisque le droit à la vie privée appartient à une clause particulière du Quatorzième Amendement de la Constitution des États-Unis, tous les droits s'appuyant sur cette clause - et n'étant pas spécifiquement listés dans la Constitution - pourraient se retrouver menacés. «Dans ce pays, la loi est bâtie sur des précédents, a expliqué la professeure de droit américaine Caroline Polisi, dans le podcast Skimm This. Cette décision ouvre la voie à l'érosion d'autres de ces droits qui ne sont pas énumérés.»

Les femmes ont-elles moins de droits que les armes à feu?

À ce propos, de nombreuses pancartes brandies durant les manifestations déplorent également que les femmes disposent désormais de moins de droits que les armes, aux États-Unis. Deborah Madsen, professeure de langue et littérature anglaises à l'Université de Genève, spécialiste des études culturelles américaines et auteure de nombreux textes autour du genre, nous explique: «La manière par laquelle cette décision radicale a été prise résonne avec une autre décision prise la même semaine, dans le cas de la New York State Ridfle & Pistol Association, Inc. v. Bruen». En effet, le 23 juin 2022, la Cour suprême choisissait de refuser la requête de l'État de New York, demandant que tout individu fasse effet d'une raison particulière avant d'avoir le droit de porter une arme à feu hors de son domicile. Pour la Cour suprême, le droit des individus à posséder une arme à feu dans ce contexte est protégé par les Second et Quatorzième Amendements de la Constitution.

Or, notre experte rappelle que la décision d'abroger Roe v. Wade est basée sur le principe que la Constitution des États-Unis ne confère aucun droit à l'avortement! Les droits sont donc garantis et protégés lorsqu'il s'agit d'armement, mais pas lorsqu'il s'agit de la santé des femmes... «Cela est inquiétant, car Justice Thomas [le Juge Clarence Thomas, ndlr] a décrété que d'autres droits n'ayant aucune protection constitutionnelle, comme le droit à la contraception, le mariage ou l'intimité entre personnes de même sexe, devraient tous être reconsidérés par la Cour suprême, poursuit la professeure. D'ailleurs, certaines personnes ont souligné, depuis le 24 juin, que Justice Thomas, un homme noir marié à une femme blanche, devrait garder à l'esprit que cela pourrait aussi mettre à mal l'arrêt Loving v. Virginia (1967), qui a levé les lois interdisant le mariage interracial.»

Une théorie démographique terrifiante

Par ailleurs, Deborah Madsen souligne le lien historique entre l'activisme anti-avortement présent aux États-Unis et le mouvement suprémaciste blanc et chrétien: «Ce problème concerne la démographie, et sa proéminence s'accroit avec la diffusion de la "théorie du remplacement", nourrie par l'inquiétude que les individus blancs, d'origine anglo-saxonne, seront remplacés par une majorité de personnes catholiques hispaniques ou issues d'autres groupes ethniques, qui refusent l'avortement pour des raisons religieuses, résume-t-elle. L'idée que les femmes protestantes, blanches et de classe moyenne sont plus nombreuses à avoir recours à l'IVG est perçue comme une raison pour laquelle la population blanche diminue, aux États-Unis. Il s'agit, depuis très longtemps, de l'une des raisons qui motivent les mouvements anti-avortement.»

Pour conclure, notre experte cite Kathleen Belew, autrice de l'ouvrage Bring the War Home: The White Power Movement in Paramilitary America: «Pour les suprémacistes blancs, l'opposition à l'avortement, aux droits LGBTQI+ ou au féminisme, est liée à la reproduction et à la naissance d'enfants blancs», a déclaré l'autrice en septembre 2022, auprès du média The Nation.

Face à tous ces enjeux, le monde observe les décisions prises outre-Atlantique avec angoisse, alors que la liste des États américains interdisant l'avortement s'allonge. Espérons que la voix du peuple saura se faire entendre lors des midterms de l'automne 2022. Et, surtout, espérons que les voix furieuses de toutes les femmes soient entendues. Qu'elles résonnent plus fort que les idées anachroniques voulant abroger leurs droits.

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