Entretien d'embauche
Caroline Matteucci a créé un logiciel pour valoriser l'authenticité
Le mantra de Caroline Matteucci? «Comprendre pourquoi les gens se mentent à eux-mêmes».
© Guillaume PerretD’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Caroline Matteucci s’est toujours demandé pourquoi les gens se mentaient à eux-mêmes. C’est ce qui l’a menée à développer Cryfe, une intelligence artificielle destinée aux professionnels des ressources humaines qui décrypte les signaux émis par l’interlocuteur, que ce soit ses expressions faciales, sa gestuelle, mais aussi sa tonalité vocale. Une innovation récompensée par le Prix RH numérique en novembre 2021.
«Le but, c’est de mettre les gens dans leur potentiel sans les juger. Cela permet de détecter certains signaux, comme une bouche qui se crispe par exemple, pour voir si on a mal interprété un signal, s’il y a de l’inconfort, explique Caroline Matteucci, en agitant quelques mèches de sa magnifique chevelure blanche.
Mon rêve, c’est de rencontrer l’autre tel qu’il est, et non pas tel qu’il voudrait être ni tel qu’on voudrait qu’il soit.»
Une quête d’authenticité qui la guide depuis l’enfance, et qui l’a conduite sur de nombreux chemins de traverse. À 51 ans, cette mère de quatre enfants a déjà vécu plusieurs vies.
Révéler le diamant chez l’autre
C’est peut-être cette même volonté de comprendre pourquoi les gens se mentent à eux-mêmes qui a poussé cette native de Lutry (VD) à devenir profileuse, après avoir intégré les rangs de la police vaudoise lorsqu’elle avait la petite vingtaine.
«Quand j’avais huit ans, je voulais être policière parce que je voyais DeeDee McCall avec Rick Hunter à la télé, et je trouvais ça top. Je croyais que je pourrais rétablir la justice.»
Après quatre ans à la police de sûreté, la jeune femme pétrie d’idéaux déchante. «J’étais aux mineurs et mœurs. Entendre des enfants qui ont été violés, victimes d’inceste, se retrouver face à des auteurs qui minimisaient, c’était dur. J’ai réalisé alors combien l’humain peut être moche, continue-t-elle. Ce que je voulais voir, c’est le diamant chez l’autre, et le pousser à être ce diamant.» Un Graal incompatible avec son métier d’inspectrice. Elle jette l’éponge et se consacre à son nouveau rôle de maman. «J’ai adoré avoir des enfants, mais je ne correspondais pas au moule de la femme à la maison, alors quand mon fils avait deux ans, je suis devenue prof de fitness.» De fil en aiguille, elle devient personal trainer, et se lance même dans l’aventure Koh Lanta en 2011 par défi, «pour me démontrer que j’avais de belles valeurs, et voir si j’étais à même de rester dans mon amour de l’humain même en milieu hostile».
Le déclic libérateur a eu lieu après un accident de ski en 2019. «Ce jour-là, je suis morte – ou plutôt revenue à la vie – sur les pistes. Je me suis vue de haut, comme une tache noire sur la neige. C’est l’inquiétude de mon fils qui m’a fait revenir. Je me suis dit qu’il était temps d’arrêter de douter et de partager ma vision pour révéler le diamant chez les gens.» Un épisode déterminant qu’elle raconte dans un livre, Au fond des yeux (Ed. Slatkine), à paraître prochainement, et un partage de compétences qui prend forme via Cryfe, logiciel nourri des techniques de profilage qu’elle a apprises.
«En tant que profiler, j’observe le langage corporel, la gestuelle, je reviens dessus pour voir s’il y a inconfort. Je reformule, et je fais valider dans le corps de l’autre ces signaux.»
Au quotidien, elle garantit ne pas scanner la gestuelle de ses interlocuteurs en permanence, «même si en famille, on ne me la fait pas!» plaisante-t-elle. Il n’empêche qu’on termine cette interview Zoom avec l’impression d’en avoir autant révélé sur soi qu’elle ne l’a fait d’elle, sans forcément le dire avec des mots.
