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Menstruations et espace public

Avoir ses règles au travail: il y a encore du boulot!

Avoir ses règles au travail: il y a encore du boulot!

Difficile, encore aujourd’hui, dans un monde où les postes de direction sont majoritairement occupés par des individus qui n’ont jamais leurs règles, de penser cette problématique. «D’autant plus que le contexte professionnel pousse les femmes à gommer les spécificités considérées comme féminines si elles veulent monter dans la hiérarchie», observe Aline Bœuf.

© Stocksy

Distributeurs de protections périodiques dans les écoles et les lieux publics, lutte contre la précarité menstruelle: ces derniers mois, les initiatives se sont multipliées dans toute la Suisse romande. De Tavannes à Genève, en passant par les cantons de Vaud et de Fribourg, la question des règles a soudainement déboulé sur le devant de la scène. La parole se libère, pourtant les vieux réflexes et les non-dits qui entourent ces pertes de sang sont loin d’avoir été balayés. Ce n’est pas la sociologue Aline Bœuf qui dira le contraire, elle qui s’apprête à donner une conférence à l’Université de Genève sur le thème «briser le tabou des règles».

On a beau vivre dans une société rationnelle, les menstruations traînent dans leur sillage une symbolique dépréciative, impure. Une perception entretenue par toute une terminologie. Ne parle-t-on pas de protections hygiéniques? «De quoi se protège-t-on, interroge Aline Bœuf, pointant le mot hygiénique qui suppose quelque chose de sale.

Stratégies de dissimulation

Auteure d’un mémoire de Master à l’Université de Genève qui lui a valu le prix Genre 2021, elle s’est penchée sur les règles dans le monde du travail, véritable angle mort de la recherche. Et du débat en général, puisque les menstruations sont considérées comme relevant de la sphère privée.

«Quand les femmes arrivent sur le marché du travail rémunéré, dans les années 60, elles se retrouvent dans un milieu considéré comme neutre, alors qu’en réalité, il a été pensé pour et par des hommes», résume Aline Bœuf.

Difficile, encore aujourd’hui, dans un monde où les postes de direction sont majoritairement occupés par des individus qui n’ont jamais leurs règles, de penser cette problématique. «D’autant plus que le contexte professionnel pousse les femmes à gommer les spécificités considérées comme féminines si elles veulent monter dans la hiérarchie», observe la sociologue.

A tous les échelons, toutefois, c’est la dissimulation qui prévaut. Si elle révèle des réalités individuelles très variées, l’enquête menée par Aline Bœuf met en lumière des préoccupations communes, comme le souci de cacher impérativement le sang, de maîtriser le flux, bref d’escamoter cet événement en élaborant toutes sortes de stratégies. Certaines femmes racontent comment elles se rendent aux toilettes le poing serré sur un tampon pour que personne ne remarque rien. Beaucoup choisissent avec soin leurs vêtements. Jamais de pantalon clair. Alors qu’interrogées par Aline Bœuf, elles admettent n’avoir jamais eu de fuites visibles. Les femmes prévoient, anticipent, s’adaptent afin que rien ne transparaisse. La plupart du temps, elles ne pipent mot de leur état. Et si elles se confient à des collègues, c’est entre femmes et parce qu’il existe un lien d’amitié.

Le congé menstruel: bonne idée, mauvais contexte

Le point le plus négatif relevé par les personnes interrogées? Ce n’est pas tant la douleur que la baisse de moral ou d’énergie associée aux règles et l’impact que cela peut avoir sur la vie professionnelle. Autrement dit, sur la productivité et la qualité des interactions humaines. Quand elles en ont la possibilité, les femmes mettent en place diverses tactiques de contournement. Elles évitent de prévoir des réunions ou privilégient un travail de type administratif. Mais ces petits arrangements avec leur agenda ne sont pas toujours possibles. Les femmes occupent majoritairement des jobs impliquant de nombreuses interactions sociales, elles ont donc souvent peu de marge de manœuvre.

Pour autant, l’idée d’un congé menstruel, tel qu’il existe dans certains pays ne suscite pas un accueil débordant d’enthousiasme. C’est plutôt de la méfiance qu’il inspire, la crainte qu’une telle mesure ouvre la porte à des abus, mais aussi à des réactions hostiles et qu’en fin de compte les choses se retournent contre les femmes, alors qu’elles ne sont pas en position de force dans le monde du travail. Fausse bonne idée? Aline Bœuf, quant à elle, estime qu’il s’agit de la «bonne idée dans le mauvais contexte».

Pour elle, le congé menstruel «est un outil parmi d’autres, une mesure qui pourrait être intéressante si un travail était fait au niveau de l’éducation des décideurs et de la prise en compte de l’inconfort au travail».

Conférence «Briser le tabou des règles: quels enjeux?», le jeudi 14 octobre de 12h à 14h à l'Université de Genève (Bâtiment Sciences II, Salle A300). Inscriptions en ligne.

Le congé menstruel à la peine dans le monde

L’idée d’un congé menstruel de deux ou trois jours dont pourraient se prévaloir les femmes quand elles ne se sentent pas suffisamment bien pour travailler ne date pas d’hier. Certains pays, en Asie notamment, l’ont introduit dans leur législation. C’est le cas de Taïwan, de l’Indonésie, de la Corée du Sud et surtout du Japon, pionnier, qui a adapté sa loi sur le travail dans ce sens à la fin des années 40. Sauf que, très souvent, les principales intéressées renoncent à faire valoir ce droit de peur d’être stigmatisées. Plus proche de nous, le Parlement italien en a débattu en 2017, sans succès. La mesure peine à convaincre même si, dans le privé, des entreprises s’y convertissent, comme le fabricant de culottes menstruelles australien Modibodi, le géant de la livraison de repas indien Zomato ou, plus récemment, la société coopérative de Montpellier La Collective.

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