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Harcèlement sexuel

Après #MeToo: la double peine des femmes qui dénoncent

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Après avoir été agressée par le politicien Yannick Buttet, Laude-Camille Chanton dénonce la double peine qui touche les victimes. «J’aimerais qu’à l’avenir, les femmes se soutiennent davantage entre elles, qu’il y ait plus de solidarité. Car nous sommes toutes des guerrières», déclare-t-elle.

© Charles-Elie Lathion

Les nouvelles, hélas, se suivent et se ressemblent. Adèle Haenel, Ashley Judd, Taylor Swift pour n’en citer que quelques-unes et, dernière en date à l’heure de mettre sous presse, la journaliste Hélène Devynck, qui accuse l’ex-présentateur star de la télévision française Patrick Poivre d’Arvor ou, plus proche de nous, la politicienne de Monthey (VS), Laude-Camille Chanton, «punie par les urnes», et qui a accepté de se livrer dans ce dossier sur sa «vie d’après».

A chaque fois qu’une femme ose prendre la parole et raconter la manière dont elle a été harcelée, agressée, voire violée, c’est le même mécanisme, ou presque, qui se met en branle: sa parole est mise en doute, ses motivations sont suspectes, son comportement – quand ce n’est pas son habillement – expliquerait en partie les événements qui lui sont tombés dessus.

On appelle ça la double peine. Les Anglo-Saxons lui préfèrent le terme de blame the victim. «C’est un phénomène qu’on retrouve très fréquemment dans des situations de harcèlement et de viol où, au lieu de mettre la focale sur l’infraction et son auteur, on se retourne vers la victime et on va chercher ce qui a causé la situation chez elle, comme son habillement ou son attitude, dénonce Maribel Rodriguez, déléguée à l’égalité du canton de Vaud, et nouvelle présidente de la CSDE, la Conférence suisse des délégués à l’égalité. On observe ce mécanisme régulièrement, notamment quand une personne dénonce et veut déposer une plainte.»

Scénario implacable

Conséquence de cette suspicion, les victimes qui parlent sont simultanément mises de côté. Une actrice aura davantage de peine à décrocher de nouveaux rôles, une politicienne n’obtiendra pas de nouveau mandat malgré un bilan positif. Même la meilleure comédienne du monde, une fois la parole exprimée, ne sera plus que celle qui a parlé.

Ce scénario implacable envoie un message désastreux à celles qui hésitent à faire le pas.

«En gros, ça veut dire que le fait d’avoir parlé est puni, les victimes sont invitées à se taire», se lamente Lisa Mazzone.

La conseillère aux Etats (Verts, GE) se bat pour un changement en profondeur du Code pénal au niveau des agressions sexuelles, dénonçant un cadre législatif actuel pas favorable. «Il faut une compréhension collective que l’inacceptable ne doit plus être tu. Et pour justement éviter les tribunaux populaires, qui laissent place à des raccourcis, il faut faire évoluer la loi. Ces prises de parole permettent de nous rendre attentifs à cette réalité, pour ensuite faire évoluer la loi.»

Cette mécanique vicieuse vaut aussi pour celles qui rapportent les témoignages des victimes. Anaïs Bourdet, qui avait fondé le compte Instagram Paie ta schnek, est allée jusqu’au burn-out militant. Mais elle n’a rien lâché pour autant. Elle a rejoint un collectif qui a saisi la défenseuse des droits, en France, face à la discrimination de féministes sur Instagram.

«Le coupable bénéficie toujours de la présomption d’innocence, par contre la victime souffre toujours d’une présomption de culpabilité. C’est ce genre de choses qui mène au burn-out, parce que ça rend fou.»

Maribel Rodriguez ne dit pas autre chose quand elle évoque une «présomption de crédibilité» de celle qui parle. Une notion qu’elle aimerait voir plus souvent évoquée dans le débat. Car il ne faut pas oublier que lors d’un événement traumatique, il est courant – et reconnu – que la mémoire joue parfois des tours, que des trous de mémoire peuvent empêcher la victime de bien se rappeler le déroulé des événements, voire qu’elle change de version au cours de la procédure, au fur et à mesure que les souvenirs se remettent en place. Il y a aussi ce fameux effet de sidération, qui paralyse la victime, incapable de réagir, sans que ça ne signifie qu’elle soit consentante pour autant. «Ce sont tous des mécanismes expliqués, des mécanismes d’autoprotection», insiste la déléguée à l’égalité. Or, lutter contre ce phénomène de mise en doute requiert du temps. Du courage. Et de l’éducation.

Prudemment optimistes

Malgré tout, les raisons d’être prudemment optimistes existent. «Il y a encore beaucoup de résistances, plus ou moins conscientes, mais la situation a tout de même beaucoup évolué depuis l’affaire Lewinsky, analyse Maribel Rodriguez. Et quand je vois cette jeunesse qui manifeste, lors de la grève des femmes ou pour le climat, j’ai l’impression que nous sommes à un moment pivot, j’ai bon espoir dans la relève qui vient.» Ce qui ne l’empêche pas de regretter le silence des hommes sur le sujet. «Je pense que beaucoup d’hommes restent silencieux, alors qu’ils ne se reconnaissent pas dans ces rapports de domination. Il faudrait qu’ils soient entendus.»

En attendant des jours meilleurs, les femmes qui aujourd’hui osent prendre la parole seront encore et toujours des femmes qui se sacrifient. «Même si ce n’est pas facile, il faut continuer à dénoncer. Oui, il y a quelque chose de sacrificiel dans cet acte, mais il ne faut pas oublier que chaque prise de parole va résonner dans le cœur d’une autre victime», résume Anaïs Bourdet.

Et face à l’inertie de tout un système, la tentation du défaitisme, parfois, n’est pas loin. «On sait qu’on ne verra pas tous les progrès souhaités de notre vivant, mais on essaie de donner un maximum d’élan», conclut-elle.

«Nous sommes toutes des guerrières»

Après avoir été agressée par le politicien Yannick Buttet, Laude-Camille Chanton dénonce la double peine qui touche les victimes.

«Les faits se sont déroulés l’été dernier. J’ai osé dénoncer publiquement le harcèlement dont j’ai été victime. Je n’avais pas alors mesuré l’ampleur du raz-de-marée qui s’abattrait sur moi. La présomption d’innocence est essentielle, c’est évident. Par contre, à travers mon expérience, j’ai constaté que le respect de la victime n’allait absolument pas de soi:

on nous demande sans cesse de nous justifier, de prouver.

On a remis ma parole, mes agissements en doute. Et j’ai également été la cible d’articles malveillants, où l’on avait malheureusement laissé la section «commentaires» ouverte. Les multiples attaques, tant sur mon physique que sur ma prise de parole, m’ont vraiment blessée. J’ai reçu des lettres anonymes, des e-mails injurieux, j’ai fait face à des gens dans la rue qui n’hésitaient pas à m’aborder pour me poser des questions très intimes.

Le plus difficile à vivre, outre ces attaques malveillantes? Ne pas avoir été soutenue par ma famille politique, le PLR de Monthey (ndlr: sanctionnée par les électeurs de son parti, Laude-Camille Chanton n’a pas été réélue au Conseil général de la ville après 4 ans de présidence). Mon courage n’a pas été récompensé, au contraire: j’ai payé le prix fort pour avoir osé. Mais, en tant que politicienne, je ne pouvais pas me taire. Je me suis toujours investie pour la société et les thèmes «féminins» font partie de mes combats; j’avais un devoir d’exemplarité.

Comment encourager les autres femmes à dénoncer de tels actes si je ne le fais pas moi-même?

J’avais le sentiment d’appartenir à un groupe politique progressiste et ouvert. La sanction a été terrible. J’étais élue depuis 8 ans, mon travail, mon investissement, mes qualités et mes compétences n’ont jamais été remis en cause. Aujourd’hui encore, je peine à comprendre, à encaisser ce choc. Je ressens cette punition comme une injustice. On ne choisit pas d’être victime, mais je ne m’attendais pas à ce que l’on me mette encore la tête sous l’eau.

Malgré cela, je ne regrette rien. Me taire pour être réélue n’a jamais été une option, je n’aurais pas été centrée avec mes valeurs. Ce qui me fait mal, c’est aussi de constater que mon entourage souffre énormément de cette situation. Comment ne pas être affecté lorsque son enfant est fusillée dans la presse, que sa compagne est descendue en flèche sur les réseaux sociaux? Je culpabilise de leur faire vivre une telle épreuve. D’autant plus que mon nom est désormais uniquement rattaché à cela, on ne met jamais mon bilan politique en avant, on ne parle pas du fait que j’ai été la première femme PLR à accéder à la présidence du Conseil général de Monthey. Je suis «celle qui a parlé». Mais il n’y a pas que ça qui me définisse: j’ai une formation, des compétences, des idées, des valeurs. Pourtant, je suis sans cesse réduite au statut de victime.

En septembre dernier, après plusieurs longues semaines de réflexion, j’ai porté plainte. J’ai la chance d’être une privilégiée et très bien entourée, car cette démarche peut malheureusement être un frein pour certaines, les frais atteignant rapidement des milliers de francs. J’ai constaté que l’on manquait de structures pour encourager les femmes à poursuivre leur combat devant la justice (ndlr: elle envisage de créer une association pour aides les victimes de harcèlement). Dans mon cas, la recherche de consensus n’ayant pas abouti, une procédure pénale est en cours. J’avance, fragilisée par toutes ces épreuves, mais consciente que beaucoup de femmes vivent des situations bien plus difficiles. L’incertitude du verdict et l’attente sont également difficiles à gérer.

Si, en osant parler, j’ai pu aider ne serait-ce qu’une seule femme, j’aurai déjà gagné ce combat. Il faut à tout prix que les mentalités évoluent et que l’on arrête de banaliser certains gestes et certaines paroles.

Les politiques publiques doivent être plus réactives pour gérer la problématique du harcèlement. C’est grave que lorsque l’on dit «non», ce «non» ne soit pas entendu. J’aimerais aussi qu’à l’avenir, les femmes se soutiennent davantage entre elles, qu’il y ait plus de solidarité.

Car nous sommes toutes des guerrières, quels que soient notre parcours, notre vécu. Il reste tant de combats à mener pour nos droits. Personne n’a envie d’être une victime, personne.

Comment la société peut-elle nous punir deux fois? Je n’ai pas envie que les jeunes filles d’aujourd’hui grandissent dans un monde où leur parole vaudra moins, ne sera pas écoutée, dans une société où elles seront toujours jugées, où leur comportement sera constamment remis en question. J’ai envie que nos filles, nos petites-filles puissent parler et qu’on les écoute, qu’on les croit, quoi qu’elles fassent. Et je ne cesserai jamais de me battre pour cela.»

Différents lieux, mêmes mécanismes

Que sont-elles devenues après avoir pris la parole? Retour sur quelques cas célèbres.

Monica Lewinsky, celle qui révéla la cruauté du web vis-à-vis des femmes

© Getty Images

Elle a été – fait simplement énoncé – la première femme au monde à être humiliée de manière massive sur internet, bien avant l’arrivée des réseaux sociaux. Entre 1995 et 1997, alors jeune stagiaire à la Maison-Blanche, elle aurait entretenu une liaison avec le président des Etats-Unis d’alors, Bill Clinton. Des rapports sexuels qu’il a dans un premier temps entièrement niés, y compris sous serment, avant le lancement à proprement parler de la fameuse procédure d’impeachment, qui n’aboutira finalement pas. Alors que l’ex-homme le plus puissant du monde a pu retourner à d’autres activités après cet événement, Monica Lewinsky n’aura plus d’autre choix que de vivre sur cette réputation, bien malgré elle.

Devenue très populaire, elle tentera d’utiliser son nom pour vendre des sacs à main, des méthodes de régime ou une autobiographie. Un livre que le New York Times jugera «de mauvais goût» et «fatigant». Aujourd’hui, à travers des conférences, elle appelle à la fin de l’internet-bashing (l’humiliation collective en ligne) et participera activement à la troisième saison de la série American Crime Story. qui s’arrêtera sur l’affaire Lewinsky-Clinton.

Shiori Ito, son violeur présumé n’a jamais été poursuivi

© Getty Images

Avec un arsenal légal largement insuffisant et une société profondément patriarcale, le Japon n’a pas connu un mouvement #MeToo à la mesure de bien d’autres pays. Forcément, les personnes qui ont, malgré tout, osé prendre la parole, l’ont payé cher. La journaliste Shiori Ito a carrément dû se résoudre à un exil temporaire. Dans son livre, La boîte noire, elle revenait sur le viol dont elle avait été victime en 2015. Selon ses dires, elle avait été droguée alors qu’elle mangeait au restaurant, avant d’être emmenée dans une chambre d’hôtel. Circonstance aggravante pour sa carrière, l’homme qu’elle accusait était le patron d’une chaîne de télévision… et le biographe du premier ministre de l’époque, Shinzo Abe.

Autant dire que pas mal de portes se sont fermées pour elle. Son violeur présumé, lui, n’a jamais été pénalement poursuivi, l’enquête ayant été classée sans suite. Petite lueur positive au milieu de ce maelstrom: la jeune femme a finalement remporté une action civile en dommages et intérêts et son agresseur présumé lui a versé 3,3 millions de yens, soit environ 28 000 francs. Une victoire en forme d’exception: Au Japon, seules 4% des victimes de viol vont jusqu’à déposer une plainte.

Adèle Haenel, désormais, le cinéma lui tourne le dos

© Getty Images

«C’est la honte, la honte! Vive la pédophilie, bravo la pédophilie!» En février 2020, Adèle Haenel, suivie par une petite poignée d’autres invitées, quitte abruptement la cérémonie des César pour marquer son dégoût de voir Roman Polanski récompensé du César de la meilleure réalisation. Celle qui avait accusé, en novembre 2019 dans un billet publié sur le site Mediapart, le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel, alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans, est devenue de facto figure de proue du mouvement #MeToo en France. Elle en subira toutes les conséquences.

Côté positif, un soutien puissant de l’écrivaine Virginie Despentes («Désormais, on se lève et on se barre», sa fameuse tribune) et une nomination à l’académie des Oscars pour rejoindre les votants. Côté négatif, elle n’a plus tourné depuis 2018. Cinq fois nommée aux César, comparée parfois à Isabelle Adjani, parfois à Gérard Depardieu [?], elle n’était pas dupe pour autant: «Et s’il faut que cela me colle à la peau toute ma vie, si ma carrière au cinéma doit s’arrêter après cela, tant pis», estimait-elle déjà fin 2019.

Rose McGowan, l’initiatrice bafouée

© Getty Images

Elle fait partie des figures médiatiques qui ont initié le mouvement #MeToo. L’ex-star de la série Charmed (comme Alyssa Milano, qui a en premier proposé d’utiliser le hashtag #MeToo sur les réseaux pour que les femmes partagent leurs expériences) avoue en 2017, sur Twitter, avoir été violée par Harvey Weinstein en 1997, mais qu’un accord de confidentialité la liait. Les commentaires les plus prompts n’hésitent pas à insinuer que c’est pour revenir sur le devant de la scène que l’actrice livre le producteur en pâture à l’opinion. Mais c’est plutôt le contraire qui se passe. Celle qui a joué sous la direction de Quentin Tarantino ou Brian De Palma se retrouve sans proposition et se tourne dès lors vers la réalisation. Elle a aussi sorti un livre, Brave, qui revient sur son parcours et l’affaire Weinstein.

Asia Argento, en Italie, on la soupçonne de prostitution

© Getty Images

Quand l’actrice italienne Asia Argento avoue, dans The New Yorker, avoir été agressée sexuellement par Harvey Weinstein, encore lui, les réactions des deux côtés de l’Atlantique sont presque diamétralement opposées. Alors que trois jours plus tard, ses révélations – couplées à celles de nombreuses autres femmes – entraînent la démission du producteur jusqu’ici tout-puissant, en Italie, c’est une pluie de critiques et de moqueries qui s’abat… sur elle. Dans la presse, certaines voix estiment que les relations étaient consensuelles; Selvaggia Lucarelli, une blogueuse devenue star (et juge d’émissions de télécrochet comme X Factor ou The Bachelor, notamment) et se présentant comme féministe estime que le délai entre l’agression et les aveux de l’artiste ne lui paraît «pas légitime»; certains parlent carrément de prostitution.

Des attaques qui la poussent à quitter l’Italie. Depuis, elle a à son tour été accusée d’avoir agressé sexuellement l’acteur et musicien Jimmy Bennett lorsqu’il avait 17 ans et d’avoir, pour le faire taire, signé un accord et versé 380 000 dollars. Toutefois, les poursuites seront finalement abandonnées. A la télévision italienne, le présentateur de l’émission Non e l’arena demandera à Jimmy Bennett comment un homme peut se faire violer par une femme…

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