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Angelika Kalt: «Peu de filles s’intéressent aux sciences dures»

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«Lorsque je suis arrivée en Suisse, en l’an 2000, la Faculté des sciences comptait environ 40 professeurs. Et nous étions deux femmes.»

© Anne Laure Lechat

Un parcours tout tracé, accompli avec brio: bac, université, thèse, poste de professeure. Le grand chelem. Mais pour Angelika Kalt, pas question d’en rester là. En 2008, la scientifique d’origine allemande, établie à Neuchâtel, envoie tout valser pour se lancer un nouveau défi professionnel: devenir directrice suppléante du Fonds national suisse pour la recherche scientifique. «Dans mon entourage, personne n’a compris ma décision, personne ne m’a soutenue, confie-t-elle, sans amertume aucune. Pour la plupart des gens, devenir professeure d’université, c’est le Graal. C’est vrai que l’on a un degré de liberté important pour organiser son travail et sélectionner les thèmes sur lesquels on axe ses recherches. J’avais 48 ans et j’avais «réussi», selon certains. Mais je regrettais de n’avoir jamais expérimenté autre chose que cet univers fermé.»

Les sciences ne sont pas une vocation pour Angelika Kalt, mais davantage un «choix par défaut». «J’ai pris une année sabbatique après le bac pour voyager et découvrir ce que j’avais envie de faire, se souvient-elle. J’avais de bonnes notes partout, beaucoup de portes étaient ouvertes, mais impossible de me projeter. Ma mère, professeure des écoles, m’incitait à suivre son chemin en étudiant les langues. Mais ça n’était pas pour moi: j’ai même hésité à faire des études, car j’ai toujours été très indépendante, je travaillais à côté.»

«J’ai fini par opter pour la chimie, c’était une décision très rationnelle, par exclusion. J’aimais le fait que cette discipline recoupe toutes les matières, de la physique aux maths en passant par la biologie.»

Un an et demi plus tard, alors qu’elle suit son cursus à l’Université de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, la jeune femme a une révélation: elle sera géologue. «Je suis tombée dans le cours d’un professeur passionnant qui nous a montré de magnifiques objets rapportés de ses périples ainsi que des diapositives de ses excursions géologiques. La beauté de ces derniers à toute échelle, du paysage volcanique à l’échantillon microscopique de minéraux, m’a éblouie. J’avais envie de comprendre comment la nature avait pu former de telles merveilles.» Angelika Kalt a 23 ans et décide alors de percer les mystères des roches du manteau terrestre. Un à un, elle gravit les échelons puis est finalement nommée professeure de géologie à l’Université de Neuchâtel.

2 femmes pour 40 hommes

«Lorsque je suis arrivée en Suisse, en l’an 2000, la Faculté des sciences comptait environ 40 professeurs. Et nous étions deux femmes. Durant tout mon parcours, cela a toujours été ainsi, j’étais constamment en minorité. Mais je ne me suis jamais arrêtée sur ce fait, je n’y ai jamais trop pensé. L’égalité des chances, malheureusement, était bien moins médiatisée qu’aujourd’hui.» C’est en y repensant, rétrospectivement, que la géologue a pris conscience du climat sexiste qui régnait alors. «Historiquement, c’est un milieu très masculin où les habitudes, les réseaux et les rituels excluaient les femmes, consciemment ou non.»

«Travailler plus de 60 heures par semaine, c’est totalement normal et encouragé dans le monde académique. Mais comment concilie-t-on cela avec le fait d’avoir de jeunes enfants par exemple? Et comment assiste-t-on aux meetings de faculté qui débutent à 17h pour se terminer tard dans la nuit?»

Pour la chercheuse, les inégalités prennent racine bien avant le passage à l’université. «A l’école obligatoire, peu de filles s’intéressent aux sciences dures, déplore-t-elle. Et cela ne fait que s’accentuer avec les échelons que l’on gravit: plus on avance dans une carrière académique, moins nous sommes nombreuses. Aujourd’hui, dans les universités suisses, on ne compte que 23% de professeures.» Angelika Kalt pointe plusieurs raisons du doigt: la compétitivité extrême qui règne dans le milieu scientifique, l’image très technique et théorique des sciences dures ainsi que le déficit de structures pour soutenir les chercheuses dans leurs carrières. «Et en Europe, 25% des femmes dans ce secteur ont déjà été victimes de harcèlement sexuel. La très forte hiérarchisation du domaine académique, l’indépendance tardive de la relève et la longue histoire de domination masculine y jouent certainement un rôle majeur.»

Lutter contre les biais

Afin de soutenir les diplômées après leur doctorat, le FNS a instauré en 2017 le programme PRIMA. Réservé aux femmes, il épaule celles qui se préparent à un poste de professeure. Un subside conséquent ainsi qu’un programme de leadership les accompagnent durant cinq ans. «Nous avons également mis en place un monitoring pour ne pas défavoriser les femmes lorsque l’on sélectionne les meilleures requêtes qui nous parviennent, parmi les 6000 projets que l’on reçoit et évalue chaque année, ajoute-t-elle. Car il ne faut pas se leurrer, tous les cerveaux sont biaisés: il y a beaucoup de tests scientifiques qui démontrent cela. En tant qu’organisation financée par l’argent public, nous devons constamment agir contre ces biais inconscients qui ne jouent absolument pas en faveur des femmes.»

Comment donner envie aux jeunes filles de s’intéresser davantage à la science? Si Angelika Kalt ne détient pas la formule magique, elle met en évidence certains dysfonctionnements qu’elle a pu observer en suivant de près le cursus scolaire de ses deux filles. «En mathématiques et en sciences notamment, il y a énormément de progrès à faire, constate-t-elle. On devrait investir bien davantage dans la vulgarisation des sujets scientifiques et donner la possibilité aux enseignants de mettre en place des expériences, de démontrer concrètement l’utilité et l’importance des sciences pour la société.»

«Et surtout, il nous faut bien plus de modèles féminins auxquels l’on puisse s’identifier. Si l’on continue sur cette voie, on ne va pas changer grand-chose, je le crains.»

L’université, pour toutEs

Ayant eu ses enfants tard, Angelika Kalt n’a pas connu les mêmes problèmes pour concilier vie professionnelle et vie privée que subissent les jeunes mères. «J’étais déjà professeure, je n’avais pas le souci de les élever tout en me battant pour me qualifier pour des postes en même temps. C’était un choix personnel, cela s’est fait comme ça.» La directrice du Fonds national suisse lutte pour que chacune puisse trouver sa place dans ces domaines scientifiques, quelles que soient ses circonstances de vie. «Les règles du jeu sont encore biaisées, et ce n’est pas normal: il faut que le monde académique soit ouvert à toutes et tous. Même si cela ne m’a pas affectée personnellement, je comprends tout à fait que certaines chercheuses puissent se sentir remises en question par son mode de fonctionnement.» Le pire, pour Angelika Kalt? «Le fait qu’elles se jugent coupables de ne pas réussir, c’est très malsain. Mais j’ai confiance en l’avenir, car les choses changent, heureusement.» Même si elles le font bien trop lentement à son goût.

Ce qu’elle cherche: Offrir de bonnes conditions pour la recherche en Suisse aux chercheurs et particulièrement aux chercheuses.

Ce qu’elle a trouvé: Une vie bien remplie et intéressante, tant sur le plan familial que professionnel.

D’où elle vient: Angelika Kalt est née en Allemagne, le 16 juin 1961. Après des études en chimie puis en géologie à l’Université de Fribourg-en-Brisgau, elle devient professeure de pétrologie (science qui explique comment les roches se forment) à l’Université de Neuchâtel en 2000.

Où elle va: En 2008, elle est nommée directrice suppléante du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), puis directrice en 2016. Chaque année, le FNS évalue plus de 6000 projets et encourage la recherche dans toutes les disciplines scientifiques.

La femme qui l’inspire: Marguerite Yourcenar, par son courage. Elle ne se souciait pas de ce qu’on attendait d’une fille ou d’une femme.

Son mantra: Il faut avoir de la persévérance et surtout de la confiance en soi, une devise qui s’inspire de Marie Curie.

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