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Question psycho

Amber Heard vs. Johnny Depp: pourquoi le procès nous fascine autant qu'il nous horrifie

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«On peut se demander pourquoi un procès est surmédiatisé lorsqu’un homme prend la parole, expliquant avoir subi des violences, et pourquoi cela semble malheureusement plus “normal” quand il s’agit d’une femme.» - Julien Borloz, psychologue FSP

© GETTY IMAGES/MICHAEL KOVAC

Ils étaient rayonnants, insouciants et riches, promis à un bel avenir ensoleillé. Puis, de tranchants éclats de verre ensanglantés sont venus déchirer les pages du conte de fées, exposant le chaos tapi derrière les vitres fumées. Parcourue d'autant d'ombre qu'on lui prédisait de lumière, l'histoire ressemble désormais à un glaçant thriller: depuis le 11 avril 2022 Amber Heard et Johnny Depp s'affrontent sans merci, devant les yeux ahuris du monde entier. Leurs visages si familiers apparaissent attristés, excédés et graves, tandis que leurs mots, cris et aveux sont réécoutés, lus et relus devant la cour de Fairfax, en Virginie. Et pendant que les belligérants lacèrent les vestiges de leur amour brisé, nous ne pouvons nous empêcher de regarder le procès, relayé en masse dans les médias et inlassablement commenté sur les réseaux sociaux. Les vidéos de leurs apparitions devant les juges compilent des centaines de millions de vues, tandis que les recherches Google croissent à une vitesse exponentielle. S'il s'agissait d'une série, les plateformes de streaming s'en frotteraient les mains.

On peut alors se demander d'où vient cette curiosité insatiable, cette fascination instinctive pour une histoire qui nous donne surtout envie de détourner les yeux. Voilà une question compliquée et délicate, que nous avons tenté d'élucider avec l'aide de deux psychologues. Cet article ne détaillera donc pas les détails de l'affaire, dont on peut tout de même résumer rapidement les faits:

En 2016, après moins de deux ans de mariage, Amber Heard demandait le divorce et déposait une plainte pour violences conjugales. Ayant obtenu une ordonnance restrictive à l'encontre de son ex-mari, elle avait tout de même accepté de conclure un accord à l'amiable, soldé par une somme de 7 millions de dollars. Deux ans plus tard, la comédienne de 36 ans signait un article dans le Sun, suivi d'une fulgurante tribune dans le Washington Post, révélant avoir subi des violences conjugales durant sa cohabitation avec celui qu'elle qualifiait de «mari violent». Suite à la publication de ce second texte (lequel ne mentionne pas directement le nom du comédien), Johnny Depp s'était vu ostracisé d'Hollywood et viré de la franchise des Animaux Fantastiques, pour laquelle il incarnait le sombre Gellert Grindelwalt. Souhaitant se blanchir pour le bien de ses enfants, l'acteur de 58 ans avait accusé Amber Heard de diffamation, exigeant qu'elle lui reverse 50 millions de dollars de dommages et intérêts. En 2020, l'actrice portait plainte à son tour, réclamant 100 millions de dollars.

En 2022, l'armistice est loin d'être signé: les deux stars sont empêtrés dans une terrible guerre judiciaire, laquelle s'est envenimée durant des années et collectionne les révélations choc. En attendant le dénouement, le monde, captivé, observe et débat.

Inversion des rôles et effet de surprise

Cette fascination du grand public peut s'expliquer, entre autres, par les rôles inhabituels qu'endossent les différents partis: Johnny Depp, le puissant pirate des Caraïbes de toute une génération, révèle des photos de son visage tuméfié et de son doigt déchiqueté. De sa voix qu'on a maintes fois entendue clamer des répliques assurées à l'écran, il raconte avoir été moqué, violenté, manipulé par son ex-femme: «Il n’est pas courant qu’un homme parle de violences conjugales et cela peut déjà créer un effet de surprise, commente le psychologue FSP Julien Borloz.

On peut dès lors se demander pourquoi un procès est surmédiatisé lorsqu’un homme prend la parole, expliquant avoir subi des violences, et pourquoi cela semble malheureusement plus “normal” quand il s’agit d’une femme.»

De la même manière, il est tout aussi inhabituel de voir une femme sur le banc des accusés. Bien qu'il soit impossible de désigner un coupable de façon claire, Amber Heard, le visage angélique et les cheveux impeccablement coiffés, est tout de même accablée de preuves choquantes devant les juges. Pour l'heure, l'enquête penche plutôt en faveur de Johnny Depp. «Sur les réseaux sociaux, il me semble que le procès active une forme de mécanisme machiste, précise la psychologue FSP Adèle Zufferey. Cette affaire est emblématique, dans le sens où l'on découvre qu'Amber Heard n'a pas dit toute la vérité et s'avère être autrice de violences. Elle est perçue, dans certains discours, comme une femme hystérique par excellence, voire un démon. Cela nourrit l'argumentaire des masculinistes qui martèlent que lorsqu'une femme affirme avoir été violentée, elle ment.» S'en suivent évidemment d'importants et larges débats, sachant que ces questions dépassent de loin le seul cas des deux stars américaines.

Le procès se regarde comme une série judiciaire

La colère et la fascination sont également amplifiées par la célébrité des opposants, initialement admirés et applaudis de tous. Comment ne pas se sentir un peu touché-e, lorsqu'on s'est réveillé-e pendant des années devant un poster de Johnny Depp, affiché dans notre chambre d'ado? Ainsi, selon les faits révélés devant la cour et la version qu'on choisit de croire, on peut se sentir profondément trahi-e, ou triste pour le comédien.

«Ce sont deux personnalités célèbres qu’on a l’impression de connaître et dont on a peut-être suivi le parcours depuis des années, souligne Julien Borloz. De ce fait, on peut se sentir émotionnellement concerné-e, chacun-e y va de son avis et, comme s’il s’agissait d’une série fictive, on veut connaître le dénouement de l'affaire.»

En effet, il peut être difficile de totalement percevoir le caractère réel des faits, tant ils sont grandiloquents, dignes d'un scénario hollywoodien et... vécus par deux acteurs. Surtout que les productions actuelles regorgent de récits du même type, incluant procès judiciaires et conflits maritaux: «Récemment, les gens ont commencé à s'intéresser de plus en plus aux procès médiatiques, tels que l'affaire Free Britney, poursuit Adèle Zufferey. Cette dernière a d'ailleurs donné lieu à des documentaires, par la suite. On constate un certain engouement pour le suivi des procès et le déroulé des audiences. Cela s'est répercuté dans certaines fictions américaines comme Law & Order et, plus récemment, dans la série Netflix Inventing Anna. Dans ce sens, on peut suivre ce procès comme on regarderait une téléréalité.» Dans la liste des séries concernées figurent aussi The Undoing, Anatomie d'un Scandale ou encore The Staircase...

Par ailleurs, il pourrait s'agir d'une autre manière de se changer les idées: «Je me demande si cette affaire permet d’occuper un peu les esprits face à l'actualité anxiogène et terrifiante liée à la guerre en Ukraine, ajoute notre experte. Toutes les informations différentes permettent de cristalliser l’attention sur autre chose.» Le duel Depp vs. Heard aurait-il pris la relève de la gifle de Will Smith, pile au moment où le buzz distrayant, enfin, s'évanouissait un peu..?

© GETTY IMAGES/JIM LO SCALZO

La curiosité est humaine

Notons toutefois qu'il est totalement normal et humain de ressentir de la curiosité envers ce type de scandale. Pour Adèle Zufferey, cela se rapporte au réflexe basique du voyeurisme, que nous possédons toutes et tous. Il s'agit d'ailleurs du même mécanisme qui nous pousse à regarder des émissions de téléréalité, très appréciées de nombreuses personnes. «On aime voir ce qu'il se passe chez les autres, note l'experte. Il s'agit d'un réflexe humain qui rejoint l'idée d'attroupement autour d'un événement particulier. Instinctivement, nous voulons comprendre ce qu'il se passe autour de nous: c'est aussi de cette manière que notre cerveau s'est adapté, en cherchant à comprendre un maximum de choses.»

Même son de cloche pour Julien Borloz, qui y perçoit également un côté addictif, lié à l'adrénaline et l'excitation occasionnées: «L’humain recherche des émotions fortes, car elles lui permettent de se sentir vivre et exister, note-t-il. Cette quête de sensations peut évidemment prendre des formes plus ou moins saines, mais si l’on prend l’exemple inoffensif des parcs d’attraction ou des films d’horreur, il s’agit de manières plutôt sûres d’expérimenter ce shot d’adrénaline, sans se mettre réellement en danger.» Le psychologue ajoute, pour conclure, qu'un tel pic d’adrénaline provoque une cascade d’hormones dans notre corps, qui suscitent des réactions potentiellement addictives. Voilà pourquoi il est si difficile de se détourner de l'affaire...

On se sent concerné-e

Devant ce genre d'histoire choquante et transie de suspense, il semble logique que nous nous demandions comment nous aurions réagi à la place d'une des stars. «Le fait de regarder de tels contenus peuvent permettre à certaines personnes de se sentir rassurées quant à leur propre expérience», précise Adèle Zufferey. Encore un mécanisme qu'on peut facilement retrouver dans la téléréalité, les séries ou les documentaires.

Notons aussi que le fameux procès peut résonner de manière très douloureuse, selon notre parcours de vie. «Malheureusement, beaucoup de personnes, hommes et femmes, sont ou ont été concernées par de la violence, au sein de leur couple ou de leur famille, rappelle Julien Borloz. Selon nos vécus, nos souvenirs ou ceux de nos proches, on tendra à se sentir davantage concerné-e et à se reconnaître dans les propos énoncés durant le procès. Le fait que des personnalités publiques en parlent peut aussi lever un tabou pour certaines personnes.» Or, cela peut aussi représenter un véritable trigger, susceptible d'infliger de terribles flashbacks ou de ranimer des blessures passées. Sachant que des flopées d'articles et de photos circulent non-stop sur la Toile, la situation peut être particulièrement difficile à vivre pour les personnes concernées. Comment réagir, alors, lorsqu'une telle affaire apparaît de tous les côtés, devenant presque impossible à ignorer?

«Face à l'effet d'amplification des réseaux sociaux, je conseillerais aux personnes pour lesquelles il s'agit d'un trigger de se tenir au maximum à l'écart de ces plateformes, préconise Adèle Zufferey. Pour se protéger, il pourrait être bénéfique de sortir de cette bulle digitale, souvent négative, pour aller dehors, voir nos proches... Par contre, si le phénomène est douloureux et difficile à gérer seul-e, il faut absolument en parler, trouver de l'aide auprès de professionnel-le-s formé-e-s en psychotraumatologie.»

Le dernier épisode de ce thriller judiciaire taille réelle n'est effectivement pas près de sortir, alors que le procès s'étendra aussi sur le mois de mai 2022. Quoi qu'il arrive, Johnny Depp et Amber Heard seront éternellement marqués par cette bataille et ont tout à y perdre. On attend les documentaires, dès l'année prochaine.

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