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Ses yeux écureuil, qui racontaient des histoires de printemps, me sont apparus un matin dans la salle de rédaction du journal où je travaillais, saupoudrant ma vie de poudre de fée. Elle a fait couler une rivière dans mes yeux, elle s’y baignait. Elle était photographe, moi journaliste. Je venais de voir un documentaire sur le Groenland et j’ai pensé qu’elle était aussi belle qu’une aurore boréale. Mais à trop regarder ses yeux, j’ai eu peur que les miens s’abîment, faut dire que je souffrais du mal d’amour comme d’autres du mal de mer. Elle semblait impossible à l’aquoiboniste que j’étais. Les pleins et les déliés de l’amour m’avaient fait tomber dans l’oubli comme on tombe dans la neige, laissant la trace éphémère d’ailes d’ange.

Partir en reportage avec elle, c’était partir en vacances. Je suivais le moindre de ses gestes et j’en faisais une épopée de tendresse. Je recueillais des riens, je les confiais à mon album de rêves que je feuilletais la nuit, derrière mes paupières. La courbe de son dos lorsqu’elle se penchait, l’échancrure de sa chemise, le grain de beauté sous son oreille et celui sur sa tempe. Une elfe imprévisible à l’humeur changeante qui, parfois, se secouait comme un chien mouillé pour se débarrasser des échardes attrapées sur la surface rugueuse des êtres humains. Alors, elle s’enfuyait en se serrant dans ses bras pour ne pas perdre les morceaux de son existence. Elle partait supplier les beaux jours d’avant, quand la réalité ne l’avait pas encore exhumée de l’enfance, avant que l’âge adulte l’ampute de son émerveillement.

Je lui racontais les histoires que je lisais dans ses yeux. Je n’avais que mes mots pour la toucher, où alors je frôlais son bras, sa main, d’un geste furtif, à peine esquissé. Je n’embrassais ses lèvres que du regard. Parfois, quand elle me regardait, en penchant un peu son visage, qui disait sa tendre indifférence du monde, il m’arrivait d’avoir la certitude absolue d’être profondément aimé…le temps d’un souffle, de presque rien. Et, un soir, au retour d’une balade imprévue, à musarder dans la romance et les billets doux, j’ai posé ma main sur la sienne. La vie est insoupçonnable, il suffit d’un rien pour qu’elle devienne tout. Sa main, désemparée sous la mienne, me disait qu’elle ne s’attendait pas à ça…

Je l’aimais. Elle m’aimait bien… «J’aime quand je sens les papillons s’envoler de mon ventre…et ce jour-là, j’aime comme le soleil»,m’a-t-elle dit.

Le temps a passé et avec lui, d’invraisemblables vécus, des amourettes sans lendemain et les contingences des passions folles. Nous nous sommes pris des coups de poing en plein cœur; portés disparus sans jamais véritablement nous perdre de vue. Et puis, un autre soir, neuf ans plus tard, j’étais chez moi, dans la maisonnette de mon petit village tranquille, et quoi que je pensais ou faisais, je voyais ses grands yeux écureuil remplis de larmes. J’ai téléphoné, elle a décroché en pleurs. Je retrouvais mon aurore boréale dans un ciel chargé de sanglots.

L’amour a fait bien des zig zag zoug, nous a fait réciter des peut-être, des toujours, des jamais avant de nous faire aimer l’instant présent, sans imparfait, sans passé simple et sans futur. Et un jour, j’ai vu les papillons s’envoler de son ventre…

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