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Un pantalon de cuir noir, des baskets compensées et des cheveux jais au carré, tel un personnage manga, Agnès Giard se pointe la démarche décidée. «Je suis née avec la culture punk et new wave. Mais la révélation m’est venue d’Albator, un dessin animé japonais imprégné d’esthétique cruelle. J’ai découvert l’univers punk, désespéré, de la fin du monde: au milieu de l’apocalypse, Albator – gainé de cuir noir, borgne, balafré – affronte la violence avec une telle poésie haïku…(ndlr: bref poème japonais) J’ai construit mes premiers fantasmes autour de cet univers.»

Voilà qui expliquerait l’origine des deux grands champs d’investigation de cette journaliste: le sexe et le Japon. Ces ouvrages sur la culture de l’Empire du Soleil levant ont en effet toujours trait à l’érotisme. Quant à son nouvel opus, Les histoires d’amour au Japon (Ed. Glénat), il recense les cent histoires d’amour les plus connues, décryptées par des artistes, des anthropologues ou des historiens.

Quand elle a commencé à écrire ce bouquin, des Japonais lui ont dit qu’elle se trompait de titre, car chez eux, l’amour n’existe pas. «Au japon, on ne dit pas «je t’aime». Les gens sont lucides, ils savent que par nature, les émotions relèvent de l’éphémère, que l’amour est voué à disparaître. Par conséquent, on ne dit pas l’amour, on le fait. Quand il n’y a plus d’envie… c’est fini.» Si elle ne mâche pas ses mots, et appelle une vulve, une vulve, c’est que l’experte est également réputée pour son blog Les 400 culs, rattaché au quotidien Libération, où elle décrypte les pratiques sexuelles jusqu’aux plus étranges. Elle tient enfin la rubrique La fesse cachée de la ménagère (pour le magazine féminin Causette), qui révèle les fantasmes insoupçonnables de Madame tout le monde.

A 44 ans, Agnès Giard a gardé, en plus du look, l’allure d’une ado filiforme un peu décalée. «Enfant, on me croyait autiste. J’étais totalement myope et, souffrant d’otites chroniques, j’entendais aussi très mal. Du coup j’étais toujours dans ma bulle et je passais pour une cinglée introvertie. J’ai vécu quasi aveugle jusqu’à ce qu’à 12 ans mes parents s’en aperçoivent et m’offrent des lunettes. J’ai eu l’impression de revenir dans le monde des vivants. Distinguer brusquement, chaque feuille d’arbre, là où je ne voyais qu’un nuage, c’est une expérience mystique!»

Elevée en Afrique par des parents coopérants et professeurs, Agnès a eu «la chance» de ne pas avoir de télé. Au Cameroun, elle dévorait plusieurs bouquins par semaine. Ce qui l’amenée, quelques années plus tard, à suivre une formation littéraire Hypokhâgne Khâgnes à Paris.

Sexe, amour et autres fantasmes

Parler de sexe avec une pro de la question est instructif. Sans tabou, le discours est direct. Il suffit de la brancher sur le phénomène «Porn Mom» et le livre Fifty Shades of Grey: «Les femmes n’ont pas attendu qu’on publie à leur intention des romans mièvres pour se masturber! Même les gamines savent pertinemment où leurs parents cachent leurs Union, Penthouse ou SAS…» Et rapidement, elle repasse du thème du sexe à celui de l’amour, deux domaines voisins, même si l’enquêtrice a longtemps cherché à distinguer les deux… Si elle a quitté Paris la foisonnante pour s’installer à Genève, c’est par amour pour son compagnon valaisan. «On partage la même passion dévorante pour le Japon. Je l’ai rencontré à 39 ans. 39 ans à l’attendre. Des rencontres comme celle-ci relèvent du miracle.»

Parallèlement, elle s’est lancée dans une thèse d’anthropologie pour continuer ses recherches sur le Japon et l’étude de la langue. «Ces trois prochaines années seront monacales. L’environnement suisse est idéal pour cela. Je fais du vélo, des balades, je lis, j’écris des articles, je révise mes kanjis. Et je demande à mon compagnon de faire le cobaye ou alors on discute de mes recherches, de sexe, au lieu de le faire! C’est antilibido le boulot!»

Mis à part son icône de virilité Albator, comment cette inconditionnelle a-t-elle attrapé sa «fièvre jaune»? «Le Japon n’a pas été contaminé par les interdits judéo-chrétiens. Analyser cette culture, c’est retrouver nos racines. Au Japon, le rapport à la nature est encore vivant. On y caresse les pierres sacrées. Et croyez-moi, ces pratiques païennes me parlent. Etant d’origine Bretonne, je sais que des femmes vont encore frotter les menhirs pour tomber enceinte.»Quant à sa vocation pour décrypter l’érotisme, c’est plutôt un héritage intellectuel: sa mère est une spécialiste de littérature libertine. «Elle m’a appris que ce n’est pas la sexualité en soi qui est intéressante, mais son usage politique.

Les libertins sont, à l’origine, des libres penseurs qui remettent en cause la notion d’état de droit divin. Il s’agissait, pour eux, de revendiquer le droit de disposer de son corps, le droit à la conscience religieuse et politique.» Voilà pourquoi la journaliste cherche toujours à recentrer le débat au-delà des grivoiseries. «Nous avons fait de la sexualité une affaire de plaisir, ce qui est finalement pire que ce qu’ont fait les curés qui voulaient réduire le sexe à sa seule fonction reproductive.»

Avant de laisser filer cette femme qui fixe toujours les arbres comme si elle voyait des nuages, on lui demande si des pratiques la révulsent encore. «Les fantasmes des autres sont toujours un peu exotiques ou bizarres. Il semble que les êtres humains soient capables de tout rendre érotique, même les choses les plus incongrues… Les fantasmes sont toujours un peu magiques: quand ils vous touchent, vous voilà métamorphosée…» Agnès évoque ainsi l’altocalciphilie, ce petit pincement au cœur lorsqu’on entend des talons aiguilles claquer sur le pavé, ou la voraphilie, qui consiste à rêver d’être avalé, puis délicieusement massé, par l’œsophage tiède et gluant d’un animal. «La sexualité c’est la capacité d’aller au-delà des apparences, de rendre le monde féerique et de l’érotiser.»

Le lieu

«Au milieu des livres, je me sens bien. J’ai grandi dans la bibliothèque de mes parents. Enfant et ado, je lisais 4 livres par semaine. Nous sommes des êtres faits de mots, ils sont l’écho d’émotions que des morts ont vécu, en des temps si reculés qu’il n’y a souvent plus rien de commun entre eux et nous… à part ces émotions elles-mêmes!»

Deux conférences d’Agnès Giard

Samedi 8 décembre 2012
Au Japon, l’amour n’existe pas… Conférence.
Horaires: 16 h-18 h.
Librairie Rameau d’or, 17, boulevard Georges-Favon, 1204 Genève, Suisse.
www.rameaudor.ch/page1.php

Vendredi 14 décembre 2012
… Si ce n’est pas l’amour, au Japon, qu’est-ce que c’est? Conférence.
Horaires: 17 h 30-19 h.
Librairie Humus, 18bis rue des terreaux, 1003 Lausanne, Suisse.
www.humus-art.com/cms/fr/erotique/photos

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