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Abus au GHB: plus jamais ça!

Abus au GHB: plus jamais ça!

Depuis le mois d’octobre, en Suisse comme dans le reste de l’Europe, des dizaines de témoignages au scénario similaire affluent sur les réseaux sociaux et dans les médias. Le continent vivrait ainsi cet automne une autre vague que celle du coronavirus: une déferlante de tentatives d’abus dans les clubs par le biais de drogues.

© Getty Images

Mia, 20 ans, en a encore des frissons dans le dos. «C’était il y a quelques mois, dans un club lausannois. Je n’avais pas bu d’alcool de la soirée quand tout à coup, à 2 ​h du matin, un mal de tête intense est apparu, puis des nausées, je n’étais pas bien du tout. J’ai aussitôt commandé un Uber pour rentrer chez moi.

«Le chauffeur a dû s’arrêter à une sortie d’autoroute pour me laisser aller vomir sur le bas-côté. «Vous avez sûrement eu un truc dans votre verre», a-t-il dit en voyant mon état.»

«Une fois chez moi, c’était pire. J’ai vomi encore trois ou quatre fois, je n’arrivais plus à me lever de mon canapé. J’y ai comaté pendant des heures.»

Quelques semaines plus tard, c’est son amie qui, devant elle, est victime de symptômes similaires dans une autre boîte. Elle avait papoté au bar avec un groupe de garçons qui l’avaient draguée, lui proposant de la drogue dure. Sa copine avait refusé, mais «son malaise total, après seulement un ou deux verres, laisse penser que l’un d’eux a glissé discrètement une substance dans son verre. Malgré sa détresse, le personnel du club a tenté de minimiser la situation.»

Glaçant, le vécu de Mia n’est malheureusement pas isolé. Depuis le mois d’octobre, en Suisse comme dans le reste de l’Europe, des dizaines de témoignages au scénario similaire affluent sur les réseaux sociaux et dans les médias. Le continent vivrait ainsi cet automne une autre vague que celle du coronavirus: une déferlante de tentatives d’abus dans les clubs par le biais de drogues. Parmi elles, le tristement célèbre GHB, connu sous le nom de drogue du violeur, mais aussi de puissants somnifères tels que le Rohypnol et le Zolpidem. Des substances glissées subrepticement dans un verre pour rendre sa victime plus vulnérable et en faire une proie idéale, une fois isolée de la foule.

Tous les clubs concernés

L’emballement semble avoir débuté en Grande-Bretagne. En deux mois, les autorités britanniques ont recensé plus de 200 cas déclarés. Même multiplication de témoignages en Belgique, dans la région de Bruxelles, en Allemagne et en France, où l’Association générale des étudiants a recueilli une cinquantaine de récits rien qu’en octobre.

En Suisse, la déflagration médiatique s’est opérée début novembre, après une soirée de l’École hôtelière de Lausanne au MAD: un post publié sur les réseaux assurait que 49 jeunes femmes avaient été droguées à leur insu par le biais de piqûres pratiquées en toute discrétion. Des actes dont la véracité est difficile à prouver: aucune plainte ni consultation médicale n’ont été recensées. Réalité ou rumeur malintentionnée, comme le soutiennent certains? D’autres cas ont ensuite été signalés dans plusieurs lieux de Lausanne, Genève, Fribourg, Neuchâtel ou La Chaux-de-Fonds.

«La thématique est connue depuis longtemps, mais ce qui frappe, c’est l’ampleur subite du phénomène, constate Léa Romanens, secrétaire générale de la salle de concert FriSon, à Fribourg. En l’espace de quelques semaines, la majorité des structures liées à la vie nocturne en Suisse romande ont été confrontées à des cas de GHB.»

Les mécanismes derrière une telle explosion demeurent assez mystérieux. «Le monde de la nuit a vécu une pause forcée de presque deux ans. Certaines personnes malintentionnées essayent peut-être de rattraper le temps perdu.» Peut-être. Là réside justement toute la nuance pour ceux qui voient dans cette agitation beaucoup de rumeurs et de légendes urbaines. Ces témoignages qui s’accumulent? Des fêtards qui auraient tout simplement bu trop d’alcool ou qui n’assumeraient pas les effets d’une consommation volontaire de drogues «festives». En France, une cadre de la police a d’ailleurs affirmé que ces femmes n’étaient jamais celles qui buvaient «de la Badoit ou du Coca», laissant entendre que les victimes avaient un peu trop levé le coude et perdu le sens des réalités, au point de négliger leur sécurité en milieu hostile.

Abus au GHB: plus jamais ça!
Des extraits de publications au sujet du GHB dans les clubs, en Suisse et en Europe. De gauche à droite: @_theegalitarian sur Instagram, «24heures», RTS, «Le Temps», RTS, LCI, balancetonbar.com et «Nice Matin».© DR

La charge de la preuve

Certes, les cas d’abus avérés restent difficiles à évaluer, car il y a très peu de plaintes ou de prises en charge aux urgences. Et quand elles ont lieu, il est souvent trop tard, car les substances incriminées deviennent vite indétectables. «Le GHB peut, par exemple, être décelé dans le sang pendant 8 heures et dans l’urine pendant 12 heures», nous explique le CHUV. La réalisation des prélèvements doit donc intervenir rapidement. Et il y a un hic avec l’option de l’analyse des cheveux, dans lesquels le GHB est détectable pendant des semaines: cette substance étant présente naturellement dans l’organisme, il est difficile de départager taux initial et taux découlant d’un apport extérieur.

«Mais ce n’est pas parce qu’il y a très peu de plaintes que les victimes n’existent pas, nuance Christophe Dubrit, chef de service au centre LAVI du canton de Vaud.

«Après une tentative de soumission chimique, a fortiori s’il y a eu un abus, le réflexe consiste davantage à trouver la sécurité chez soi qu’à courir à la police ou aux urgences. Lorsqu’on entend certains témoignages décrivant des symptômes sévères et très spécifiques, alors que les personnes n’ont pas bu plus qu’à leur habitude, on se dit qu’il faudrait peut-être plus les écouter et leur faire confiance.»

De plus, ce n’est pas parce qu’une femme boit et fait la fête qu’il est plus acceptable de mettre du GHB dans son verre. Cela demeure un acte hautement criminel.»

Le petit nombre de plaintes déposées s’explique peut-être aussi par des barrières financières. Les analyses toxicologiques, qui coûtent des milliers de francs, ne sont prises en charge par les assurances que si le médecin traitant les prescrit, souvent des jours après l’événement, donc bien trop tard pour en tirer quoi que ce soit. «Et j’ai entendu des jeunes femmes, pourtant très mal pendant une soirée, dire qu’elles préféraient ne pas appeler une ambulance à cause de son coût élevé», relève Léa Romanens. Selon les chiffres transmis par l’unité de toxicologie du CHUV, entre 10 et 15 demandes d’analyse toxicologique sont recensées chaque année, à la demande de médecins urgentistes ou dans le cadre de demandes médicolégales. Un nombre stable depuis 2017. Les prélèvements réalisés entre 2017 et 2020 – les données pour 2021 seront disponibles au début 2022 – ont confirmé deux cas d’intoxication au GHB.

Culpabiliser l’auteur, pas la victime

Pour Léa Romanens, les récits permettent pourtant peu de doute. «Quand on voit des personnes se retrouver dans un état pas possible en trois secondes alors qu’elles n’ont rien bu, on comprend bien qu’il y a un problème.»

«La société fait beaucoup de prévention auprès des potentielles cibles, en l’occurrence les femmes, mais on ne s’est jamais vraiment adressé aux auteurs de ces actes. J’espère qu’il va enfin se passer quelque chose politiquement de ce côté-là.»

L’automne 2021 semble justement mûr pour l’offensive. En Grande-Bretagne, le collectif Girls Night In a appelé au boycott des boîtes de nuit dans plusieurs grandes villes. Même démarche en Suisse romande, où plusieurs collectifs féministes entendent obliger les clubs à trouver de vraies solutions. Quant au hashtag #BalanceTonBar, nourri depuis quelques semaines, il a permis de recueillir de très nombreux témoignages et de pointer du doigt certains établissements particulièrement concernés en Belgique et en France.

Une accélération de la réplique qui semble commencer à porter ses fruits: au Royaume-Uni, plusieurs individus ont été arrêtés cet automne. Les abus avec l’aide de drogues ne sont donc pas des légendes urbaines et il est temps de réagir pour juguler ces comportements. Après avoir enquêté, Femina a dressé la liste des solutions qui existent pour dissuader ces prédateurs qui arpentent incognito bars et pistes de danse.

1. La safe zone

Il s’agit d’un espace sécurisé, dans l’enceinte de la discothèque ou sur ses abords, dans lequel une personne qui se sent mal pourrait se réfugier en attendant son taxi. «Cette solution existe déjà dans la plupart des grands clubs, remarque Thierry Wegmüller, directeur du D! Club, à Lausanne, et président de l’association vaudoise La Belle Nuit. Les noctambules peuvent s’adresser au personnel pour être amenés dans la safe zone, et être pris en charge par des équipes de premiers secours, selon les clubs.» Or, ce dispositif n’est pas forcément connu du grand public et certains établissements ne peuvent se permettre un tel espace. «Cela dépend de la configuration du lieu», admet Thierry Wegmüller.

2. La prévention sur les réseaux sociaux

«Nous prenons ça sérieusement!» réagissait Fri-Son sur son compte Instagram, le 2 novembre, suite aux récents témoignages de soumission chimique en Suisse romande. Cette prise de position a été saluée par les internautes. Une prévention active de la part des clubs sur les réseaux sociaux, quant aux problèmes de drogue et de harcèlement, permettrait d’instaurer un climat plus bienveillant envers les victimes, et de les encourager, si elles le souhaitent, à partager avec confiance leur mauvaise expérience au personnel du club.

3. La charte

Visible à l’entrée du club, placardée sur les murs intérieurs ou partagée sur les réseaux sociaux, la charte est une manière de clarifier les objectifs de la discothèque, tout en faisant de la prévention. Lors d’une soirée à l’Espace autogéré de Lausanne en 2019, un groupe de collectifs a présenté une charte de respect à l’entrée de l’établissement. Emma, l’une des autrices du document et ancienne membre du collectif Où Êtes-Vous Toutxs, se souvient: «Toutes les personnes devaient la lire. Ça disait «Ici, on veut se sentir en sécurité, mais sans être répressif-ve-x (…), plutôt avec la responsabilité et la bienveillance de chacun-e-x», ou alors «Ici, ne sera tolérée aucune oppression».

«Certaines personnes ont refusé de lire notre charte ou ne voulaient pas se plier à nos règles. Elles ne sont donc pas entrées».

4. Les verres avec couvercle

Adieu les contenants classiques, bonjour les verres en plastique standardisés pouvant se fermer par un capuchon. Telle est la solution privilégiée par certains clubs français, notamment à Brest, pour endiguer les cas de soumission chimique. Une manière de protéger les potentielles victimes sans leur faire porter seules la responsabilité de leur sécurité. «Cela peut être une des solutions à adopter, mais je ne suis pas persuadée qu’on prenne le problème du bon côté, commente Zabou Elisabeth Jaquet, coordinatrice pour le Grand Conseil de la Nuit. Pas forcément réalisable pour tous les clubs car cela nécessite un certain budget.»

5. La surveillance mixte

«C’est un fait, le staff des clubs reste assez masculin», reconnaît Zabou Elisabeth Jaquet. Or c’est justement ce que reprochent certaines victimes: s’être retrouvées face à des employés bien intentionnés mais qui peinaient parfois à prendre conscience de la spécificité de la situation et à réagir avec les bons réflexes. Davantage de femmes dans les effectifs pourraient permettre une meilleure compréhension de ces cas et un accompagnement plus approprié, car leur vécu les rend souvent plus sensibles à ce genre de problèmes. Autre idée: un système de personnes de confiance, identifiées par des badges, vers lesquelles se tourner en cas de problème.

6. Les cours de formation

Reconnaître ce qui pourrait déboucher sur une situation d’abus, repérer une configuration où le consentement n’est pas clair, savoir réagir sans se laisser influencer par des préjugés liés au genre… Tels sont les objectifs d’un cours de formation dispensé par We Can Dance It, un label qui promeut l’égalité dans l’espace public et dans le milieu de la nuit. De plus en plus de clubs romands font appel à ce service pour former leur personnel et le rendre plus apte à combattre les violences sexuelles et à accompagner les victimes.

L’interview de Marc Augsburger, responsable de l’Unité de Toxicologie et de Chimie Forensiques du CURML

FEMINA Qu’est-ce que le GHB et quels sont ses effets?
Marc Augsburger Le GHB, ou gamma-hydroxybutyrate, est une molécule naturellement présente dans notre organisme. Cette substance est administrée par voie orale, sous forme de sel, ou diluée dans un liquide aqueux. Dans les cas de soumission chimique, les symptômes peuvent être notamment de la somnolence, une réduction de l’inhibition, une amnésie antérograde et des vomissements. Les effets apparaissent au bout de 10-15 minutes et durent jusqu’à 4 heures. D’autres substances, comme certaines benzodiazépines, peuvent par ailleurs provoquer des sensations identiques. En toxicologie, nous devons également considérer l’interaction entre les molécules: les effets du GHB sont amplifiés s’il est mélangé avec de l’alcool.

Comment différencier l’ivresse de la drogue?
Cela est impossible avec certitude. Il est rare qu’une molécule présente un effet typique, et l’alcool peut provoquer les mêmes symptômes. Le problème est que, sous l’influence de la substance, la victime ne se rend pas compte qu’elle a été droguée. Et une fois qu’elle est capable de se poser la question, son organisme a déjà éliminé une partie du GHB.

Que faire si une personne semble avoir été droguée?
Il faut se rendre immédiatement dans un centre médicalisé. Dans le cas où elle a réellement subi une intoxication, la personne doit être surveillée. Cela permet aussi le prélèvement rapide des échantillons.

En effet, le GHB est décelable entre 4 et 8 h dans le sang et entre 10 et 12 h dans les urines. Plus tard, on revient à des niveaux physiologiques.

Mais attention: si l’on ne détecte rien, cela ne signifie pas l’absence de soumission chimique.

Les cheveux préservent la présence du GHB plus longtemps…
Oui, mais cela ne représente pas la solution. Pour mettre en évidence une trace anormalement élevée de substance endogène comme le GHB, il faut parvenir à isoler le segment de cheveux de quelques millimètres qui correspond à la période donnée. Malheureusement, cela n’a jamais abouti à des résultats concluants dans des cas de soumission chimique.

Notre commentaire: «Arrêtez de nous dire de surveiller notre verre!»

Elle fête son 19e anniversaire dans un club lausannois. Ses amis trinquent autour de la table, réservée à prix d’or pour l’occasion. Perchée sur ses escarpins au milieu de la piste déjà poisseuse, elle danse sous les reflets argentés de la boule à facettes. Les lourdes basses des sons électro tambourinent dans sa poitrine, il fait moite, les lumières clignotent à en assommer un épileptique. Puis, le trou noir. Se prendre une cuite, ça lui est arrivé, mais jamais à en perdre la mémoire. Jamais. Après quelques heures d’amnésie, elle revient à elle, dégobillant ses tripes devant l’établissement. Puis dans le taxi. Et encore une fois arrivée à la maison.

Cette femme, c’est moi, c’est vous. Vous qui ne saurez jamais vraiment ce qu’il s’est passé durant cette soirée. Ni durant cette autre soirée où vos deux amies qui boivent peu se sont senties affreusement mal au même moment. Ni durant celle que vous raconte votre collègue, lorsque son copain ne tenait plus debout et déblatérait des propos incohérents après avoir siroté le verre qui lui était destiné, à elle.

On nous répète, sempiternellement: «Surveillez votre verre!» Phrase synonyme de solution miracle pour échapper au GHB, glissé dans notre cocktail à notre insu.

La drogue qui disparaît de notre organisme en quelques heures, l’acte tellement difficile à prouver: le crime parfait, en somme. Le «cup condom», la paille testeuse, le vernis à ongles anti-GHB, on peut bien inventer toutes les astuces du monde, si une personne veut droguer, elle droguera. Et si ce n’est pas nous, une autre en fera les frais.

Il est temps que les victimes cessent de subir la peur, la charge mentale de l’alerte constante, l’incertitude, la culpabilité et les accusations de mensonge. C’est aux agresseurs d’avoir honte de droguer et violer. Nos verres, nous les surveillons depuis toujours. Mais demandez autour de vous: on parie que vous trouverez au moins une femme qui confiera son doute d’avoir été droguée à son insu, à cette soirée où elle n’avait pas tant bu que ça.

Aux lieux festifs d’assumer désormais leur part, pour qu’enfin, nos nuits soient plus belles et plus sûres.

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