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Comment les autorités, et les marques qui en sont victimes, tentent-elles de juguler ce fléau? Plongée dans les coulisses de l’aéroport de Genève en compagnie d’une experte.

A gauche, le passage vert, avec l’inscription «rien à déclarer» bien visible au-dessus. Et juste à côté, le passage rouge, celui que bien peu de monde emprunte. Bienvenue à la douane de l’aéroport de Genève, en plein milieu de semaine. Un passage obligé après la descente de l’avion et la récupération de ses bagages sur les tapis roulants. Ces portes rouges et vertes, c’est un peu la partie visible de l’iceberg douanier. Scruter les marchandises qui entrent sur le territoire suisse, c’est le job de Sonia Napoleone, cheffe de service à l’inspection des douanes depuis dix ans. Et elle ne chôme pas. Normal, c’est un drôle d’endroit ici, où se croisent et s’entrechoquent riches et moins riches, Suisses et touristes, ados de retour d’un week-end à Amsterdam et couple terminant sa lune de miel aux Seychelles. Un lieu qui voit défiler le monde.

Le week-end dernier, 30 000 personnes sont ainsi passées par ces portes. Dans le flot des voyageurs, forcément, quelques-uns croient encore bon de ramener comme souvenir de leur séjour à l’étranger un faux sac d’une grande marque de maroquinerie ou des chaussures soi-disant d’un célèbre chausseur parisien. Des surprises comme celles-là, pour Sonia Napoleone et son équipe, c’est tous les jours. Car la contrefaçon, c’est l’une des nombreuses bêtes noires des douaniers. Un marché souterrain énorme et mondialisé, relié à la criminalité internationale, et pesant selon certaines estimations 500 milliards de francs. L’année dernière, la saisie de pièces contrefaites à l’aéroport a encore augmenté: plus 14% par rapport à 2010, soit 519 saisies. Des sacs et des porte-monnaie surtout (49%), mais aussi des chaussures, des montres, des smartphones, des cigarettes ou des médicaments. Tout, absolument tout, est contrefait.

Sonia Napoleone s’inscrit en première ligne dans cette lutte contre les contrefaçons. Rompue à l’exercice, elle sait reconnaître le faux du vrai, le grain de l’ivraie. Il n’y a qu’à voir les caisses débordant de faux articles de luxe, entreposées dans un coin du bureau des douaniers, entre les portes de couleur et la sortie des voyageurs. La pêche de trois jours seulement, des sacs à main en grande majorité, qui prendront bientôt le chemin de l’usine d’incinération des Cheneviers pour être brûlés sous contrôle douanier. Chaque mois, 400 kilos de soi-disant articles de luxe partent ainsi en fumée!

Talons aiguilles et sacs à main

«On ne peut évidemment pas fouiller tous les passagers, donc nous faisons une analyse de risque, on cible plus particulièrement certains vols, et on est très attentifs à tout le comportement non-verbal, explique Sonia Napoleone. On ouvre les yeux, on tourne un peu autour des tapis roulants qui amènent les bagages et, le cas échéant, on intervient.» En clair, une personne qui franchit la porte verte admet implicitement qu’elle est en règle avec la législation suisse. Et si ce n’est pas le cas, gare à elle. «Bonjour madame, contrôle de douane, veuillez me suivre s’il vous plaît.» Le ton est cordial, mais il ne faudrait pas essayer de désobéir à Fabrice, l’un des collègues de Sonia Napoleone, à la carrure imposante.

Il est à peine 10 heures du matin, l’avion en provenance du sud de l’Europe a atterri et le sac que le douanier ouvre dévoile ses secrets. S’étalent alors sur la table en inox des talons aiguilles vertigineux, des foulards très chics, des sacs à main en «cuir», un porte-monnaie, des lunettes de soleil, des ceintures… le tout sous le regard amusé ou interloqué des autres passagers qui défilent à proximité. Très rapidement, le verdict tombe: des contrefaçons. Problème supplémentaire: le ion-scan, sorte de petit aspirateur très technologique, a «respiré» de la cocaïne dans l’un des sacs de la dame originaire d’Afrique. Alors qu’elle passe dans une pièce attenante pour être fouillée plus complètement par une garde-frontière, Fabrice confisque ses achats et rédige une «attestation de dépôt de marchandise en vue de la destruction», qu’il adressera aux titulaires des marques lésées. Qui, à leur tour, pourront se retourner contre la voyageuse pour demander le remboursement des frais de dossier, ces derniers pouvant s’élever à plusieurs centaines de francs. Mauvaise affaire.

Passagers agressifs

Il faut savoir que quelque 80 marques ont ainsi demandé aux douanes suisses d’intervenir en cas de contrefaçon, et sont systématiquement averties si une copie de leur création est interceptée à nos frontières. Pour les autres marques, les douaniers opèrent au cas par cas.

Sur la table d’à côté, les douaniers ont ouvert les bagages d’un couple BCBG qui avait lui aussi franchi la porte verte. A l’intérieur, pour plusieurs centaines de francs d’appareils électroniques et de vêtements de grandes marques. Cette fois, tout est authentique… mais ils auraient dû déclarer ces achats excédant 300 francs, comme le veut la loi. Mal leur en a pris: ils doivent s’acquitter d’une amende de 800 francs. Vraisemblablement, ils ne recommenceront pas. «Beaucoup de gens sont tout surpris que nous les contrôlions, comme si, pour eux, la douane n’existait pas. Mais Schengen concerne les personnes, pas les marchandises!», s’étonne notre douanière.

Il y a contrefaçon et contrefaçon. Certaines sautent aux yeux, comme ces baskets neuves au logo qui s’efface et dont la colle se détache déjà, mais d’autres sont bluffantes pour le néophyte. Même Fabrice et Sonia Napoleone ont failli se faire avoir sur ce sac en cuir d’autruche orange. Failli, car un ou deux détails ne leur ont pas échappé. «Mais je ne peux pas vous dire lesquels, ce serait donner des informations précieuses pour les contrefacteurs», glisse la cheffe de service. Elle-même amoureuse de certaines grandes marques, elle avoue être agacée de voir de jeunes filles se trimballer avec un faux sac à main d’une marque de luxe. «J’essaie de m’abstenir d’observer les accessoires de luxe des gens dans la rue! Autrement, cela deviendrait une obsession. Mais il est vrai que, parfois, cela me fait rigoler...»

Il est à peine 11 heures quand les passagers d’un vol en provenance de la péninsule Arabique commencent à récupérer leurs bagages. Une septantaine de passagers. Dans les bagages d’un jeune homme venant de Singapour, un sac d’une grande marque française. «Un cadeau d’un ami pour ma femme.» Fausse alerte, après auscultation, les douaniers le laissent repartir. «On ne sait jamais sur quoi on va tomber. Parfois on fouille quelqu’un pour vérifier s’il a des contrefaçons, et on tombe sur tout autre chose», avoue Sonia Napoleone. Mais pour elle, c’est surtout l’agressivité de certains qui est dure à comprendre. «Généralement, tout se passe assez bien, mais parfois les gens se permettent n’importe quoi, nous manquent de respect. De notre côté, nous devons garder notre calme, mais une discussion pour une cartouche de cigarette en trop peut certaines fois durer trois heures!»

Batteries explosives

Outre le contrôle des passagers, Sonia Napoleone et ses collègues officient aussi au fret douanier, un immense bâtiment proche de Palexpo. Ici passent chaque jour plusieurs milliers de colis, fraîchement débarqués des avions. Et parmi eux, forcément, pas mal de pièces de contrefaçon. Aujourd’hui, les cartons ouverts au cutter sur la base d’indices (provenance, aspect, ou simple sélection aléatoire…) ont dévoilé leur lot de surprises: plusieurs d’entre eux contiennent de fausses batteries d’une marque de téléphone portable suédoise. Plusieurs centaines de batteries qui, une fois mises dans les appareils, peuvent présenter un risque d’explosion – cela est déjà arrivé. Dans le carton d’à côté, des étuis pour le plus célèbre des smartphones tactiles, arborant des logos de marques de toutes sortes. Avec l’explosion du e-commerce, le nombre de saisies au fret a lui aussi connu un bond (1366 en 2011).

Cathy, experte de douane, avoue être déjà tombée, sur les quais genevois, sur un homme qui lui a proposé – discrètement – d’acheter un sac de marque à petit prix. «Je lui ai dit que je ne voulais pas de sam…», sourit-elle en continuant à ouvrir ses cartons. Pire, le nombre de faux médicaments prend lui aussi l’ascenseur. «Nous avons déjà intercepté un médicament coupe-faim qui contenait du sucre, des anabolisants et du LSD! Alors évidemment, on perd du poids, mais on devient aussi dépendant», s’étonne encore cette jeune femme.

Malgré tout, Sonia Napoleone aime son métier, et s’amuse encore quand elle découvre dans un colis une tablette tactile dernier cri avant sa mise en vente, ou une montre de luxe dont la date affiche un étrange «33» mars.

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