égalité
14 juin: L’histoire de la grève féministe en Suisse
Qui dit 14 juin en Suisse, dit grève féministe. Cette date est en effet synonyme de lutte pour l’égalité avec des manifestations d’ampleur organisées dans tout le pays, cette année 2024 encore.
Mais qu’est-ce qui a mené à ces rassemblements en Suisse? Retour sur plusieurs dates importantes qui ont ancré cette journée dans l’Histoire.
7 février 1971
Les Suissesses obtiennent finalement le droit de vote, bien après de nombreux pays dans le monde, notamment 53 ans après l’Allemagne, 36 ans après la Turquie et 27 ans après la France. L’introduction du suffrage féminin, soumis en votation, a été accepté par les citoyens à 65,7%. Il s’agit d’un premier pas important pour l’égalité après un combat décisif mené par les femmes.
14 juin 1981
Dix ans après le suffrage féminin, la population accepte à 60,3% l’introduction du principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution. Une nouvelle étape essentielle. Dans cet article, on peut lire: «L’homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l’égalité en particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.»
Première grève
29 août 1990
Le projet d’une grève féministe est lancé en 1990, tout comme son organisation par les syndicats et organisations féminines du pays. Liliane Valceschini en est l’initiatrice. Cette ouvrière en horlogerie, membre du syndicat de la Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et de l'horlogerie (FTMH), souffle l’idée d’une mobilisation féminine à Christiane Brunner, secrétaire centrale du même syndicat et vice-présidente de l’Union syndicale suisse (USS).
Cette dernière transmet ce projet de grève au comité du syndicat qui l’approuve en août. Puis, en octobre, le congrès de l’USS accepte également la grève à l’unanimité, même si un travail de persuasion a dû être mené, notamment envers des hommes récalcitrants.
14 juin 1991
Ça y est, on y est. Une grève féministe a lieu dans tout le pays sous le slogan: «Les femmes bras croisés, le pays perd pied». Un demi-million de femmes et des hommes solidaires se mobilisent sur les lieux de travail et des manifestations sont également organisées dans les rues. Certaines personnes s’arrêtent uniquement un bref instant de travailler, portent des badges, organisent des sit-in ou des théâtres de rue et des repas en groupe sont organisés. L'ambiance est festive.
La grève de 1991 se déroule également dans la sphère privée - une originalité - où les femmes cessent tout travail domestique. Il s’agit du plus grand rassemblement public depuis la grève générale de 1918.
Vingt ans après l’obtention du suffrage féminin et dix ans après l’introduction du principe d’égalité, les manifestantes revendiquent l’application de cet article, notamment dans la sphère professionnelle, mais aussi privée, avec le partage des tâches domestiques et la fin des violences sexistes et sexuelles.
L’écho médiatique est fort, au niveau national et international, même si certains médias minimisent la grève féministe, ce qui avait déjà été le cas a priori. Les années suivantes, certaines avancées ont lieu pour les droits des femmes en Suisse, comme l’adoption de la loi sur l’égalité en 1995, l’entrée en vigueur de la solution sans délai (avortement) en 2002 et de l’assurance maternité en 2005.
Mobilisation relancée
8 mars 2018
Lors de la Journée internationale des droits des femmes, les syndicats espagnols organisent une grève féministe dans tout le pays. C’est un succès: 5,3 millions de personnes se mobilisent. Les Espagnoles souhaitent dénoncer toutes formes de discriminations et de violences faites aux femmes. Cet engouement donne des idées aux syndicats suisses, qui commencent à souffler l’idée d’une nouvelle grève en Suisse. L’envie de marquer le coup le 14 juin, en référence à la grève de 1991, est rapidement évoquée.
22 septembre 2018
On assiste à un avant-goût de la grève - que les syndicats évoquent de plus en plus pour l’année suivante - lors de cette manifestation organisée à Berne. Ce cortège est notamment organisé pour revendiquer l’application de l’égalité salariale. Car, au même moment, une révision de la loi sur l’égalité, entrée en vigueur en 1996, est en cours d’élaboration au parlement, sous l’impulsion du Conseil fédéral. La colère gronde. À l’aide de pancartes et de slogans évoquant les discrimination vécues par les femmes, 20’000 personnes défilent dans les rues de la capitale.
L’égalité salariale n'est en effet toujours pas d’actualité avec une différence de 18% entre les hommes et les femmes. Mais les discussions sont houleuses et les réticences se font sentir. Certains parlementaires ne souhaitent pas entrer en matière pour cette révision ou enlèvent tout caractère contraignant à la nouvelle loi. De quoi révolter les syndicats et mettre de l’huile sur le feu en faveur de l’organisation d’une grève féministe.
Une révision du texte est finalement adoptée le 14 décembre 2018 et entre en vigueur le 1er juillet 2020. Mais elle ne prévoit pas de sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale. Il est uniquement exigé que les entreprises de plus de 100 employé-e-s fassent une analyse des salaires des hommes et des femmes et publient leurs résultats. De quoi échauffer encore davantage les femmes avant la grève de 2019.
14 juin 2019
Une vague violette déferle sur la Suisse et rassemble à nouveau 500’000 personnes. Pour mener à bien l’organisation de cette grève et des différents événements qui l’accompagnent, des collectifs ont été formés au niveau cantonal.
L’égalité salariale continue d’être exigée, tout comme la valorisation des tâches domestiques. Les violences sexistes et sexuelles sont dénoncée et la parole est davantage libérée à ce sujet grâce à l’avènement du mouvement #MeToo, en 2017.
Les années suivantes, la grève féministe continue de rassembler de nombreuses femmes chaque année dans le but d’acquérir l’égalité. Lors de la pandémie, la participation est néanmoins affaiblie, mais, en 2023, 300’000 personnes se mobilisent dans tout le pays.
On assiste également depuis 2019 à une convergence des luttes pour combattre toutes les discriminations vécues par les femmes à cause du patriarcat (racisme, homophobie, transphobie). Les faibles salaires et les retraites des femmes deviennent également un thème clé.
14 juin 2024
De nombreux événements, actions et cortèges sont à nouveau organisés en Suisse en 2024. Les membres des collectifs féministes romands se sont mis d’accord sur plusieurs revendications et thèmes qu’elles souhaitent visibiliser: la guerre à Gaza et le sort des Palestiniennes, la montée de la transphobie, la votation sur la réforme de la LPP contre laquelle elles appellent à voter non, la non reconnaissance du travail du care, les inégalités salariales et les bas salaires dans les secteurs féminisés ainsi que le combat important qu’il reste à mener contre les féminicides.
Rendez-vous dans la rue pour cette nouvelle mobilisation!