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Mon steak a un sexe

Viande 2

Des hommes et de la viande, c'est vendeur!

© DR

Le choc. la sidération. Pas un milligramme de viande lors du cocktail dînatoire organisé en l’honneur de Sylvie Podio, la nouvelle présidente du Grand Conseil vaudois, dont on fêtait l’investiture début septembre 2017. Non, pas l’ombre d’un morceau de bidoche sur les tables, et pour cause. Tout le buffet avait été voulu végétarien. Un désert carné qui aura surtout été aride pour les bouches masculines. Car ce sont majoritairement des hommes qui ont regretté de voir saucissons, pâtés et autres viandes séchées leur faire ainsi faux bond.

Madame et ses mets exclusivement veggie d’un côté, ces Messieurs inconsolables réclamant du muscle à manger de l’autre… Au-delà des questions de tradition, voire de politique, qui ont pu être soulevées par la composition du menu, l’événement en pose une: et si les femmes étaient des grignoteuses de végétaux, et les mâles de voraces viandards?

Des différences dans l'assiette

A en juger selon une étude GfK parue cette année, quelque 96% des Suisses consomment de la viande. Soit presque tous. A première vue, difficile donc de soutenir que les herbivores évolueraient en tailleur et les carnivores en cravate. Mais d’autres observations statistiques viennent donner à l’affaire du Grand Conseil une résonance toute particulière: on n’a pas le même comportement face aux produits animaux qu’on soit un homme ou une femme.

Ramenée à une moyenne quotidienne, la consommation de viande s’élève à 81 grammes pour les Suissesses, contre 140 pour les Suisses, révélait l’enquête MenuCH de 2017 publiée par la Confédération. C’est parce que, pense-t-on, dysmorphie sexuelle oblige (ils seraient généralement plus grands) et massifs comme ils sont (une plus imposante masse musculaire que leurs homologues féminines), les mâles Cro-Magnon sont amenés à dévorer davantage de chair animale pour survivre dans ce monde hostile. Eh bien, même pas.

Soif de protéines

Les mangeurs comme les mangeuses helvétiques dépassent tous, et de beaucoup, la recommandation nutritionnelle de seulement… 40 grammes de viande par jour, suffisante pour être en bonne santé. Si les hommes entretiennent une telle idylle avec les vitrines des boucheries et charcuteries, ce n’est sûrement pas par nécessité de leur métabolisme.

Peut-être est-ce tout bonnement parce qu’ils ont longtemps été seuls à s’y tenir de l’autre côté, des fameuses vitrines. «Historiquement, en effet, la division sexuée du travail attribuait plutôt les tâches de boucherie à la sphère masculine», rappelle Julien Vuilleumier, ethnologue rattaché à l’Université de Neuchâtel. Soulignant qu’on en voit encore les scories aujourd’hui, à la fois dans la réalité triviale des bringues en terrasse et l’imagerie des publicités estivales: «Le barbecue est la plupart du temps géré par les mecs, tandis que les femmes s’occupent de préparer les salades en arrière-plan.»

Cette proximité physique ancestrale avec la barbaque, quasi programmée dans leur ADN depuis les premières ripailles du paléolithique, suffit-elle pour qu’on en déduise que les hommes mettent plus facilement de viande dans leur gosier? Pas seulement. Car c’est aussi parce que les femmes, elles, ont été parallèlement écartées du steak.

Davantage soumises au diktat de la minceur, elles surveillent plus souvent ce qu’elles mettent dans leur corps, soulève Nora Bouazzouni, auteure de «Faiminisme. Quand le sexisme passe à table» (Ed. Nouriturfu, 2017). Et cela fait belle lurette qu’elles ont identifié la viande comme un aliment possiblement calorique.

Light et blanc pour les dames

L’observation paraît presque trop simpliste; pourtant, des études semblent bien aller dans ce sens, en particulier celles de la sociologue française Geneviève Cazes-Valette. Ses travaux montrent une préférence très marquée de la gent féminine pour la viande blanche – et le poisson – par rapport aux hommes. Une viande d’ailleurs dite maigre, fréquemment associée aux régimes diététiques.

Et cette représentation mentale est, comment dire, donnée en héritage. «Depuis toute petite, je sais que la volaille est hypocalorique, sourit Nora Bouazzouni. C’est un savoir étrangement très enraciné dans les esprits féminins.» Light et blanc pour les dames. Et pour les mâles, alors? Riche et rouge. Tiens, on s’en doutait un peu.

Entrecôtator

Les recherches de Geneviève Cazes-Valette ont permis de remarquer la primauté de la chair de bœuf, de cheval ou de gibier dans les assiettes masculines, des produits jugés ultraénergétiques par une sorte de bon sens commun pas vraiment vérifié scientifiquement. Outre qu’on devine comme une motivation alimentaire inverse des femmes (il faut nourrir son homme, hein), on sent que la love story intimement masculine avec la viande en général, et la rouge en particulier, découle de quelque chose de plus profond. Celle-ci repaît moins l’estomac du mâle que son mental.

Elle est le carburant phare de sa virilité. La preuve? Tout comportement anticarnivore lorsqu’on est un homme fait basculer illico monsieur de l’autre côté de la barrière. Parmi les faibles, les efféminés et autres spécimens classés pas nets du genre masculin. Un sentiment bien connu d’Aymeric Caron, journaliste, ancien chroniqueur chez Ruquier et auteur de plusieurs ouvrages sur la condition du végétarien – ce qu’il est depuis 25 ans:

«J’ai enduré pas mal de moqueries, toujours formulées par des hommes. On m’a souvent renvoyé l’image de quelqu’un de peu viril, forcément en mauvaise santé. Ce qui ne m’étonne évidemment pas, tant il y a de pans de notre culture, le cinéma, la pub, célébrant le vrai mec à travers la consommation de viande.»

La mémoire du sang

Un Alpha des tablées dont les vertus cardinales supposées seraient, pêle-mêle, la force (on se l’approprie en ingurgitant symboliquement celle de son mets, principe motivant par exemple depuis la nuit des temps le cannibalisme), l’absence de sensiblerie (je mange un bébé animal, et alors?) ou l’appétit gargantuesque. Cette typologie sent un tantinet la naphtaline? Voire le formol? Normal. La collision entre la viande et les attributs traditionnels du masculin s’est produite il y a des dizaines de millénaires, fait remarquer Dominique Bourg, anthropologue à l’Université de Lausanne: «La viande, surtout la rouge, nous rappelle que dès la préhistoire, les hommes étaient dévolus à la chasse, et les femmes à la cueillette. Il existe depuis une veine archaïque, une filiation puissante entre le masculin, la domination de la nature et le sang versé par la mise à mort.» De préférence la mort de bêtes imposantes, potentiellement dangereuses, puisque ça ne fait «pas très impressionnant de dominer des poulets».

Manger pour tuer

On invoquera ici à nouveau les trouvailles de Geneviève Cazes-Valette, qui a bien mis en lumière la vivacité du phénomène, même au XXIe siècle. La sociologue a montré le goût très marqué des messieurs pour la viande servie saignante, bleue, en opposition aux femmes, bien plus portées sur la chair animale cuite à point. Pas franchement une histoire de hasard.

«Cette masculinité classique, qui se conçoit en partie à travers la consommation de viande, c’est le signe qu’on conçoit la virilité comme possibilité qu’on aurait soi-même de mettre à mort, éclaire Florence Burgat, qui a signé un brûlant essai sur le sujet cette année («L’Humanité carnivore», Ed. du Seuil). Et on ne se défait évidemment pas si facilement d’un lien ancestral et planétaire entre la prédation et le caractère viril.»

Le coup de quinoa

On peut cependant penser que ce genre de schéma relève actuellement davantage du fossile vivant resté bloqué très en amont dans l’évolution que du modèle d’avenir. Effectivement. «Depuis ces trois ou quatre dernières années, un glissement de valeurs est en train de s’opérer, affirme Dominique Bourg. On voit toute une génération qui prend ses distances avec les normes de la virilité fixées après-guerre. Le résultat, déjà palpable, c’est un affaiblissement rapide de cet alliage du masculin et de la viande.»

Les plus sceptiques devant cette transformation des codes pourront jeter un œil au cas de Sean O’Malley. Beau gosse au physique sec de 22 ans, il est la nouvelle pépite des rings de MMA, cet art martial réputé hyperviolent… tout en se revendiquant ouvertement végane. Quand il ne poste pas des photos d’assiettes remplies de légumes sur son fil Instagram, l’Américain distribue des raclées d’anthologie pendant les combats. De quoi calmer ceux qui peinent à associer salade de quinoa et masculinité affirmée.

Nachos #nodairy #nomeat #munchies

Une publication partagée par Sugar Sean O'Malley (@sugaseanmma) le

Poches de résistance

Et si les diverses enquêtes voient persister une majorité féminine dans le camp des végétariens, une étude de l‘institut DemoSCOPE, peut-être encore trop isolée pour faire réellement autorité, révélait en début d’année une plus grande quantité de messieurs chez les véganes. Reste que le crépuscule de ce vieux paradigme liant viande et mecs qui en ont va paradoxalement provoquer un regain de vigueur des viandards, souligne Nora Bouazzouni: «Pour les tenants de la virilité traditionnelle, ces hommes terrifiés à l’idée que les femmes puissent devenir leurs égales, le steak devient une arme de résistance. Devoir manger végétarien s’apparente pour eux à une castration. Du coup, déclamer leur amour de la viande est un moyen de défendre l’âge d’or du macho, et de renvoyer la gent féminine à sa place: celle du domestique et du dominé.» La crise diplomatique de l’apéritif végétarien vaudois semble tout à coup prendre une autre dimension, non?

Domination des animaux et des femmes, même combat

La philosophe Florence Burgat a bâti son ouvrage «L’Humanité carnivore» autour d’une thèse décoiffante: ce n’est pas pour manger de la viande qu’on tue, on consomme de la viande pour pouvoir tuer. Si le propos, radical, suscite la polémique, nombre d’observateurs s’accordent sur les notions de prédation, propres ou figurées, véhiculées par ce tropisme mâle envers la viande.

Au fond, nous disent les féministes, la domination de ce patriarcat chasseur de chair s’exercerait indifféremment sur les animaux et les femmes, comme autant de proies à consommer, culinaires ou sexuelles. N’est-il pas étrange, constate l’écrivaine Nora Bouazzouni, que les filles dans le viseur du bonhomme old school soient interpellées «poulette, cochonne, cocotte, gazelle, pintade ou grosse vache»? Que les victimes de dragueurs lourdingues se sentent regardées «comme un morceau de viande»?

Les féministes en précurseurs

Un parallèle déjà décrit à l’aube des années 1990 par l’anthropologue américaine Carol J. Adams. Dans «La politique sexuelle de la viande», un essai qui s’est imposé comme l’une des bibles des anti-spécistes, la chercheuse féministe, expose les liaisons dangereuses entre les valeurs patriarcales historiques et la consommation d’aliments carnés. Mais elle n’imaginait sans doute pas qu’en l’espace d’un quart de siècle, beaucoup de choses changeraient, comme l’analyse Florence Burgat.

«Depuis 10 ans, le monde de la défense des animaux s’est beaucoup masculinisé, après avoir longtemps été le territoire des femmes. C’est triste de le constater, mais cela a contribué à rendre ce mouvement moins méprisable aux yeux de l’opinion…»


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