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Inégalités de genre

Enquête: pourquoi les femmes restent mal soignées

Comment les femmes sont mal soignees

«[Statistiquement], les femmes forment le gros des bataillons des victimes d’effets secondaires des médicaments.» - Delphine Bauer et Ariane Puccini, auteures de Mauvais traitements, pourquoi les femmes sont mal soignées, Ed. Seuil.

© Getty Images

Hommes et femmes sont-ils égaux en matière de santé? On a longtemps ignoré que les symptômes de maladies cardiovasculaires pouvaient être différents chez les uns et les autres, ce qui s’est soldé par une moins bonne prise en charge des femmes, mais la problématique est en réalité bien plus large. On commence tout juste à mesurer l’ampleur des angles morts laissés par une médecine historiquement faite par des hommes pour des hommes.

Prenons les médicaments. Au cœur de notre système de santé, ils sont aussi globalement mieux adaptés aux hommes. Cette réalité biaisée résulte d’abord du processus même de leur développement, comme le relèvent Delphine Bauer et Ariane Puccini, journalistes et auteures d’un livre-enquête à charge sous le titre Mauvais traitements, pourquoi les femmes sont mal soignées. Si les choses commencent à changer, ces dernières sont globalement sous-représentées dans les essais cliniques testant l’efficacité et l’innocuité de nouveaux traitements avant leur mise sur le marché. Aujourd’hui encore, elles ne représenteraient qu’un tiers des participants à ces essais. Historiquement, les femmes ont été laissées de côté pour différentes raisons, parmi lesquelles la maternité. L’affaire de la Thalidomide, cet anti-nauséeux prescrit à de futures mères dans les années 50 et 60, qui a provoqué des malformations, voire la mort de milliers de nourrissons, a produit une onde de choc, rappelle Delphine Bauer:

«L’impact a été important sur la recherche pharmacologique, les femmes en âge de procréer ont été écartées des essais cliniques afin d’éviter les risques dans le cas d’une grossesse.»

Résultat, si les femmes se sont retrouvées surreprésentées dans les secteurs de recherche liés à des problématiques plutôt féminines, comme le cancer du sein, elles sont restées très minoritaires dans la recherche sur les pathologies neutres, comme le cancer du poumon ou les maladies cardiaques.

Sécurité sanitaire en jeu

Ce biais n’est pas sans conséquence. L’efficacité des traitements sur les femmes est moins bien connue et leur toxicité moins bien identifiée avant qu’ils ne soient commercialisés. Car les individus ne réagissent pas forcément de la même manière selon leur sexe. «Il se peut qu’une molécule n’agisse pas avec la même intensité ou n’agisse pas sur les mêmes organes, précise Delphine Bauer. Les différences ne sont pas systématiques, mais ne pas se poser cette question c’est courir le risque de passer à côté d’effets secondaires. Des effets dont on réalise parfois la gravité alors qu’un traitement a déjà été prescrit à un très grand nombre de femmes. Ce qui pose un problème de sécurité sanitaire.»

Les raisons de ces différences entre hommes et femmes sont notamment d’ordres biologique et physiologique. «La proportion de graisse est en général supérieure chez les femmes, or la graisse peut avoir une influence sur la façon dont un médicament est métabolisé.» Le projet Gendered Innovation, de l’Université Stanford, aux Etats-Unis, a ainsi synthétisé certaines différences physiologiques et leur rôle potentiel sur la prise de médicaments. A côté de la masse grasse, d’autres particularités peuvent ralentir l’absorption d’un médicament, comme la motilité gastrique (moindre chez la femme) ou son élimination, comme le fonctionnement des reins et du côlon (plus lent chez la femme).

Ariane Puccini et Delphine Bauer © Roscot Benedicte

Pour Delphine Bauer et Ariane Puccini, il est grand temps d’arrêter de supposer que les femmes assimilent, éliminent et réagissent de la même manière à un même médicament dosé de la même manière. Certaines différences sont observées depuis longtemps, d’ailleurs. Une demi-dose de vaccin contre la grippe provoque une réponse immunitaire chez la femme identique à celle d’un homme après une dose complète. Avec une dose complète, les femmes sont deux fois plus nombreuses à voir apparaître des effets secondaires. Certains somnifères, comme le Zolpidem, connu sous différents noms (Stilnox, Ambien) provoquent plus de somnolence au réveil chez les femmes que chez les hommes. Au point que, depuis 2013, à la suite d’une recrudescence d’accidents de la route imputés à ce médicament, la FDA, autorité américaine de régulation des médicaments, suggère que des comprimés moins dosés soient proposés à l’intention des patientes.

218% de risque en plus

Les informations réunies par Delphine Bauer et Ariane Puccini composent un tableau global qui fait froid dans le dos: Levotyrox, Androcur, Dépakine, Roaccutane ou, plus récemment, Mediator, les grands scandales sanitaires de ces dernières années ont frappé plus durement les femmes. L’exemple du Vioxx est édifiant: cet antidouleur, commercialisé entre 1999 et 2004, aurait causé des dizaines de milliers de morts. Prescrit autant aux hommes qu’aux femmes, il est apparu qu’il augmentait le risque de développer des troubles cardiaques de 28% chez les premiers, contre 218% chez les secondes.

Statistiquement, les femmes «forment le gros des bataillons des victimes d’effets secondaires des médicaments», pour reprendre les termes des deux journalistes qui ont compilé des chiffres provenant du monde entier.

En 2001 déjà, les Etats-Unis faisaient le constat que, depuis 1997, sur les dix médicaments retirés du marché, huit avaient causé plus de dommages chez les femmes. En Allemagne, une étude de 2008 portant sur plus de 2000 patients arrivait à la conclusion que la fréquence des effets indésirables était de 50% plus élevée chez les femmes, et de 100% concernant uniquement les risques cardiovasculaires. Aux Pays-Bas, parmi les patients hospitalisés entre 2000 et 2005 à la suite de réactions médicamenteuses, 57% étaient des femmes. Selon une vaste étude du Centre de pharmacovigilance d’Uppsala, en Suède, menée en 2019 en collaboration avec l’Université d’Utrecht et celle de Toronto, sur 18 millions de déclarations de pharmacovigilance relevées entre 1967 et 2018 dans 131 pays, 60,1% des effets secondaires à travers le monde sont déclarés chez des femmes, contre 39,9% chez des hommes.

L’existence d’un décalage entre les genres a été constatée dans 96% des pays observés.

La surreprésentation parmi les victimes d’effets secondaires concerne principalement des femmes âgées de 18 à 44 ans, mais ne serait pas imputable à une exposition à des contraceptifs. Abstraction faite des signalements liés à ces derniers, il reste, en effet, une proportion de 61% d’effets secondaires recensés chez les femmes de cette tranche d’âge.

Manque de parité

La Suisse n’échappe pas à cette réalité: 59,7% des déclarations d’effets secondaires y concernent des femmes et peu d’études ont été menées sous cet angle. En 2018, toutefois, une équipe du CHUV en publiait une concernant les effets secondaires observés sur près de 3000 patients atteints d’un cancer colorectal et soumis à une chimiothérapie. Résultat, les femmes souffrent significativement plus de nausées, de vomissements, de constipation, de crampes, de stomatite (inflammation de la muqueuse buccale), d’alopécie, de déficit en globules blancs. Entre autres…

Dans la crise du Covid que nous traversons actuellement, les essais cliniques des vaccins ont été réalisés sur presque autant d’hommes que de femmes. Toutefois, si les résultats de leur efficacité font la distinction entre les deux, ce n’est pas toujours le cas en ce qui concerne leurs effets secondaires. Les données genrées manquent et il s’agit d’une lacune globale. Quand on prend la peine de compiler celles qui existent, comme l’ont fait Delphine Bauer et Ariane Puccini, on perçoit mieux à quel point le fait d’être un homme ou une femme peut modifier la donne. Si cette réalité est restée dans l’ombre, c’est aussi en partie en raison de la «sous-représentation des femmes dans les postes de pouvoir du monde de la recherche», juge Delphine Bauer. «Il y a un manque de parité et sans doute un manque de questionnement dans ce domaine», ajoute Ariane Puccini.

Double peine pour les femmes

Au-delà des aspects biologiques, les auteures abordent aussi ce déséquilibre sous l’angle, notamment, des injonctions qui pousseraient les femmes à consommer plus de médicaments. Le Mediator, à l’origine de pathologies cardiaques, était officiellement un antidiabétique, mais utilisé officieusement comme coupe-faim. Il a été avant tout prescrit à des femmes. Tout comme l’Androcur, «pourtant conçu à la base pour lutter contre le cancer de la prostate», comme le rappelle Delphine Bauer, mais finalement prescrit off label, autrement dit pour une autre indication que celle qui lui a valu une autorisation de mise sur le marché, à des femmes souffrant d’hirsutisme ou d’endométriose.

Pire encore, les victimes d’effets secondaires sont souvent soumises à une double peine. Aux conséquences sur la santé d’une mauvaise prescription s’ajoute fréquemment le fait de ne pas être écoutées, de n’être pas prises au sérieux sur le plan médical.

«Toutes les victimes qu’on a rencontrées nous ont dit le mal qu’elles ont eu à faire entendre leur souffrance, relève Ariane Puccini.

Culturellement, une femme est faite pour souffrir.

Des expériences montrent, par exemple, qu’on est plus attentifs aux plaintes d’un petit garçon qu’à celles d’une petite fille. Il faut que nous remettions en question nos réflexes.»

Ces réflexes, selon elle, ralentissent par exemple une prise en charge adéquate de la douleur: «Elle est souvent tardive chez les femmes, ce qui accroît le risque de voir apparaître des maux chroniques et de devoir recourir finalement à des antidouleurs puissants pour y faire face.» Là encore, certains chiffres sont glaçants. Aux Etats-Unis, en deux décennies de crise des opioïdes, le nombre de décès par overdose a augmenté de 400% chez les hommes. Et de 850% chez les femmes.

«En Suisse, nous ne sommes pas en avance»

En Suisse, la question du genre fait son chemin dans le domaine de la santé. Doucement. Pour la première fois, en fin d’année dernière, l’Office fédéral de la statistique publiait une analyse des données de l’enquête suisse sur la santé de 2017 à travers ce prisme. On y découvrait notamment que les femmes étaient plus nombreuses à vivre avec au moins une maladie chronique. Elles ont aussi plus de difficultés à s’endormir et consomment plus d’antidouleurs. Mais la problématique est complexe, comme le rappelle la Pr Carole Claire, qui codirige l’unité médecine et genre à Unisanté, car «les différences entre hommes et femmes sont parfois biologiques, mais souvent sociales, culturelles, structurelles».

FEMINA La Suisse est-elle en retard en matière de médecine genrée?
Pr Carole Claire
Nous ne sommes pas en avance, c’est vrai, notamment en ce qui concerne la recherche. Aux Etats-Unis, l’incitation à une meilleure représentation des femmes – ainsi que d’autres minorités d’ailleurs – dans les essais cliniques remonte au début des années 90. L’Europe a suivi au début des années 2000. En Suisse, il n’existe pas d’équivalent. Même si ce genre d’engagement n’a pas d’effet contraignant, il s’agit de messages forts à l’attention des chercheurs et chercheuses. Le but étant non seulement que plus de femmes soient incluses dans les études, mais aussi de favoriser une analyse des données qui tienne compte du genre pour, finalement, améliorer la qualité de la recherche et les soins aux patients.

En quoi cette question reste délicate?
Dans ce domaine, on est forcément un peu politique. On révèle des inégalités, les privilèges de certains groupes par rapport à d’autres. Les discussions peuvent en effet prendre une tournure délicate. Je l’observe notamment en médecine. Certains considèrent qu’on se situe là en dehors du terrain scientifique, alors qu’il s’agit bien de science, une science qui intègre aussi d’autres éléments que des données purement biologiques.

Quel est le rôle de l’unité médecine et genre d’Unisanté?
Nous travaillons sur deux axes, la recherche et l’enseignement. Nous menons notamment un projet destiné à mieux comprendre et mesurer ce qu’on met sous l’appellation genre dans les cohortes de recherche épidémiologique, afin d’aller plus loin que le sexe administratif, cette case homme ou femme qu’on coche, et mieux définir, par exemple, ce qui fait qu’une femme a une probabilité plus élevée de décéder d’un infarctus. On peut envisager le rôle de ses hormones, mais peut-être aussi d’un certain type de stress.

L’autre axe que nous suivons, c’est l’enseignement et la sensibilisation des futurs soignants. C’est un travail de longue haleine, mais nous avons déjà pu instaurer des cours obligatoires qui abordent ces thématiques.

Nous avons par ailleurs réussi à intégrer le genre dans les objectifs d’apprentissage communs à toute la Suisse et avons reçu un financement pour coordonner ça au niveau national en incluant également le domaine des soins infirmiers. Ce qui constitue une première.

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