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Gastronomie: Les femmes cheffes gagnent (enfin) leur place au soleil

Gastronomie portrait de cheffes romandes

Elles ont eu du cran, du caractère aussi, pour se faire entendre et respecter, se faisant connaître au prix de beaucoup d’efforts et de sacrifices. Chez nous, Irma Dütsch, première femme suisse étoilée, a ouvert la voie.

© Gaetan Bally / Keystone

«Ma cuisine n’est pas un défilé de mode. Je veux bien vous prendre, mais vous allez vous couper les cheveux!» Werner Hertzig, chef à Rheinfelden (AG) et maître d’apprentissage d’Irma Dütsch ne le lui dira pas deux fois et le regrettera peut-être par la suite. Le lendemain, celle qui deviendra la première femme suisse étoilée se présentait dans ses cuisines le crâne quasi rasé. Terminé les longs cheveux blonds tombant jusqu’à la taille. «Ça m’a fait mal au cœur, dira la grande dame du Fletschhorn, à Saas-Fee (VS) qu’elle a tenu pendant trente ans. Pour qu’on ne me le demande plus, je ne les ai jamais laissés repousser.»

C’était dans les années 50-60, à une époque où les femmes faisaient leurs gammes non pas aux pianos des gastros, mais aux fourneaux familiaux. Les places d’apprentissage étaient réservées aux hommes et des écoles apprenaient aux jeunes filles à faire la popote, pas de la gastronomie. Celles qui voulurent en faire leur métier durent se battre pour s’imposer dans un monde purement masculin. D’ailleurs, les termes employés étaient – et sont encore – ceux de l’armée. Ne parle-t-on pas de brigade, de chefs, de sous-chefs, de commis, de couvre-feu, avec un système hiérarchisé, héritage machiste d’Auguste Escoffier, l’inventeur de la cuisine française moderne? Difficile, dès lors, de se faire une place dans le domaine et encore plus d’y régner.

Du cran et du caractère

«Etre une femme en cuisine, ce n’est pas facile, il faut toujours montrer deux fois plus que les hommes», précise la Malaisienne Kwen Liew, une étoile au Guide Michelin pour son restaurant parisien, interrogée par l'AFP en 2018. «Les femmes qui ont réussi en cuisine ont laissé de côté leur féminité. On se crée toutes une carapace, mais il faut du tempérament», avoue Julia Sedefdjian, interviewée par Forbes, benjamine de la gastronomie française et plus jeune étoilée de France.

Elles ont eu du cran, du caractère aussi, pour se faire entendre et respecter, se faisant connaître au prix de beaucoup d’efforts et de sacrifices. En Suisse, Irma Dütsch a ouvert la voie et d’autres cheffes talentueuses ont suivi. On pense à Judith Baumann, fée de la Pinte des Mossettes (FR), à Cécile Tattini, première Suissesse à obtenir un macaron, à Tanja Grandits, à Bâle, couronnée pour son fabuleux travail sur les épices et désignée Cuisinier de l’année (sic) en 2020 ou encore à Maryline Nozahic, une étoile pour sa gourmande Table de Mary à Cheseaux-Noréaz (VD).

Toutefois, elles restent encore trop peu nombreuses de par le monde. Ainsi, dans le 121e millésime du Guide Michelin, paru en janvier 2021, elles ne sont que cinq à diriger ou à codiriger des restaurants dans la liste des 57 nouveaux venus. Et parmi les 130 chefs triplement étoilés, on ne compte que sept femmes (Anne-Sophie Pic, Nadia Santini, Clare Smyth, Elena Arzak, Annie Féolde, Dominique Crenn) dont la toute dernière, la française Hélène Darroze. Au micro d'Europe1, elle a tenu à préciser:

«Je pense à toutes les femmes de la cuisine et je veux qu’elles sachent que… tout est possible. Croyez en qui vous êtes. Vivez votre passion.»

Anne-Sophie Pic

«On ne voyait pas ma venue d’un bon œil»

«La moitié de mon prénom est celui de mon arrière-grand-mère, Sophie Pic. C’est elle qui a démarré la dynastie et lancé, en 1889, l’Auberge du Pin, en Ardèche. C’était l’époque des mères lyonnaises, pionnières de la gastronomie. Cent ans plus tard, je suis arrivée dans un monde qui avait fermé la porte aux femmes et était devenu très masculin. Quand je suis entrée en cuisine, mon père venait de décéder. Les collaborateurs ne voyaient pas ma venue d’un bon œil. J’étais une femme et en plus j’étais autodidacte. Je devais tout apprendre et ce n’est pas parce que je portais le nom de Pic que j’étais légitime. On me l’a bien fait comprendre.

J’ai alors avancé vers une connaissance non acquise par un apprentissage et ça m’a donné plus de liberté. Je me suis mise dans les accords de saveurs, dans le travail créatif de la cuisine. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises façons d’apprendre, il y a juste la volonté. Aujourd’hui, il y a beaucoup de cheffes compétentes en devenir et j’ai envie de leur dire: Restez vous-mêmes!»

Anne-Sophie Pic est la cheffe la plus étoilée du monde. Elle est à la tête de onze restaurants, dont celui de l’Hôtel Beau-Rivage Palace, à Lausanne.

Dominique Crenn

«Je fais du judo, de la boxe et l’amourtous les jours»

Dominique Crenn s’est trouvé un surnom: Rebelle! Elle aussi a souffert du machisme qui, longtemps, a refusé aux femmes l’accès à la haute cuisine. Aujourd’hui militante féministe, elle est la première et unique triple étoilée du paysage gastronomique américain. Quand Paris Match lui demande comment elle fait pour gérer ce qui, en quelques années, est devenu un petit empire, elle répond: «Je fais du judo, de la boxe et l’amour tous les jours.» Précision: «Je rigole!»

En 1988, âgée de 23 ans, elle débarque à San Francisco. Sans diplôme et sans rendez-vous, elle frappe à la porte du célèbre Jeremiah Tower: «Bonjour, je suis Française. En France, on sait cuisiner.» Et ça marche, Il l’engage! Un passage par le Campton Place, à San Francisco, et un détour par l’Intercontinental de Djakarta plus loin, elle décide de créer son restaurant et, en 2011, ouvre l’Atelier Crenn où elle réinvente la cuisine française traditionnelle. Suivront, en 2015, le Petit-Crenn, puis le Bar Crenn, en 2018.

Dominique Crenn, élue meilleure femme chef du monde en 2016, première femme aux Etats-Unis à se voir décerner trois étoiles au «Michelin».

© Frazer Harris / Getty Images

Marie Robert

«On est femme, mais on porte un chapeau d’homme»

Elle pose avec une toque rose sur la tête, met des guirlandes de carottes dans sa longue chevelure rousse. Sur les photos, Marie Robert, jeune cheffe du Café Suisse, à Bex (VD), exprime cette joie de vivre, ce dynamisme qui la caractérise. Sa cuisine lui ressemble: fraîche, créative, ludique. Elle est elle-même, femme, et elle l’assume.

«Quand j’ai commencé, je n’ai pas eu à changer qui j’étais, ni ma personnalité ni mon identité. L’époque est différente d’il y a cinquante ans, mais les femmes sont les mêmes. Certaines sont plus sensibles, plus débrouilles que d’autres, mais toutes sont fortes.

Pour faire ce métier, il faut avoir du caractère. On est femme, mais on porte un chapeau d’homme. En cinquante ans, il y a eu une formidable évolution grâce aux apprentissages, aux écoles hôtelières et à la télévision. Aujourd’hui, les femmes peuvent être cheffe, épouse et maman. Moi, je me vois bien, un jour, avec mon petit en train de s’amuser sur mon plan de travail. Il m’est facile de le dire, je n’ai pas de famille. On en reparle.»

Marie Robert, Cuisinière de l’année en 2019, une étoile au «Michelin», vient de recevoir l’un des dix prix de «La Liste» qui recense les 1000 meilleurs restaurants du monde.

© Lenaka

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