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témoignages

Je donne une seconde vie aux animaux

Femina 03 Temoin Taxidermie

Jeanne a fait des études d'architecture et appris la taxidermie.

© Corinne Sporrer

J’ai grandi à la campagne avec mes deux petits frères. Durant toute notre enfance, nous avons été entourés d’animaux de compagnie et de ferme dans une ambiance proche de la terre. Du coup, nous avons forcément été confrontés à leur mort. Les paysans tuaient les poules et les lapins devant nous, ou alors on venait nous chercher en pyjama pour assister à la naissance des veaux. Ce n’était pas dégoûtant, au contraire, pour nous c’était grisant et plutôt incroyable.

«Je soigne les animaux morts»

Notre maison se trouvait au bord de la route cantonale, et nos chats de gouttière se faisaient souvent «shooter» ou écraser. Quand cela arrivait, malgré la tristesse, nous allions les enterrer dans le jardin, auprès des cochons d’inde et des chinchillas qui les avaient précédés. J’aimais beaucoup travailler avec les os, les retrouver un an plus tard, tout propres du nettoyage des insectes.

Je n’ai plus peur de la mort

Voyant toujours plus gros, j’ai commencé à nettoyer et préparer des os de vache ou de porc, que j’allais chercher à la boucherie du village. J’ai réalisé certains travaux d’arts visuels durant le collège avec ce genre de matériaux. Par la suite, j’ai eu envie de faire ce travail de manière plus complète et plus professionnelle. Petite, j’envisageais plutôt de devenir vétérinaire mais au final, j’ai préféré soigner les animaux morts. C’est un autre point de vue…

De l’architecture à la taxidermie

J’ai étudié l’architecture pendant que mon frère devenait mécanicien. Alors que je suivais un cursus académique, il avait, lui, un rapport physique et direct au travail qui me manquait, tout comme le fait d’avoir un maître d’apprentissage, une personne de référence, un guide. Cela, je l’ai trouvé auprès du taxidermiste du Musée de zoologie de Lausanne, que j’ai contacté durant mon master d’architecture, dans le but d’apprendre cette discipline disparue. Je lui ai dit que j’aimais les os et les animaux morts, et ça lui a parlé! Nous nous sommes rencontrés et il m’a d’abord proposé de venir un jour par semaine, histoire d’apprendre les gestes. Patiemment, il m’a montré comment découper, écorcher, recoudre, nettoyer, monter. A travers cette discipline, j’ai trouvé le rapport au toucher et au construire qui manquait à mes études.

Tout en me diplômant, j’ai commencé à réaliser de petites pièces pour le Musée de zoologie. Les animaux proviennent essentiellement des centres de soins du canton, ce sont des animaux blessés qui n’ont pas survécu ou parfois des pièces que les gens amènent directement. Les zoos sont également liés au musée, comme celui de Servion, ou La Garenne, à Le Vaud. Cela donne lieu parfois à des envois exotiques, comme des autruchons, ou des lynx.

Régulièrement, nous allons aussi à La Vaux-Lierre, à Etoy, qui recueille des oiseaux sauvages blessés. On garde ceux qui sont intéressants: les oiseaux communs mais en bon état, comme des étourneaux, et des oiseaux rares, même s’ils sont un peu amochés.

Je parle aux arbres et à la lune

Des oiseaux en sucettes

Il existe presque deux faces à la taxidermie. Celle qu’exercent les privés, avec les trophées de chasse ou les animaux des particuliers, et la taxidermie pratiquée dans les musées d’histoire naturelle et de zoologie. Dans ce domaine, il y a deux manières de procéder. Soit l’animal est représenté comme il le serait dans un milieu naturel, c’est-à-dire en plein vol pour un oiseau, ou en train de chasser pour un prédateur. Soit les animaux sont préparés de façon à être stockés dans les sous-sols du musée, afin de pouvoir être étudiés par des chercheurs ou des biologistes. Ceux-ci doivent donc prendre le moins de place possible tout en gardant leur richesse. Les petits oiseaux sont par exemple présentés en sucette, sur des bâtons. Grâce à ces riches collections, on peut constater, par exemple, comment les couleurs des mésanges ont évolué durant les dernières décennies.

«Petite, je voulais devenir vétérinaire, mais j’ai au final préféré soigner les animaux morts.»

A côté du Musée de zoologie, il m’est arrivé de préparer des pièces sur commande pour des spectacles de théâtre ou des galeries d’art. Durant la Nuit des musées, j’ai réalisé un «écorchage en live» qui permettait aux spectateurs de se plonger dans le travail du taxidermiste, le tout retransmis sur grand écran dans un auditoire du Palais de Rumine.

Pour moi, la taxidermie, c’est comme le yoga, c’est relaxant. C’est un travail rigoureux et calme, qui permet de réfléchir tout en accomplissant une action précise. Après une journée à m’occuper d’un animal, j’ai également réussi à organiser ma semaine et mes tâches d’architecte à venir. Le travail des mains et le résultat visible à la fin de la journée sont une richesse très importante pour moi.

Génération couteau suisse

A travers cet apprentissage de la taxidermie, j’ai trouvé la partie physique et le dialogue humain qui ne sont pas enseignés lors des études. Dans ma vie de tous les jours, ces connaissances me permettent d’aborder les problématiques qui se présentent à moi sous des angles toujours différents et nouveaux. Dans mon travail d’architecte quotidien, j’inclus les rapports humains, le souci du détail, les situations cocasses, tout ce que j’ai pu expérimenter!

Je pense que nous sommes une génération «couteau suisse», nous sommes adaptables et pouvons presque tout faire. Cela se ressent également à travers notre bureau, qui mélange architecture, ingénierie du bois, art…

La polyvalence est un atout

J’ai toujours eu plein de petits boulots, j’aime avoir plusieurs rôles. C’est une façon de me mettre à la place des autres gens, des autres métiers, pour pouvoir dialoguer. Nous devons être dans l’échange de savoirs, nous mettre ensemble pour aller plus loin et construire. A côté du bureau, j’ai entamé un second master en arts visuels à l’Ecal dans lequel mes connaissances en taxidermie sont très présentes. Cela me permet de continuer à me cultiver, et apprendre d’autres manières de voir les choses.

Je transmets les messages de l’autre monde

Aujourd’hui, ma vie ressemble un peu à un marathon. Mais si on veut survivre, il faut une certaine polyvalence, surtout lorsqu’on est une femme, de 30 ans, et qui plus est dans le monde de la construction. Je crois que l’architecture doit pouvoir comprendre le monde, les gens, le territoire, les modes de vie, et c’est important de savoir où tu es, ce que tu veux et vaux, mais aussi de faire valoir tes idées. Savoir s’énerver et taper du poing sur la table quand il le faut. A chacun de faire sa place en utilisant tous les outils (et les scalpels) à sa disposition pour offrir le meilleur de soi-même!

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