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J’étais persuadée qu’il allait être facile de retrouver un emploi

Amon arrivée à Estavayer-le-Lac en automne 2012, je venais de passer plus de trente-cinq ans en Grande-Bretagne, dont douze en tant que secrétaire à l’ambassade du Japon à Londres, et je rêvais de revenir au pays. Trente-cinq ans, c’est presque la moitié d’une vie. Et je l’avais passée loin de ma famille.

Au décès de mon père Jacques Thévoz (ndlr: on peut voir les oeuvres de ce photographe à la Bibliothèque universitaire de Fribourg) ma mère avait traversé la Manche pour me rejoindre, mais elle n’est pas restée bien longtemps. Pas comme moi, qui y ai élevé mon fils. C’était mon choix. Une philosophie. Ayant beaucoup voyagé, je n’ai jamais eu l’impression de travailler pour de l’argent, mais plutôt dans le but de m’enrichir de nouvelles expériences. Pourtant après mon retour en Suisse, il me fallait retrouver un revenu.

Durant presque un an, j’ai répondu à des offres de Berne à Genève

En vain. Jusqu’à la SPA locale, on n’a pas voulu de moi. A chaque fois la même rengaine: mes presque 60 ans! C’est tout de même incroyable, car je n’ai jamais fait mon âge, avec une énergie à revendre que pourraient m’envier bien des personnes plus jeunes. Il serait temps de reconnaître que les gens ne vieillissent ni de la même manière, ni à la même vitesse.

Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais pensé qu’il existait tant de discrimination envers les personnes âgées souhaitant subvenir à leurs besoins, alors même que l’âge légal de la retraite est repoussé toujours plus loin. Autant dire que mon retour aux sources était en train de prendre une drôle de tonalité. Les mois passaient, mes économies fondaient à vue d’oeil et je ne voyais rien venir, avec cette impression de ne pas parvenir à exister. De guerre lasse, je me suis mise à surfer sur des sites d’emploi à l’étranger et je suis tombée sur une annonce pour un poste de nanny à Istanbul.

J’ai aussitôt sauté sur l’occasion

On ne voulait pas de moi en Suisse? Eh bien tant pis, j’irai voir ailleurs! Abandonnant ma bibliothèque de mille cinq cents livres, j'ai donc débarqué en Turquie le 16 juin 2013 avec trente-cinq kilos de bagages. Devoir réduire ainsi mes biens terrestres m'a allégée sur tous les plans. C'était comme partir faire du camping.

Prise dans le brouhaha chaotique de l’aéroport Atatürk, je me suis d’emblée sentie très à l’aise au milieu de cette foule de jeunes, de pèlerins, de vacanciers et de prophètes à barbe blanche venant du monde entier. Leur présence fortuite m’aidait à renouer avec la vie. Mes recherches traumatisantes pour trouver un travail en Suisse semblaient n’être déjà plus qu'un mauvais souvenir.

Un chauffeur m’attendait, souriant

Il s’est même arrêté en chemin pour m'acheter une bouteille d'eau. Quel accueil! Mais l’enchantement allait être de courte durée. Amon arrivée dans la villa de la famille qui m’accueillait, la bonne d’origine moldave m’a désigné ma chambre. Au sous-sol. Je n’en croyais pas mes yeux. Avant de m’apercevoir que l’armoire qui m’était destinée contenait des habits et des chaussures appartenant à ma patronne…

La première nuit fut épouvantable. Entre le ronron du congélateur qui trônait au milieu de ma chambre, son puissant faisceau lumineux inondant mon lit d’un soleil artificiel et le bruit de l’arrosage, juste devant le minuscule soupirail, je n’ai pas réussi à trouver le sommeil.

Qu’étais-je venue faire ici?

L’adorable fillette dont je m’occupais m’a permis de relativiser ces conditions spartiates. En revanche, je ne savais plus que dire face à la série de contre-ordres inattendus que je devais exécuter de mon mieux. Un jour, alors que je passais le seuil de la maison pour aller à la piscine comme convenu, portant le bébé d'un côté, ses fauteuils gonflables en forme de canard de l'autre, on m’avise finalement que le chauffeur attend pour nous conduire chez les grands-parents.

Le lendemain, seconde surprise: on me demande cette fois de nous rendre à la maison des cousines, une grande villa avec vue sur les forteresses du Bosphore. Soit, ma petite avait du plaisir à jouer avec leurs ours en peluche géants, à observer leur voiture électrique grandeur nature évoluant à travers le salon. Mais je devais la défendre contre les attaques éclair de ces turbulentes parentes, qui tantôt la serraient tendrement dans leurs bras, tantôt la frappaient comme elles avaient l'habitude de battre leur chat persan. La plus jeune prenait d’ailleurs plaisir à se coucher de tout son poids sur le pauvre matou.

Finalement j’ai dû quitter Istanbul plus vite que prévu

Tandis que je tentais de faire enregistrer mon téléphone portable, on m’a demandé de produire mon passeport. C’était le 18 août dernier, à peine huit semaines après mon atterrissage. J’ai alors appris que mon timbre d’entrée en Turquie n’était valable que pour un mois. J’étais en situation illégale. Il n’y avait d’autres solutions que de plier bagage dès le lendemain!

Par la suite, j’ai réalisé quelle chance j’avais eu de pouvoir prendre mon avion sans me créer de problèmes à la douane. Toutefois je n’ai pas eu le temps de m’apitoyer longtemps sur mon sort. J’avais à peine posé le pied sur le sol helvétique que, déjà, on proposait de m’engager au service d’un jeune autiste anglais de 20 ans. Connaissant, par expérience, le peu de perspectives professionnelles qui s’offraient ici, je n’ai pas hésité longtemps.

Depuis début septembre je vis donc à nouveau à Londres

Le garçon dont je dois prendre soin est un musicien accompli. Il est batteur dans un groupe de rock nommé The Autistix. Comme un clin d’oeil malicieux. Je l’emmène avec un chauffeur à ses cours de danse et d’art dramatique, et je ne me lasse pas de le regarder s’exprimer. C’est magnifique de lire ces moments d’extase sur son visage lorsqu’il est en train de jouer.

Voilà, on m’a offert un travail permanent, je loge dans une adorable mansarde sous les toits et j’ai un jour de congé hebdomadaire. Je me sens respectée, appréciée. Je peux vivre de mon activité. C’est tout ce que je demande et c’est tout ce que la Suisse n’a pas pu me donner. Dommage.

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