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Orphelin, j’ai aujourd’hui une grande famille

Femina 49 Temoin Orphelin

André n’avais qu’une envie: rejoindre ses parents là où ils étaient.

© Joelle Neuenschwander

Septième enfant d’une fratrie de huit, j’ai grandi dans une ferme. Souvent fourré dans les jupes de ma mère, j’avais avec elle un rapport très fusionnel. Ayant perdu deux autres fils avant moi, elle me couvait. Grâce à elle, j’ai appris à cuisiner et à danser. Elle m’a aussi transmis son don pour la peinture. A 16 ans, j’ai entrepris des études aux Beaux-Arts, mais le côté académique ne me convenait pas. Pour faire plaisir à mes parents, j’ai entamé un apprentissage dans la boucherie.

Une fraterie soudée

A la fin de la première année, durant l’été, je me trouvais dans un camp scout avec un de mes frères. C’était une journée comme les autres, nous jouions aux cartes entre garçons. Les filles ont vu apparaître à la télé un avis de la police concernant un accident de la circulation. Un peu plus tard, le chef de camp nous a demandé de nous asseoir. J’ai alors entendu cette phrase qui m’a pétrifié: «Les parents de Dédé sont décédés dans un accident.» Pour la première fois de leur vie, mon père et ma mère avaient décidé de partir en vacances. Ils quittaient le Valais en voiture quand ils ont été percutés par un camion dont le chauffeur – alcoolisé – s’était endormi au volant. A 17 ans, je me retrouvais orphelin.

Avec mes frères et sœurs, nous avons continué tant bien que mal à exploiter le domaine agricole. Un tuteur a été nommé pour s’occuper de nous et gérer les biens familiaux. Mais il était plus enclin à compter les cuillères et les fourchettes qu’à prendre soin de nous. A l’écouter, il fallait tout bonnement oublier mes parents.

Suite à leur décès, nous étions devenus des pestiférés. Pour le village, nous portions la guigne. Plus personne ne nous adressait la parole, y compris les membres de notre famille. Le fils des voisins, mon ami d’enfance, reçut la consigne de ne plus me voir. Sa fenêtre, qui donnait sur ma chambre et à travers laquelle nous aimions communiquer, fut même condamnée! Face à ce rejet collectif, je me sentais très seul. Une douleur impalpable me tenaillait. Dans la fratrie, chacun s’était muré dans le silence. Quatorze mois après le drame, un de mes frères s’est suicidé. On nous a alors interdit d’exploiter les terres environnant notre ferme. Nous perdions ainsi notre dernier lien familial.

Heureusement, il y a eu Maria, une amie de mes parents, qui m’accueillait à bras ouverts. Elle était la seule avec qui je pouvais évoquer des souvenirs. Cet ange gardien tombé du ciel a joué le rôle de mère par procuration, n’hésitant pas à me féliciter ou m’engueuler au besoin.

Repartir à zéro

A 20 ans, malgré une exposition de peintures qui m’avait valu un certain succès, j’étais mal dans ma peau. Je ressentais un grand vide. D’autant plus que ma première histoire d’amour venait de se terminer, une fois encore à cause du fait que j’étais orphelin. Cela m’avait valu d’être rejeté par les parents de ma fiancée. Je ne voyais pas le bout du tunnel. Je n’avais qu’une envie: rejoindre mes parents là où ils étaient. Je me suis rendu sur un pont avec l’idée d’en finir. Alors que j’étais perché à 40 mètres du sol, une jeune femme s’est approchée de moi. Elle m’a dit: «Le mieux est de repartir à zéro ailleurs.» J’ai compris qu’elle avait raison. Pour surmonter tout ça, il fallait que je recommence une nouvelle vie loin de chez moi.

Je me suis installé dans une autre région et je suis devenu chauffeur routier. Ce qui m’a permis de voir du pays. Toujours créatif, je me suis mis à faire de l’aérographe manuel, à la paille (une technique de peinture, ndlr). Ma première œuvre a été un visage de femme sur un casque de moto – un objet que je garde précieusement dans mon atelier. Devenu peintre itinérant, j’ai découvert le plaisir de mettre mon art au service des gens, qui me demandent par exemple de réaliser un tableau qui leur tient à cœur sur leur casque ou sur la carrosserie de leur véhicule. Dix ans après la disparition de mes parents, j’ai ouvert mon entreprise de design.

Comme un porte-bonheur

Pirmin Zurbriggen a débarqué un jour afin que je personnalise son casque de compétition. Cela a fait boule de neige – c’est le cas de le dire – puisque d’autres grands sportifs suisses et étrangers sont venus me trouver. Champions de ski, pilotes automobiles ou de F1, ils m’ont confié leur couvre-chef afin que je le customise à leur image. Au fil des discussions et des collaborations, des amitiés sincères sont nées.

Un jour, en 1989, j’ai organisé une fondue géante dans mon atelier. Ce qui devait être une réception entre amis s’est transformé en événement public, car l’un des invités en avait touché un mot à un journaliste qui a fait paraître un article dans la presse. Résultat: plus de 1000 personnes sont venues dans l’espoir d’apercevoir Alain Prost, Derek Warwick ou William Besse. Une grande fête s’est improvisée et les commerçants du village ont été sollicités afin de pouvoir ravitailler tout le monde. Le bénéfice de cette journée m’a été offert. Je ne savais que faire avec cette somme. Mon ami Steve Locher m’a alors lancé: «C’est le moment de faire quelque chose pour les orphelins dont tu parles toujours!» Je pouvais concrétiser un désir qui m’habitait depuis longtemps: venir en aide aux enfants touchés par le départ d’un papa, d’une maman ou de leurs deux parents. Car derrière chaque fait divers – accident de la route, suicide, homicide ou autre – il y a souvent un ou des bambins dont la vie est radicalement bouleversée.

Depuis vingt-six ans, les bénévoles de l’association Porte-Bonheur apportent une écoute attentive et organisent aide matérielle et juridique. Nous avons surtout à cœur de mettre tout en œuvre pour réaliser le rêve d’un enfant en mémoire de son ou ses parents disparus. Grâce à un vaste réseau – notamment dans le milieu sportif – rien n’est impossible. Comme pour ce jeune garçon qui adore la moto et qui a pu assister à un grand prix de moto en Allemagne en compagnie de Jacques Cornu. Ou cet adolescent qui a pu partir en safari en Afrique, un voyage qu’il devait d’abord faire avec son père, décédé peu avant leur départ. L’orphelin que je suis est aujourd’hui à la tête d’une grande famille. C’est ma plus belle revanche sur la vie.


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