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Je souffre de céphalées suicidaires

Femina 27 Temoin Douleur

Osvaldo se donne passionnément à son association d’information et de soutien aux personnes souffrant d’algie vasculaire de la face.

© Francesca Palazzi

Du Portugal à la Suisse

A 21 ans, quand j’ai quitté le Portugal pour venir travailler en Suisse, mes douleurs au visage ne duraient qu’un quart d’heure, pas plus. C’était en 1977. J’ai rencontré Rosalina, ma femme, dans les Alpes.

Nous nous sommes installés à Lausanne et avons eu un garçon. Peu à peu, la douleur a augmenté, en durée et en intensité: d’abord une heure, puis deux, jusqu’à quatre heures et demie d’affilée. Elle se manifestait toujours du même côté, à gauche, montait en puissance progressivement mais très rapidement, me faisant l’effet de coups de marteau dans l’œil.

Pendant six ans, j’ai été suivi par mon généraliste

Il évoquait des migraines liées au nerf facial trijumeau. Durant toute cette période, je travaillais: j’étais magasinier dans un supermarché. Outre la douleur que je devais gérer, j’étais très angoissé car les crises s’étaient installées dans une sorte de cycle biologique: 7 heures-9 heures, 22 heures-minuit, 2 heures-5 heures. Je ne dormais quasi pas et je mettais toute mon énergie à remonter la pente après chaque crise, pour assurer mon travail.

Et puis un jour, j’avais alors vingt-huit ans, une crise plus insupportable que les autres m’a obligé à me rendre aux urgences du CHUV. Le neurologue de garde m’a fait faire une IRM. C’est là qu’il m’a annoncé que j’étais atteint d’algie vasculaire de la face, me confirmant que cette maladie rare, qui se manifeste par de violentes céphalées sur l’une des moitiés de la tête, est extrêmement douloureuse.

J’ai été soulagé de savoir ce que j’avais, enfin!

Et le médicament qu’il m’a donné a été efficace. En avril 2004, la Clinique Cecil de Lausanne m’a proposé la méthode de neurostimulation: placées sous ma peau, une pile (le neurostimulateur) et une électrode sont chargées d’envoyer à mon système nerveux des impulsio ns électriques contrôlées, empêchant ainsi le signal de la douleur d’atteindre mon cerveau. Cette opération m’a énormément aidé à contenir la souffrance à un seuil tolérable. Mais en 2011, une des crises a duré sept mois. Non stop. Puis s’est arrêtée, sans raison.

C’est à la suite de cette crise que j’ai été licencié, après vingt-trois ans de service. J’avais enchaîné les arrêts de travail et avais dû passer à 50%. Je me faisais mes injections dans la salle de bains mise à la disposition des salariés. A deux reprises, l’ambulance était venue me chercher. Mais le plus dur, ç’avait été le comportement de mes collègues. Car la douleur, ça ne se voit pas. Une fois, même, alors que je souffrais terriblement, mon chef m’avait dit que c’était de la comédie. J’avais été opéré dans la foulée et il s’était excusé ensuite, mais je ne parviens pas à oublier. On me soupçonnait d’être associable, feignant, ou simulateur. Je me défendais… Et puis, un jour, j’ai reçu un courrier, puis un coup de fil de cinq minutes qui me disait: «On comprend votre maladie mais on a besoin de gens capables, on est une entreprise». Bien sûr, ça faisait des années que je m’y attendais. Mais je ne voulais pas arrêter. Même si c’est plus facile pour moi de gérer, parce que je n’ai plus ni horaires ni besoin de donner le change, mon travail me manque. Il m’obligeait à vivre normalement, me faisait oublier mon mal. C’était ma vitamine.

Des céphalées permanentes

Depuis dix ans, j’ai une céphalée permanente et je peux avoir jusqu’à une vingtaine de crises par jour. Elles surviennent de manière anarchique, dans la nuit ou la journée. Mon médicament en injection me soulage un peu mais, avec les années, il est devenu moins efficace et je dois le doubler avec de l’oxygène. En quelques secondes, la douleur s’atténue et je m’endors d’épuisement.

Chaque personne atteinte de cette maladie la vit selon un cycle différent. C’est une douleur réputée pour être l’une des pires qui existent. Les médecins n’expliquent pas d’où elle vient. La violence et la fréquence des attaques rendent la vie infernale et provoquent chez certaines personnes des actes de désespoir pour se libérer de la souffrance. D’où son surnom de «céphalée suicidaire». J’ai parfois eu envie de me passer par la fenêtre. C’est ma femme et mon fils qui m’ont aidé à tenir. On a beau expliquer ce que l’on ressent, personne ne peut comprendre. Je me suis souvent demandé comment l’homme pouvait encaisser autant de souffrance, où il puisait ses ressources.

Maux physiques et moraux

C’est pour ça qu’il est fondamental d’être bien suivi non seulement médicalement mais aussi psychologiquement. J’ai accepté il y a trois ans d’entrer dans un groupe de discussion de patients atteints de douleurs chroniques à la Clinique Cecil. Encadrés par un psychiatre et une infirmière spécialisée dans l’antalgie, nous nous réunissons tous les quinze jours, le mercredi, et nous échangeons librement sur nos maux physiques ou moraux.

Au début, nous n’étions que six. Je me suis tout de suite senti à l’aise avec eux, même si c’était intimidant de parler de moi devant des gens que je ne connaissais pas. En écoutant les autres, j’ai découvert des souffrances énormes, proches de la mienne. Rentrer à la maison avec la détresse de quelqu’un d’autre me permet de relativiser la mienne, ça m’aide. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est que nos séances sont gaies. Nous rions beaucoup. Et nous sommes très solidaires. L’année dernière, nos conjoints ont été conviés, c’était super pour eux car, comme toute autre maladie grave, celle-ci a un impact très lourd sur la vie de couple.

C’est après ma première séance de groupe que m’est venue l’idée de fonder une association

En Europe, la maladie est connue et reconnue: elle touche 120 000 personnes en France, 80 000 en Allemagne… En Suisse, elle n’est toujours pas homologuée. Soit les généralistes ne la connaissent pas, soit ils n’y portent pas d’intérêt: ils tardent à faire le diagnostic, donc à envoyer les patients chez un spécialiste. Du côté des laboratoires, l’attention est minime également car le mal touche très peu de personnes. Le potentiel financier étant restreint, la recherche dans ce domaine n’est pas prioritaire.

Au final, les malades ont de la chance s’ils trouvent un médecin qui connaît la maladie et sait la reconnaître. Et puis, ce mal reste très tabou en Suisse. Les personnes qui en sont atteintes se réfugient derrière le terme générique de «migraine»: comme l’AI ne la prend pas en charge, ils ont peur de perdre leur emploi. Pour ma part, on ne m’a proposé l’AI qu’en 2013, alors que j’avais perdu mon poste en 2011. Ma femme et moi avons dû mener une lutte incroyable et sommes passés par des moments financièrement très difficiles.

Comprendre la maladie

Au-delà de la reconnaissance sociale, je voulais comprendre cette maladie, parler de la souffrance et des humiliations, aider l’entourage. Je me suis donc rendu chez «Bénévoles, à vous», à Lausanne, ai déposé le nom et les statuts de l’association – l’APAAVF, Association des personnes atteintes d’algie vasculaire de la face – et créé un compte Facebook. Je reçois beaucoup de témoignages, surtout de France. Certaines personnes ont même été diagnostiquées grâce au profil et me remercient, j’en suis très fier. J’ai également fabriqué un «leaflet» qui explique la maladie et l’ai déposé chez des médecins, dans des pharmacies.

A présent, je rêve de développer un site Internet, un centre spécialisé et un groupe de travail pour permettre aux patients de s’exprimer librement, faire connaître ce mal, casser enfin les tabous, provoquer une réaction du Ministère de la santé et des laboratoires. Pour moi, le plus important est de redonner de la crédibilité aux malades: c’est grâce à cela qu’ils retrouveront leur dignité.

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