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J’ai longtemps culpabilisé d’avoir dû avorter

Femina 37 Temoin Avortement

La tristesse a laissé place à l’acceptation et à l’apaisement.

© Stefan Meyer

Dès le départ, j’en étais persuadée: quelque chose n’allait pas. Je n’arrivais pas à me réjouir de cette grossesse. Pourtant, avec ma fille, Lou, j’avais connu la joie d’attendre un enfant. Cette fois, je n’avais que des doutes. Après deux mois de grossesse, des saignements m’alarment. Aux urgences, quand je vois à l’échographie le bébé bouger, je souffle. Mais le soulagement est de courte durée, mon mal est plus profond. Et toujours ces saignements.

Au troisième mois, alors que mon gynécologue est en vacances, je me rends chez un de ses confrères. Dans la salle d’attente, je parle au bébé, je le caresse, je tente de le rassurer. De me rassurer. Lorsque le médecin mesure la valeur nucale, je le vois préoccupé. Mon cœur s’emballe. Il m’annonce que les chiffres ne sont pas dans la norme et me conseille de faire une amniocentèse. Ce pourrait être la trisomie 21. Sur le chemin du retour, je pleure. Je me raisonne aussi. Les enfants atteints de trisomie 21 sont merveilleux. Pour mon mari, ce handicap lui semble insurmontable et le regard des autres l’inquiète… Nous nous disputons. Nous discutons. Finalement, nous nous mettons d’accord pour garder ce bébé. Pour Lou, ces instants ont été déterminants. Moi qui étais une maman présente, je l’abandonne. Je ne joue plus avec elle. Le petit être dans mon ventre m’obsède. Sans tarder, nous retournons chez mon gynécologue habituel. Contre toute attente, selon lui, la valeur nucale n’est pas inquiétante. Il fait une prise de sang et m’assure que si quelque chose cloche, il m’avisera dans la semaine. Le week-end arrive, pas de nouvelles. Rien d’alarmant n’aurait été diagnostiqué? Mon époux en est convaincu. Pas moi. Trois semaines plus tard, au contrôle du quatrième mois, je vois sur le bureau de mon gynécologue un tas de feuilles. J’en suis sûre, c’est le signe d’une mauvaise nouvelle. Effectivement, les résultats sont inquiétants. Fâchée, je demande pourquoi ne pas nous avoir avertis plus tôt. Le docteur invoque une erreur du laboratoire… Nous sommes envoyés chez un généticien à Berne pour une amniocentèse.

Mon petit ange

Le verdict est sans ambiguïté: notre bébé souffre d’un grave handicap physique et mental car il lui manque le chromosome 14. Le ciel nous tombe sur la tête. Il ne marchera jamais et devra être nourri par sonde. Son espérance de vie est de quelques années. Mon mari est effrayé. Moi, en plein doute. Le médecin m’explique que ce petit demandera tant d’attention que nous en délaisserions notre fille d’un an et demi. Je ne voulais pas faire voler en éclats mon couple, ni faire souffrir Lou… Nous choisissons de mettre un terme à la grossesse. Il faut piquer le cœur du bébé pour qu’il arrête de battre. Le geste n’est prétendument douloureux ni pour le petit ni pour moi.

Nous sommes le 29 mai 2012 et j’en suis à 19 semaines et 5 jours de grossesse. Sur l’écran face à moi, je vois ce petit dans mon ventre et mon cœur se serre. Nous apprenons que c’est un garçon. Je me sens mal. J’aurais adoré avoir un petit homme! Le médecin éteint l’écran devant moi. C’est parti. Viser le cœur du bébé… Je ne devrais pas, mais je lorgne sur le monitoring. J’aperçois le petit se débattre pour éviter l’aiguille. A la deuxième tentative, le cœur est atteint. En retirant l’aiguille, une goutte du liquide tombe sur moi. Je crie de douleur! Je demande pourquoi cela m’a fait mal. Le médecin esquive ma question mais dit en allemand à son assistante que le produit brûle. Mon fils a dû souffrir. Je suis furieuse qu’on m’ait menti. Et je culpabilise. Le jour même, je suis hospitalisée pour l’accouchement. Mon mari ne souhaite pas rencontrer le bébé. Moi, je veux accompagner ce petit. Nous respectons mutuellement nos choix. Dès mon arrivée, on tente de déclencher l’accouchement. Les jours s’enchaînent mais rien ne se passe. En plus des médicaments, je teste tout: homéopathie, acupuncture, marche, huiles essentielles… J’ai le temps de réfléchir. Trop. Ai-je pris la bonne décision? Les naissances ont lieu sur le même étage. Pour aller dehors, je longe ce couloir empli de cris de bébé. Je suis triste. Heureusement, des sages-femmes adorables m’entourent. Après huit jours, je ne peux plus attendre, je subis une césarienne. On pose le bébé sur moi. Andreas. Je le trouve beau. Sa bouche, son nez, il ressemble à Lou. Je remarque sur sa peau une brûlure. L’acide injecté à l’avortement… J’ai le sentiment d’être une criminelle.

Un cacao pour Andreas

J’ai eu la chance de partager quelques précieux moments avec mon petit. En plus, une sage-femme, m’a offert de beaux souvenirs: des photos du bébé, ses empreintes de pied, un bracelet à son nom. En quittant l’hôpital, j’ai abandonné une partie de moi. A la maison, ma fille me faisait la tête. Mon mari, lui, faisait comme si l’épreuve était derrière nous. Il ne voulait plus en parler. Rapidement, nous décidons d’avoir un autre enfant. Je tombe enceinte en 2013. La grossesse s’est très bien passée, malgré mes angoisses. Le premier cri de notre petite Adèle à sa naissance a été un soulagement! Pendant onze mois, je suis restée auprès d’elle jour et nuit. J’avais peur de la perdre. Pour mon mari et Lou, je n’étais plus la même. Je les délaissais. Je n’arrivais pas à me sortir de cette culpabilité vis-à-vis d’Andreas.

J’ai pu voir le bout du tunnel en 2016, lorsque des amis m’ont parlé de leur foi. J’ai commencé à aller régulièrement à l’église. J’ai prié jusqu’à trouver le pardon et la force pour dépasser ma douleur. Désormais, je me sens bien. Je pense bien sûr à mon fils tous les jours mais d’une autre façon. La tristesse a laissé place à l’acceptation et à l’apaisement. Je rattrape le temps perdu avec ma famille, je m’occupe de mes filles. Elles connaissent l’histoire de leur frère. Un jour, alors que j’étais en voiture avec Lou et qu’elle sirotait un cacao, elle m’a dit: «Maman, tu crois qu’Andreas, au ciel, il a aussi son cacao?». Je lui ai répondu qu’elle n’avait pas à s’inquiéter pour son frère car on s’occupait bien de lui «là-haut» et que lui aussi veillait sur nous. Tous les cinq, nous formons une famille unie à tout jamais.


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