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«Nous fêtons nos 80 années d’amitié»

Marceline et Monette, amies depuis 80 ans

Marceline (à g.) et Monette, des amies pour la vie depuis 80 ans.

© Corinne Sporrer

À l’école, nous n’avons jamais été assises ensemble. Et pourtant, nous sommes les meilleures amies du monde depuis 80 ans. Si cela a été rendu possible, c’est certes parce que nous sommes toutes les deux devenues vieilles, mais aussi parce qu’on ne s’est jamais perdues de vue pendant tout ce temps. Depuis l’enfance, les autres nous voient comme inséparables. Même aujourd’hui, si je rentre seule dans un bistrot, on me demande aussitôt où est Marceline.

L’autre chance immense que nous avons eue, c’est d’avoir les mêmes goûts, la même philosophie, car au fond, nous avons eu la même enfance à la réalité assez triste, marquée par le chômage, la guerre, le serrage de ceinture et la figure d’un père aimant mais malmené par la vie. De ces années de jeunesses similaires, nous avons hérité de la faculté de nous contenter des choses simples. On se réjouit d’un bon repas, d’un joli vin.

En tandem pour les devoirs

Si nous nous sommes connues, c’est d’ailleurs grâce à eux, nos pères, qui firent connaissance au printemps 1939. Tous les deux sans emploi, l’un à cause de la crise horlogère qui touchait le canton, l’autre à cause de la maladie, ils ont sympathisé durant l’apéro à Neuchâtel, s’apercevant vite que leurs filles de 7 ans faisaient leur rentrée dans la même classe.

Mon père a alors proposé à celui de Marceline que nous nous voyions le soir pour réviser nos devoirs, de 16 à 18 h. Par chance, nos mamans, qui étaient les cheffes officielles à la maison, travaillant chacune à plein temps pour faire marcher les finances du foyer, ont donné leur accord. En dépit de cette amitié un peu provoquée, une affinité forte est apparue entre nous. Nos vécus nous rapprochaient. On s’est vues comme des sœurs.

Princesses d'un jour

On allait à l’école et on en revenait ensemble. En plus de toutes les soirées de la semaine passées à travailler sur nos cahiers, on se voyait aussi le week-end. On passait également toutes les vacances l’une avec l’autre. À l’époque, nos familles étaient fauchées. Il fallait savoir s’amuser avec peu et se suffire à soi-même. Jusqu’à 14 ans, on n’avait pas d’argent. Sortir signifiait surtout marcher, le bus était trop cher. On allait en ville et là, on choisissait une rue à pile ou face, puis on faisait des kilomètres côte à côte, à discuter.

Nous nous évadions de notre quotidien terne par l’imagination. On s’inventait une ascendance aristocrate et prestigieuse, on dressait des listes imaginaires de parents nobles, avec leurs noms pompeux, leurs vêtements opulents, on se rêvait princesses en exil. Parfois, le luxe devenait réalité: nos mères nous donnaient 2 francs pour aller au cinéma.

Toujours première de classe

L’hiver, quand il y avait de la neige, c’était un événement, on pouvait faire de la luge, car en l’absence de voiture, personne ne déblayait les rues en pente. On dévalait les routes jusqu’à plus soif, et puis, lorsqu’on rentrait à la maison se mettre au chaud, la maman de Marceline nous faisait cuire des pommes dans la cavette du poêle. Je me souviens d’une femme au fort caractère, mais juste. Elle partageait toujours tout équitablement entre sa fille et moi. Elle n’a jamais fait de distinction.

Marceline a perdu son père à 15 ans. Peu de temps après, j’ai commencé un apprentissage. C’est à partir de là que nos vies ont commencé à devenir un peu plus différentes. Marceline, qui adorait l’école, se voyait professeure de français. Elle aurait réussi, elle avait toujours été la première de la classe, mais sa maman, seule à la maison, se crevait pour ramener de l’argent et nourrir la famille. Marceline a dû se mettre à travailler.

Selon une étude mondiale, les femmes travaillent plus que les hommes

Moi, je me suis mariée à 20 ans, et j’ai eu deux enfants peu de temps après. Malgré nos nouvelles vies, on a continué à se voir trois à quatre fois par année. Mon mari et le compagnon de Marceline acceptaient avec plaisir que nous sortions juste toutes les deux, ayant bien compris l’importance de notre amitié. Mon homme disait même à Marceline: «Tu peux avoir tué père et mère, tu trouveras toujours refuge à la maison».

Vacances italiennes

On allait généralement au cinéma, du moins dans les premières années, on a ensuite décidé de faire l’impasse sur les salles obscures pour avoir plus de temps pour parler. Cela a duré plusieurs décennies sur ce rythme. Puis, en 2009, mon mari est décédé. Avec Marceline, séparée de son compagnon depuis plusieurs années et habitant toujours dans les environs, nous avons renoué des liens aussi fusionnels qu’au début de notre vie.

Nous sortons ensemble au moins deux fois par semaine, allons de dégustations de vin en opéras, de concerts de musique classique en cours à l’université, de balades au bord du lac en excursions à l’étranger, en Italie, en Angleterre. Marceline vient passer des vacances chaque Pentecôte et Noël chez moi. Elle a même séjourné un an dans ma petite maison quand son immeuble a été rénové.

Pas question d'être rivales

Au bout de toutes ces années, il y a beaucoup de choses que nous n’avons pas besoin de nous dire, des choses de l’ordre du ressenti. Malgré ce lien profond, nous avons quand même nos différences, nos identités propres. Je pense que nous nous complétons.

J’ai plutôt le rôle de celle qui réconforte, étant peut-être plus expressive, confidente, tactile, plus anxieuse également. Marceline est plus réservée, elle se montre plus indépendante, volontaire, c’est une révoltée depuis toute petite, mais elle a aussi ses moments de tendresse, qui valent chers à mes yeux.

Il n’y a d’ailleurs jamais eu de quelconque rivalité entre nous, même adolescentes. La seule fois où des garçons se sont intéressés à nous lorsque nous étions en virée, on s’est un peu moquées d’eux. Un Italien et un Anglais nous avaient invitées à faire une promenade en barque, mais c’est bien nous qui les avons menés en bateau! Ils étaient bien mignons, sauf que notre amitié, déjà, c’était ça: être libres et avoir le monde pour nous seules.

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