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Je me suis inscrite à Exit, l’association pour le droit de mourir dans la dignité, il y a un peu plus de dix ans, à la suite du décès de ma maman. Je n’y avais jamais pensé auparavant. Il aura fallu ces quatorze années qui ont précédé sa mort, son lent déclin, pour que l’idée fasse son chemin.

Quatorze ans, quand j’y repense, c’est long

Très long… Surtout quand la maladie s’en mêle. Et qu’elle porte le nom de l’Alzheimer. C’est un mal insidieux, qu’on ne détecte pas tout de suite. Ma maman a été diagnostiquée sur le tard – elle avait 70 ans – mais elle devait en souffrir depuis longtemps déjà. Avec le recul, je dirais que les premiers symptômes sont apparus à la soixantaine.

Cela a commencé par de petites choses: des oublis, des pertes de repère ou des dysfonctionnements a priori anodins. Quand nous jouions aux cartes, par exemple, maman ne s’en souvenait pas. Elle oubliait parfois de me transmettre des messages. Un jour où elle gardait ma fille, âgée alors de 3 ans, elle est rentrée de promenade une heure plus tard que prévu. Elle n’a jamais pu me dire ce qu’elles avaient fait pendant ce laps de temps. Je pense qu’elle a dû avoir une absence. Une de ses toutes premières.

Dix ans se sont écoulés

Son état s’est dégradé petit à petit, imperceptiblement. Il nous a fallu du temps pour penser à l’Alzheimer. A l’époque, on ne savait rien sur cette maladie. On commençait à peine à en parler. Mon père, qui était dix ans plus âgé qu’elle, ne semblait pas remarquer ce qui se passait. Quant à son médecin traitant, il relativisait, arguant qu’on ne pouvait rien faire, que c’était dû à l’âge.

Nous nous sommes rendus dans un centre spécialisé en gérontologie, en ville de Genève. Le diagnostic a confirmé nos doutes. Mon père a appris la nouvelle assez sereinement. Quant à ma maman, contrairement à d’autres personnes qui tombent en dépression en apprenant qu’ils sont malades, ça l’a laissée indifférente: elle en était à un stade trop évolué pour réaliser.

Elle a encore vécu quatorze ans

Alors que j’avais deux enfants et mon travail d’institutrice à mi-temps, je me rendais tous les après-midi chez mes parents pour voir si tout allait bien. Entre les tracasseries quotidiennes et administratives à gérer, je passais mon temps à courir. Il y avait toujours quelque chose à régler. Cela a été une période très lourde. Heureusement qu’il y avait les services de soins à domicile. Au début, les infirmières venaient une fois par jour. A la fin, elles passaient quatre fois dans la journée. Mais ça ne suffisait plus. On nous a conseillé de mettre mes parents en maison de retraite.

Les trois dernières années de la vie de ma mère, ils les ont passées ensemble en EMS. Elles ont été les plus dures. Si mon père se portait à 90 ans plutôt bien, ma maman en était arrivée à un stade où elle ne se souvenait de plus rien. La première fois qu’elle m’a dit: «Bonjour madame, vous êtes qui?», ça m’a fait un choc. Mais plus que tout, je souffrais de la voir dans cet état. Elle ne bougeait plus, tenait à peine assise. J’ai été plus d’une fois révoltée. Vieillir pour terminer comme une petite flamme qui s’éteint doucement, oui, mais on ne pense pas à ça: à finir dans cet état, à végéter sans savoir quand tout cela va se terminer…

Ce n’était pas une vie!

Après la mort de mes parents, qui se sont suivis à une année d’intervalle, j’ai mis du temps à oublier. Ce sont des images fortes qui marquent et peinent à s’estomper. C’est là que je me suis dit que jamais je n’infligerais ça à mes enfants.

Et puis, je n’avais pas envie de terminer de cette manière. Il y a l’Alzheimer, bien sûr, et la souffrance qui en découle, pour soi et pour ses proches. Mais il y a aussi la solitude dans laquelle la vieillesse nous confine. Quand on est vieux, on est rarement écouté. Avec la maladie, en plus, on devient transparent.

Je me suis inscrite à Exit Suisse romande en 2001

Je connaissais l’association pour en avoir déjà entendu parler dans les médias. J’avais également lu des interviews de son actuel président, le Dr Jérôme Sobel, que j’avais trouvé très pertinent. Je me suis renseignée avant de faire le pas. Le fait que vous soyez aidé et accompagné dans cette ultime étape de votre vie, que vous puissiez surtout changer d’avis à la toute dernière minute, m’a convaincue. Mon entourage? Il l’a plutôt bien pris.

Ma fille de 30 ans a accepté d’être mon exécutrice testamentaire. Elle pense que c’est plutôt une bonne idée, mais pour elle c’est encore très loin. C’est une personne solide et pragmatique, et je voulais être sûre d’avoir quelqu’un sur qui compter si un jour je devais à mon tour perdre la mémoire. Je pense que mon mari n’aurait pas ce courage. C’est d’autant plus important qu’Exit ne peut intervenir que si l’intéressé(e) a encore son discernement.

Aujourd’hui encore, certains ne comprennent pas quand je leur en parle

Ils pensent que je veux en terminer avec la vie. Mais ça n’a rien à voir. Quand on s’inscrit à Exit, on espère au contraire ne jamais en avoir besoin. C’est une porte de sortie possible, pas obligatoire. Une issue dont je n’aurai peut-être jamais besoin. Je peux mourir demain d’un accident de voiture. Peut-être aussi que si un jour je devais souffrir d’un cancer je voudrais plutôt me battre.

Ce que je souhaite avant tout, c’est pouvoir être libre de mes choix. Que ce soit dans ma vie, ou dans cette ultime étape qui mène à la mort. Et surtout préserver mes proches, pour leur éviter un long chagrin. Je reste convaincue qu’il vaut mieux une peine tout court, plutôt qu’une longue peine et un gros «ouf» de soulagement. (Rires.)

Cela fait maintenant plus de dix ans que je suis inscrite

Si j’en parle aujourd’hui, la mort n’est pas pour autant un sujet récurrent dans mon quotidien. Au contraire, j’y pense rarement. J’ai toujours aimé la vie et tous ces petits riens qui la rendent belle. J’apprécie quand il y a du soleil, de pouvoir admirer et sentir des fleurs, me promener en pleine nature et être avec les gens que j’aime. Pour moi, avoir adhéré à Exit est avant tout un acte d’amour. Pour les miens et pour ma vie.

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