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Il y a cinq ans, j’étais au plus bas, dans un marasme émotionnel sans nom

Il m’a fallu du temps pour fuir celui qui était alors mon mari, et comprendre ce qui m’arrivait. Vivre avec une personne souffrant de troubles psychopathiques, c’est une mise à mort symbolique qui se fait méthodiquement: après avoir été séduite, la victime est isolée psychologiquement pour être finalement réduite à néant.

J’ai fait la connaissance de S. au travail. A l’époque, j’étais une femme indépendante et épanouie, avec des responsabilités professionnelles. Si à 35 ans le désir de fonder une famille commençait à se faire sentir, je n’en faisais pas une priorité. A notre première rencontre, au lieu de parler affaires, il m’a raconté son passé de délinquant, par «souci de transparence».

Il s’est présenté comme une sorte d’«Arsène Lupin» repenti…

Je suis ressortie de ce rendez-vous exaspérée, déterminée à ne plus le voir. Le lendemain, je recevais un mail emphatique dans lequel il me remerciait pour notre échange et m’invitait à manger. Très vite, il m’a confié ses rêves, son désir de fonder une famille. C’était comme s’il lisait en moi. J’étais bouleversée.

Durant des mois, il a été galant, à l’écoute, bienveillant. Au retour d’un de mes voyages, il m’a déclaré sa flamme, m’écrivant des mails dignes des grandes correspondances de la littérature française. Et j’ai cédé, inconsciente du piège qui se refermait surmoi.

Nous nous sommes installés ensemble

Accaparée par mon travail, j’avais l’impression que tout allait bien. Pourtant, il y a eu des signes. Deux incarcérations courtes et inattendues. L’une après avoir volé du matériel dans l’entreprise d’un copain de «bagne» pour l’aider à toucher l’argent de l’assurance. L’autre après avoir menacé d’anciens partenaires qui lui auraient «piqué» une idée.

Cette fois, une brigade d’intervention spéciale a débarqué chez nous, recherchant des armes. Je tombais des nues. La police me parlait d’une double vie, mais je ne comprenais rien. J’étais en colère. Depuis sa geôle, il m’a écrit pour m’expliquer qu’il était victime du système. A sa libération, portés par ses bonnes résolutions, nous décidions de faire un enfant.

En 2006 tout a basculé

En quelques mois, nous nous sommes mariés, notre enfant est né, S. a lancé sa société, pour la déplacer deux mois plus tard dans un autre canton, et enfin, nous emménagions à notre tour dans le même bâtiment que l’entreprise. Beaucoup trop pour une personnalité psychopathique: il a pété les plombs. Et licencié deux de ses proches collaborateurs pour être seul maître à bord.

En congé maternité, je le voyais fonctionner pour la première fois au jour le jour. Je ne reconnaissais plus l’homme que j’aimais. J’ai mis cela sur le compte de la pression. Mais plus ça allait, plus il devenait irrespectueux, méchant et irascible.

J’ai commencé à travailler dans son entreprise pour l’aider

Il me traitait de «grosse baleine» et de «merde» devant le personnel, dénigrant mes compétences professionnelles. A la maison, s’il ne nous a jamais battus, il faisait régner la terreur en entrant dans des colères noires, cassant tout sur son passage, me mettant sur le dos les difficultés de l’entreprise et celles de notre couple. Et moi, affaiblie plus que jamais, je le croyais.

Quant à notre fils, qu’il enfermait régulièrement dans le noir pour le punir alors qu’il n’avait pas 2 ans, il le testait quotidiennement pour voir ses limites, un peu comme un cobaye, me menaçant de mort quand j’osais intervenir. Un jour, alors que je lui disais qu’on ne pouvait plus continuer ainsi, il m’a répondu: «Tu es une sorcière. Si ça ne va plus, c’est à cause de toi. Il faut que tu ailles te faire soigner.» Persuadée d’être mauvaise, pétrie de culpabilité, je suis allée chez un psy en me décrivant comme telle.

La thérapie a démarré en janvier 2008

Sept mois après, je quittais S. Je me souviens de ce moment comme si c’était hier. J’étais au volant de ma voiture, mon fils derrière, fuyant ces sapins que je ne pouvais plus voir, et je pensais: «Tu es libre.» Mais le cauchemar n’était pas fini. S. est devenu fou. Il m’a bombardée de SMS, m’a harcelée au téléphone.

Nous avons dû quitter l’amie qui nous hébergeait, après qu’il l’ait menacée, et vivre cachés. Puis nous avons emménagé dans une sorte d’immeuble-bunker, où nous étions censés être en sécurité. Mais il débarquait, surgissant dans le parking collectif caméra au poing. A la buanderie, je trouvais des têtes de mort dessinées.

J’ai réalisé que j’étais en semi-liberté

Inquiète pour nos vies, une de ses maîtresses – j’ai appris au fil des mois qu’il en avait eu plusieurs avant et pendant notre mariage – m’a contactée pour me mettre en garde. Quant à la police, elle a dû intervenir de nombreuses fois.

Après des mois d’indifférence générale, j’ai enfin été entendue par la justice pénale. Autour de moi, nombreux sont ceux qui n’ont pas agi par peur de représailles… Diagnostiqué psychopathe par l’expertise psychiatrique, S. a écopé en2010 de six mois de prison et d’un sursis de quatre ans et demi. Quelque temps après sa sortie de prison, il a obtenu la garde de notre fils un week-end sur deux.

Une épreuve pour moi, qui voyais mon enfant revenir à chaque fois perturbé

Il y a quelques mois, du haut de ses 6 ans, il a refusé d’y aller. Cette fois, la justice l’a entendu, à son grand soulagement. Il va de mieux en mieux. S’il est suivi psychologiquement, c’est un petit garçon courageux et lucide, devant lequel je suis chaque jour plus admirative.

Durant ces années, une phrase m’a permis de garder le cap: «Il faut parfois savoir perdre pied, se risquer au grand écart existentiel, pour changer d’air, de destin et découvrir que le ciel est bien plus bleu qu’avant.» Aujourd’hui, je peux dire que mon ciel est plus bleu qu’avant.

Ma vie m’appartient à nouveau

J’ai entamé une formation pour accompagner des hommes et des femmes vivant la violence au quotidien et je planche sur un projet de suivi de ceux et celles qui secouent leur joug. Etre soutenu durant tout le processus, c’est vital. Encore plus quand on a été psychologiquement réduit à néant.»

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