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Albinos, je suis fière de ma différence

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Monique a surmonté son handicap en déployant une activité de tous les instants.

© Noura Gauper

Dès ma naissance, je me suis différenciée: les cheveux et les cils blancs, les yeux très clairs, je faisais la paire avec ma – fausse – jumelle, elle aussi albinos! Placée en nourrice à la suite du décès de ma mère, j’ai rejoint le giron familial à l’âge de 5 ans. Comme toutes les personnes atteintes d’albinisme, je suis hypersensible à la lumière et j’ai une vue déficiente.

Avec une fonction visuelle réduite à 20%, je n’en menais pas large sur les bancs de l’école de mon quartier, à Paris. Le médecin avait décrété que je ne devais pas porter de lunettes avant 12 ans, afin que mon œil «s’exerce de lui-même». Selon les professeurs, je passais plus de temps à rêvasser qu’à apprendre à lire. Pas étonnant puisque les lettres au tableau étaient floues et illisibles pour moi!

Caractère bien trempé

Je me suis donc retrouvée, avec ma sœur, dans une classe pour malvoyants. Où j’ai enfin pu m’initier à la lecture grâce à du matériel adapté. Je ne suis jamais passée inaperçue. Dès mon plus jeune âge, j’ai pris l’habitude d’être dévisagée, ou pire, faussement ignorée par ceux dont je croisais le chemin. Contrairement à ma jumelle qui vivait difficilement cette situation, je m’en amusais.

J’avais même trouvé un jeu: après quelques pas, je faisais brusquement volte-face pour planter effrontément mes yeux dans ceux des gens qui avaient évité de me regarder, en sachant qu’ils allaient inévitablement se retourner. Mon caractère bien trempé m’a évité bien des moqueries, et a été fort utile tout au long de ma vie.

Une prof sadique

Dans les années 1960, l’albinisme était une maladie génétique peu connue. Par exemple, on me disait de ne pas rester au soleil sans bouger, alors que dans tous les cas il faut éviter l’exposition aux rayons UV. Le corps ne produisant que très peu de mélanine, cela induit un manque de pigmentation, avec des conséquences sur la protection cutanée, inexistante.

Après deux ou trois coups de soleil sévères, j’ai compris qu’il valait mieux me couvrir de la tête aux pieds durant les journées d’été. Paradoxalement, la méconnaissance de cette anomalie héréditaire et congénitale – pour laquelle il n’existe aucun traitement – m’a permis de vivre une enfance normale. Je n’ai été privée ni de sorties en famille, ni de jeux en plein air.

Malvoyante et stigmatisée

A 12 ans, je me suis retrouvée dans une classe de 40 élèves, sans aménagements particuliers pour mon handicap. Malgré la meilleure volonté du monde – et une paire de lunettes à triple foyer flambant neuves – je n’arrivais pas à suivre les cours. Au lieu de m’aider, la professeure se faisait un plaisir de me laisser à la traîne.

Un brin sadique, elle m’obligeait à écrire en script, ce qui était une difficulté supplémentaire pour moi. Heureusement, une autre enseignante plus compréhensive a intercédé en ma faveur et j’ai eu une dérogation pour certains exercices. J’ai rejoint ensuite un cursus spécialisé, plus adapté à ma situation.

La société doit accepter les gens différents. Ils n’ont pas à se cacher


Malgré ma déficience visuelle, j’ai réussi plus tard à faire un brevet d’agent administratif, dans le circuit normal. Bien intégrée, je faisais le pitre en classe, pour la plus grande joie de mes camarades.

A 20 ans, j’ai passé des concours pour décrocher un job. J’ai trouvé un premier emploi à la mairie du IIIe arrondissement de Paris. Cela m’a permis de prendre mon indépendance en emménageant dans un studio. Je souffrais de fatigue oculaire et il n’était pas rare que j’aie des maux de tête. Mais, dotée d’une forte motivation, et avec des aides – telle ma fidèle loupe –, j’ai pu grimper les échelons puisque j’ai été engagée à l’état civil de la mairie.

De Paris au Locle

Si j’étais bien entourée, contrairement à ma jumelle, je ne fréquentais aucun garçon. Mais c’est dans son groupe d’amis, constitué de malvoyants – dont la devise était «Les yeux fermés, la gueule ouverte» – que j’ai fait la connaissance de Roger, un jeune Suisse aveugle. Mes plus charmants sourires étant inefficaces sur lui – et pour cause! – j’ai vite compris que la séduction allait opérer différemment. Notamment par le côté tactile.

Après quelques mois de relation, follement éprise, je l’ai épousé et j’ai accepté de quitter ma chère capitale pour la capitale mondiale de l’amour: Le Locle. Un choc! Heureusement, j’ai eu la chance d’être bien accueillie par ma belle-famille. Il n’empêche: les paquets de neige en hiver ne facilitaient pas les choses. Je peinais à voir les reliefs sur les trottoirs et il m’arrivait de trébucher et de m’étaler de tout mon long.

Accepter le handicap

Après avoir été employée quelque temps comme téléphoniste dans une entreprise horlogère, j’ai déménagé avec mon mari à Lausanne. Malgré sa cécité, il a toujours été actif. Notamment comme secrétaire romand pour la Fédération suisse des aveugles et malvoyants (FSA), organisme où j’ai donné de mon temps puisque j’ai été présidente de la section vaudoise durant quatorze ans. En tant qu’employée à la Bibliothèque sonore romande durant trente-six ans, j’ai côtoyé de nombreuses personnes malvoyantes.

En France, dans le cadre de l’association Genespoir, j’ai rencontré quelques albinos qui vivaient plus ou moins bien leur condition. Certains en venaient à se teindre les cheveux pour se fondre dans la masse. Ce qui est incompréhensible pour moi qui ai toujours accepté mon handicap et qui revendique le droit d’être albinos. Je considère que la société doit accepter les gens différents et que ceux-ci n’ont pas à se cacher.

Défendre les droits

Dans mon cas, cette particularité m’a rendue combative. Dans le cadre de mon activité au Conseil communal de Lausanne, j’ai défendu les droits des malvoyants, notamment concernant les aménagements. Je suis fière de faire partie de ceux qui ont fait avancer les choses, par exemple avec des feux sonores aux passages piétons.

Malgré ma vision très limitée, je suis aussi les yeux de mon mari durant nos sorties et au cours de nos nombreux voyages. Car notre handicap ne nous a pas empêchés de courir le monde: nous avons visité plus de 60 pays! Mes seuls regrets: ne pas avoir eu d’enfants – la faute à dame Nature – et ne pas avoir pu conduire un camping-car pour voyager plus librement.


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