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Enquête: et si on faisait la paix avec notre vagin?

Enquête: et si on faisait la paix avec notre vagin?

L’oppression induite par le X a des effets tous azimuts. N’observe-t-on pas une banalisation de l’épilation de la zone sexuelle? Une véritable chasse au poil, de moins en moins toléré, le pauvre.

© Sharon McCutcheon / Unsplash

Alice n’avait pas de complexe. Son sexe ne lui avait jamais paru hors norme, bizarre ni moche. Mais ça, c’était avant. «Un soir, je suis tombée sur un film X. Et j’ai réalisé que je n’étais pas tout à fait normale à cet endroit.» Soudain obsédée par la taille de ses petites lèvres qui (comme chez huit femmes sur dix, mais le sait-on?) dépassent des grandes, elle subira une opération «pour me sentir mieux». C’est-à-dire? «Plus désirable, plus moi». Un cas rare? Pas tant que ça, à en croire un sondage international réalisé en 2014. Selon lequel, même si toutes ne franchissent pas le seuil du bloc opératoire, une femme sur deux serait complexée par l’apparence de sa vulve.

«Ce chiffre me semble surestimé. Je n’observe pas cette proportion dans ma pratique, nuance Martine Jacot-Guillarmod, gynécologue au CHUV. Mais on peut effectivement parler de tyrannie du sexe parfait: de plus en plus de patientes se questionnent sur l’aspect de leur vulve. Souvent, il y a une confusion entre la vulve et le vagin, elles arrivent en me disant: «Je crois que mon vagin n’est pas normal...»

Le sexe idéal? Celui de Clara, Ginger ou Kim, actrices de films pornos. Autrement dit: surépilé, normé, hygiéniste. Un format prépubère, en somme. Le plus propre à séduire, apparemment, les consommateurs de ce type de production.

«Tout a effectivement commencé avec la visualisation de ces longs-métrages pour adultes, explique le Dr Sylvain Mimoun, gynécologue et auteur de l’ouvrage «Côté cœur, côté sexe: l’ABC du bonheur à deux» (Ed. Albin Michel). On y voit tout, y compris les lèvres, la vulve. Et en gros plan. Les femmes pensent alors que c’est la norme, leur recherche d’absolu devient beaucoup plus précise.» D’absolu, vraiment?

L’effet du X

A ces images de vulves artificielles, des séries comme «Girls» ou «Master of Sex» opposent certes des sexes «réels», mais ne suffisent pas à contrebalancer l’impact de l’industrie pornographique. «Il devrait y avoir des représentations éducatives et plus rassurantes, avance Marie Allibert. Via les manuels scolaires et l’éducation sexuelle, on pourrait dépeindre toute la variété des corps féminins, par exemple.» Et la porte-parole du mouvement Osez le féminisme! de souligner: «Les complexes liés à cette partie du corps féminin sont un signal alarmant de la place que tient la pornographie dans notre société. Même sur ce qu’il y a de plus intime, de plus personnel et de plus caché, on dit aux femmes à quoi il leur faut ressembler.» L’étonnant, c’est que nombre d’entre elles se plient à ce néodiktat...

L’oppression induite par le X a des effets tous azimuts. N’observe-t-on pas une banalisation de l’épilation de la zone sexuelle? Une véritable chasse au poil, de moins en moins toléré, le pauvre. «Certaines femmes s’excusent même de ne pas s’être épilées, raconte Martine Jacot-Guillarmod. Je les arrête tout de suite et les informe que ça n’est pas recommandé: les poils ont une fonction protectrice, alors que l’épilation comporte des risques de folliculite et d’infection.» Sans compter que, sur un sexe rasé, les défauts dont certaines se plaignent sont mis à nu. Ce qui ne fait qu’exacerber leur complexe.

Pour en finir avec la honte

Mais au fait: ces défauts esthétiques présumés sont-ils réels? «Dans la plupart des cas, c’est surtout une question d’image de soi et la solution peut résider dans une évaluation psychologique spécialisée, constate le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, spécialiste en médecine sexuelle aux HUG. On parle alors de trouble de l’image corporelle et, dans les cas plus sévères, de dysmorphophobie (trouble pathologique de l’image de soi, de sa relation à son propre corps, ndlr). Bien des femmes viennent en consultation en affirmant souffrir d’un problème alors que nous, médecins, trouvons leur corps parfaitement normal.»

La pression normative étant plus puissante que bien des paroles rassurantes, il arrive qu’on se fasse opérer malgré tout. Le plus souvent, comme Alice, pour une réduction des petites lèvres. Or «il faut savoir que celles-ci ont une fonction bien précise, puisque c’est là que l’excitation devient perceptible», indique Francesco Bianchi-Demicheli. Ce sont elles, entre autres, qui réagissent sous l’effet des stimulations sexuelles et produisent sensations érotiques et lubrification à l’entrée du vagin. Un haut lieu du désir et du plaisir féminins, en somme.

Est-ce à dire que l’amputer, c’est courir le risque de limiter sérieusement son propre accès au plaisir sexuel? «Cette intervention est assez courante et améliore la qualité de vie de celles dont les petites lèvres sont très saillantes, tempère le Dr Sabri Derder, chirurgien plasticien à la Clinique La Prairie. «Notamment au niveau du plaisir, précise-t-il. Pratiquée dans les règles de l’art, les risques de troubles de la sensibilité liés à l’opération tombent à zéro.»

Un argument qui est loin de convaincre Marie Allibert. «Pour moi, se faire ainsi opérer pour avoir un sexe dans la norme s’apparente à une mutilation génitale. C’est quelque chose de destructeur et de très dangereux, un processus misogyne totalement contraire à la liberté et l’émancipation des femmes.» Car, selon la jeune femme, si l’on décide de subir ce type de traitement, c’est que la demande provient des hommes. «Je ne crois pas aux théories selon lesquelles les femmes s’aliènent toutes seules pour satisfaire des besoins que personne n’aurait énoncé, poursuit-elle. Les hommes consomment de la pornographie, ils ont un certain nombre d’attentes quant au corps des femmes avec qui ils ont des rapports sexuels. Nous sommes contraintes de suivre un modèle, des standards de soi-disant beauté.» Nous le sommes, ou nous croyons l’être.

Et il n’y a pas que le souci esthétique. Il y a celui de la performance, qu’on avait longtemps cru réservé aux hommes. Suis-je assez musclée, assez serrée? Est-ce que je parviens à donner suffisamment de plaisir? Ce sont des questions que nombre de femmes se posent. Et, là encore, la culture ambiante est propice à générer un sentiment d’infériorité. Pour mieux le «guérir» à coup d’applications pour smartphone, vidéos d’exercices vaginaux, sex-toys à stimulation électrique, gels raffermissants... Toutes marchandises qui, pour Martine Jacot-Guillarmod, ne sont pas LA solution. «Dans ma pratique, je travaille beaucoup avec des physiothérapeutes. Les exercices vont permettre aux patientes d’aborder l’estime de soi, de se réapproprier leur sexe, leur périnée. L’enjeu, c’est souvent d’apprendre à se respecter.» Donc à se réconcilier avec soi. Ce qui n’est pas si évident.

Retrouver sa dignité

Car il est bien des lieux de honte, quand on est femme. Ancestraux. Et dont un siècle d’émancipation féminine est loin d’être venu à bout. La période des règles, par exemple. Osez le féminisme! a lancé une campagne, l’opération «Sang Tabou», pour inviter les femmes à se réapproprier la dignité... de leurs menstruations. «Tous ces clichés selon lesquels les femmes sont cycliquement irascibles, de mauvaise humeur et incontrôlables sont un véritable problème de société, insiste Marie Allibert. Que les femmes soient perçues comme des animaux soumis à leurs hormones qui, cinq jours par mois, sont incapables de se contrôler, a évidemment des conséquences en termes de légitimité politique, économique, etc.»

Le réseau militant pointe également du doigt l’effet désastreux des campagnes marketing menées par les marques de protection hygiénique. «Il y a ces grandes constantes, ces symboles de pureté, de «choses à laver», le bleu, le blanc, des couleurs très médicales, comme si les règles c’était sale et que vous deviez vous en purifier», développe la porte-parole. Un comble quand on songe que le rouge sang symbolise – et pour cause – le jaillissement d’énergie, de vie!

Et que dire de la prétendue mauvaise odeur des femmes lors de leurs règles? «En créant une source de honte, donc le besoin d’y remédier, on leur fait acheter des produits hygiéniques parfumés. Moi, j’ai 30 ans, je sais très bien que je n’ai aucun problème d’odeur pendant mes règles. Mais si j’avais 12 ans et demi, que j’étais une ado mal dans ma peau, et qu’en plus les pubs me disent que je pue lorsque j’ai mes règles... Ces procédés sont intolérables! Ils ont un impact très néfaste en termes de représentation de son corps et de confiance en soi.»

Réceptacle de nombreux complexes, eux-mêmes alimentés par un mix de peurs, d’ignorance et de tabous, le sexe féminin n’a pas fini de se désenchaîner. Pour faire bouger les mentalités, les uns comptent sur l’éducation, souhaitent impliquer les politiques. D’autres, tels le Dr Sylvain Mimoun, espèrent qu’une icône, à l’image d’une Angelina Jolie pour la mastectomie, montrera l’exemple en donnant un signal fort de son respect pour sa féminité la plus intime. De sa gratitude pour la puissance et la jouissance que sa vulve lui procure. Une sorte de geste révolutionnaire, donc.

Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom

En Grande-Bretagne, 66% des femmes n’osent pas prononcer le mot «vagin», avance une étude réalisée par Ovarian Cancer Action publiée en août. Cela n’étonne pas Marie Allibert, porte-parole du mouvement Osez le féminisme! «Quand on est enfant, il y a un mot tout trouvé pour parler du sexe des petits garçons: le zizi. Pour les filles, il y a toutes sortes de termes, selon les familles, mais il n’existe pas de joli mot pour définir leur sexe. C’est le tabou par excellence.» Or, lorsque l’on ne peut pas nommer et qualifier une chose dans l’enfance, il est compliqué de se l’approprier à l’âge adulte. Si bien que les femmes sont nombreuses à ne pas connaître leur sexe et à éviter de se rendre chez le gynécologue lorsqu’elles ont un problème. Selon l’étude britannique, seules 17% des 18-24 ans osent pousser la porte d’un cabinet médical. «Le sexe des femmes est caché et composé de plusieurs parties, poursuit Marie Allibert. Lesquelles sont mal expliquées, mal enseignées à l’école. Un changement culturel, qui doit passer par l’éducation, est nécessaire pour faire évoluer la société.» Oh que oui!

3 questions à Martine Jacot-Guillarmod, gynécologue au CHUV

Les complexes liés à l’esthétique de leur propre sexe touchent de très jeunes femmes. Comment expliquer cela?
Les jeunes ont de plus en plus accès à toutes sortes de photos et de vidéos. 50% des moins de 11 ans ont déjà été confrontés à des images pornos. Ils n’échangent pas forcément à leur sujet, ensuite, et les prennent pour argent comptant. Les filles croient alors que, pour que leur copain soit satisfait, elles doivent être comme ci ou ça. Face aux discours normatifs véhiculés par les médias et la pornographie, notre rôle en tant que médecin est de les rassurer, de leur expliquer que, pour ce qui est de la vulve, il n’y a pas de norme.

Chaque jour ou presque sortent sur le marché de nouvelles inventions pour embellir ou rajeunir son sexe. Quel regard portez-vous sur elles?
Chacune est libre de faire comme elle le souhaite et cette liberté est une bonne chose. En même temps, cette multiplication des produits et du discours marketing qui les accompagne génère des complexes inconnus avant. Chez une jeune fille déjà sensible ou fragile, ces messages normatifs peuvent avoir de lourdes conséquences.

Y a-t-il des produits que vous jugeriez dangereux?
Aux Etats-Unis, l’une de mes consœurs à Philadelphie m’a parlé de crèmes astringentes, très à la mode chez certaines jeunes, qui assèchent complètement le vagin pour donner plus de satisfaction aux hommes. C’est de la barbarie! Si l’on assèche ainsi les muqueuses vaginales, outre des douleurs, on crée des lésions. Avoir un rapport sexuel sans que le sexe soit lubrifié, c’est risquer des déchirures de la muqueuse et la transmission d’infections sexuellement transmissibles. Je n’ai encore pas vu cela en Suisse, par chance. Mais ces lotions se commandent très facilement sur internet.

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