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LGBT: les mentalités peinent à évoluer en Suisse

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© Getty Images

«Cochon», «abomination», «a mort». Ces insultes homophobes n’ont pas été propagées via les réseaux sociaux, mais taguées sur des flyers distribués par le groupe LGBT (lesbiennes, gays, bi- et transsexuels) du CERN, à Meyrin en 2016. Des comportements qui font tache, au sein du plus prestigieux laboratoire de physique au monde. «Selon l’enquête 'Etre LGBT au travail', publiée en 2015, en effet, 70% des personnes interrogées ont déjà entendu des blagues et des stéréotypes sur les homosexuels», éclaire Lorena Parini, de l’institut des études genre de l’Université de Genève. Bref, la Suisse est encore loin de figurer parmi les bons élèves mondiaux en matière de respect et de droits accordés aux amoureux du même sexe. C’est ce que relève le classement 2017 d’ILGA-Europe, une association luttant contre les discriminations à l’encontre des LGBT. Notre pays y pointe en 26e position sur 49 et a même perdu une place depuis 2016. Avancées des droits disiez-vous?

Experte en prévention des violences et des discriminations au canton de Genève, Caroline Dayer explique notamment cette position décevante «par le retard de la Suisse au niveau légal par rapport à ses voisins»: toujours pas de mariage civil, inexistence de l’égalité pour les familles «arc-en-ciel» au niveau de la loi, discriminations juridiques face au changement de sexe à l’état civil. Sans parler de l’impossibilité légale de combattre les manifestations d’homophobie au même titre que le racisme. Même si, en février, la Commission des affaires juridiques du National a accepté d’ajouter le critère d’«identité sexuelle» à l’article du Code pénal, qui pénalise pour l’heure la discrimination envers des personnes «en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse». Un projet de modification sera présenté au Parlement.

Des mentalités qui coincent

«Ces dernières années, nous avons certes connu des victoires d’étapes, mais celles-ci doivent être concrétisées sur le plan fédéral», résume Delphine Roux, coordinatrice de la Fédération genevoise des associations LGBT. Pour les familles «arc-en-ciel», le droit d’adoption complet et le mariage civil sont les grands combats à venir. L’attente de ce dernier expliquerait la stagnation – 700 par année – des partenariats enregistrés depuis l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe, il y a 10 ans.

Si le frein n’était que sur le papier, l’horizon pourrait sembler à portée de main. Mais voilà, ça continue de coincer, aussi, dans les mentalités. Et pas que chez les plus conservateurs. «Les LGBT continuent d’être la cible d’homophobie au sein des familles comme de la société dans son ensemble», relève Delphine Roux. «Il est facile […] de se dire que pour les personnes LGBT les conditions de vie en Suisse sont plutôt bonnes. Que l’on en demande peut-être un peu beaucoup», écrivait dans son dernier édito le rédacteur en chef du magazine genevois «360°», Guillaume Renevey. «Il y a pourtant dans l’acronyme LGBT une lettre qui est encore trop souvent mise de côté». A savoir, le T de transgenre. La situation de ces personnes est «d’autant plus délicate qu’en phase de transition, elles sont exposées beaucoup plus frontalement aux discriminations, notamment physiques, et n’ont pas le choix de faire ou pas leur coming-out», selon Delphine Roux. Yannick Forney, responsable de la permanence trans au Checkpoint à Lausanne, souligne «le grand besoin d’échanges, entre ceux qui vivent une transition mais aussi les parents qui se retrouvent lors de groupes de paroles.»

Des résistances qui, paradoxalement, génèrent parfois encore plus de frictions qu’auparavant. «Les avancées vers davantage d’égalité provoquent des levées de boucliers», remarquait Caroline Dayer dans son ouvrage «Sous les pavés, le genre. Hacker le sexisme» (Nouvelles éditions de l’Aube, 2014). «Quand les choses avancent, cela peut engendrer davantage de violence; verbales, bien sûr, mais aussi menaçant l’intégrité physique des personnes», souligne la chercheuse, qui vient de publier «Le pouvoir de l’injure. Guide de prévention des violences et des discriminations» (Nouvelles éditions de l’Aube, 2017).

Chez nous, des élus démocrates-chrétiens tessinois se sont ainsi insurgés contre la tenue de la Pride 2018 à Lugano, considérée comme «un événement contraire à nos traditions». Un discours exacerbé, au-delà des frontières, par les événements politiques; en France, la campagne présidentielle a aiguisé les tensions, souligne le dernier rapport de l’association SOS Homophobie. Sans parler des réseaux sociaux, chambre d’écho d’une haine qui a ainsi visé le discours du compagnon de Xavier Jugelé, policier abattu lors d’une attaque terroriste à Paris en avril 2017. De quoi s’inquiéter plus encore des épouvantables témoignages de rafles et de tortures à l’encontre des homosexuels qui filtrent de Tchétchénie et qui viennent de pousser des associations françaises à déposer une plainte devant la Cour pénale internationale contre le président Ramzan Kadyrov pour «génocide des homosexuels».

Esprit du temps vs Etat

Ce climat qui perdure explique, plus que la réserve helvétique, la discrétion entretenue autour d’une orientation sexuelle qui sort de la norme. «La potentielle réaction agressive dans l’espace public est constamment à l’esprit. Rester discret est un mécanisme de protection», selon Delphine Roux, qui rappelle qu’un homme a été roué de coups devant un café genevois LGBT en novembre. Stéphanie, Valaisanne de 38 ans, a fait son coming-out au sortir de l’adolescence. Elle commente: «J’étais convaincue que vingt ans plus tard les choses seraient toutes simples à vivre. Mais je me sens toujours étiquetée, hors norme.» Avec sa dernière compagne, elles ont décidé de renoncer à toute manifestation de tendresse dans la rue, y compris se tenir la main.

Les plus jeunes ne sont pas épargnés, comme l’a montré l’étude «Santé gaie», publiée en 2011 dans le cadre d’un projet mené par Dialogai et l’Université de Zurich: 50% des jeunes LGBT interrogés avaient été la cible d’au moins une forme d’agression, verbale ou physique, dans les six derniers mois. «La rue et l’école, la famille et le travail constituent encore des sphères où les personnes peuvent craindre d’exprimer leur homosexualité par peur du rejet et des violences. Les questions de savoir à qui parler, à qui s’identifier et de pouvoir être soi-même restent lancinantes. Même si, souligne Caroline Dayer, un travail remarquable a été effectué notamment en matière de visibilité et de prévention, notamment dans le contexte scolaire.»

Pour que les changements se fassent en profondeur, une seule solution, insistent nos interlocuteurs: la réponse institutionnelle. «Cela ne veut pas dire que dans les pays où elle est un fait, comme le Canada ou le Royaume-Uni, l’homophobie a disparu, nuance Delphine Roux. Mais l’égalité et la protection juridiques sont d’autant plus nécessaires qu’elles empêchent un potentiel sentiment d’impunité des agresseurs. Lorsque les institutions mettent tous les citoyens sur un pied d’égalité, c’est là que les choses peuvent véritablement progresser.» Genève fait ici figure de championne: la Ville comme le Département de l’instruction publique disposent d’un poste pour lutter contre les discriminations homophobes et transphobes. Et c’est au bout du lac qu’a ouvert un espace dédié aux jeunes LGBT en souffrance.

La preuve, quand même, que les choses évoluent: depuis l’automne 2016, la presse de boulevard alémanique s’est prise de passion pour Dominique Rinderknecht et Tamy Glauser. Pas un jour sans que la relation entre Miss Suisse 2013 et la top-modèle bernoise ne soit décortiquée. Les deux jeunes femmes jouent volontiers de cet intérêt, distillant à longueur d’interviews des confidences sur les papillons dans le ventre et l’élasticité du genre. A l’instar de feu «Brangelina», le couple s’est même vu adouber d’un surnom: «Tamynique». Un ménage de stars comme les autres, ou presque, tant il est évident que le duo fascine parce qu’il est composé de deux femmes. Reste que c’est probablement la première fois qu’un couple homosexuel se voit célébré de la sorte en Suisse. Un pas de plus vers une normalité ardemment souhaitée.

Témoignage

Stéphanie, 28 ans, mère d’une fille de 11 mois, Bienne

«La grossesse de ma compagne n’a pas toujours été une période facile pour moi: dans notre société très «genrée», j’ai eu beaucoup de difficultés à me positionner, y compris face à nos proches, comme femme accompagnant une femme enceinte. En portant un enfant, ma compagne gagnait en normalité, moi, je faisais un pas de plus vers la marginalité. Par exemple, lors des cours de préparation à l’accouchement, j’étais toujours désignée comme «l’autre personne». La situation s’est rééquilibrée après la naissance de notre fille. Certains vont jusqu’à relever les ressemblances avec moi qui n’ai pas de lien biologique avec elle! La grande et belle surprise est venue des professionnels. Je pensais devoir me battre pour obtenir un congé parental, mais non, mon employeur lausannois était en train de changer les statuts et j’ai pu prendre cinq jours de congé.

A Bienne, l’hôpital, la crèche ont fait preuve de bienveillance et de pragmatisme. Avoir le même nom de famille suite à notre partenariat facilite probablement les démarches. Reste que ne pas être reconnue comme co-parent sur le plan légal est très désécurisant. Même si les choses changent petit à petit, comme l’a montré l’échec du référendum contre l’adoption homoparentale (en automne 2016, les opposants à la réforme du droit à l’adoption de l’enfant du conjoint ne sont pas parvenus à récolter les 50 000 signatures nécessaires à un référendum, ndlr).»

4 questions à Alexia Scappaticci, éducatrice spécialisée

Ouvert en 2015 pour les jeunes rejetés par leurs proches suite à leur coming out, le Refuge Genève emploie deux éducatrices sociales. Le point avec la coordinatrice Alexia Scappaticci.

Où en est le Refuge Genève? Lorsque nous avons ouvert, en mars 2015, c’était dans l’idée d’aider des jeunes jusqu’à 25 ans en rupture familiale, à l’exemple de ce qui se fait en France. Mais nous nous sommes rendu compte qu’intervenir le plus en amont possible, par exemple dans la préparation d’un coming out, est ce qu’il y a de plus efficace et peut permettre d’éviter la crise et ses conséquences. Les deux grosses problématiques auxquelles nous sommes confrontées sont le rejet de l’entourage et ce que nous appelons l’homophobie intériorisée, c’est-à-dire le rejet de sa propre orientation sexuelle ou identité de genre.

Qui sont ces jeunes? 54% se sont vu rejeter par leur famille, dont 38% en raison de la culture ou de la religion. 73% souffrent de cette homophobie intériorisée qui les rend vulnérables sur le plan psychique, les exposant à des risques de stress, d’anxiété, de dépression, jusqu’aux tentatives de suicide, et peut en pousser certains vers des comportements à risque, addiction, prostitution… De plus, un sur trois est en situation de migration: sans-papiers, réfugié ou requérant.

Comment découvrent-ils votre existence? Par un travail de réseautage qui passe notamment par les écoles et les réseaux sociaux. Nous avons une page Facebook et sommes en train de renforcer notre présence sur Twitter, Snapchat et les sites de rencontre.

Y a-t-il plus de garçons que de filles? Les hommes sont en effet majoritaires, suivis par les trans, dont le nombre a explosé en raison du manque de prise en charge et qui ont des besoins très diversifiés et spécifiques. Et puis, nous accueillons toujours plus de mineurs.

Le choix de Pauline Gygax

Suite de notre série d’articles dans le cadre de l’opération #JeSuisuneFemmeFemina. Aujourd’hui, la suggestion de Pauline Gygax, productrice.

«Parler des droits et de la reconnaissance de la communauté LGBT, c’est parler de nous en tant que société, une société que je rêve tolérante, ouverte, moderne et protectrice des minorités quelles qu’elles soient. Vivre une histoire d’amour, habiter en couple, fonder une famille, autant d’étapes de vie importantes pour la plupart des gens, nettement plus compliquées lorsque l’on est homosexuel(le), bi ou transgenre, même en 2017, même en Suisse. Dès lors, la moindre des choses et la plus urgente, c’est déjà qu’ils ne soient plus discriminés légalement. La population LGBT se suicide en moyenne 4 fois plus que le reste de la population, et bien sûr, c’est à l’adolescence que les taux sont le plus élevés. J’ai observé de loin l’ouverture du Refuge à Genève et cela me rend infiniment triste de constater que des lieux tels que celui-ci sont encore indispensables en Europe en 2017. N’oublions pas qu’à quelques milliers de kilomètres d’ici, en Tchétchénie, les autorités mènent une chasse aux homosexuels, que leurs familles sont incitées à tuer pour «laver leur honneur». A Cannes, j’ai eu le bonheur de découvrir «120 battements par minute», de Robin Campillo. Un film essentiel qui relate avec génie et générosité la naissance d’ACT UP en France et les premiers ravages causés par le sida. Il sort en Romandie le 23 août 2017: courez le voir!»

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