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S’il y a progrès, les femmes se font encore très rares dans les hautes sphères. A tel point que certains réclament l’instauration de quotas au sein de ces organes dirigeants, en Suisse et en Europe.

Il suffit de prendre une entreprise helvétique au hasard pour en faire l’observation, claire et limpide. Qu’elle s’occupe de gros sous, qu’elle vende des capsules de café ou des montres, qu’elle véhicule des passagers ou qu’elle livre des lettres, l’entreprise suisse type n’a que très peu de femmes au sein de ses instances dirigeantes. Le constat est accablant: l’accession aux hautes sphères entrepreneuriales reste l’apanage de ces messieurs. Et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne ce «saint des saints» qu’est le conseil d’administration. La preuve par l’image: nous avons retenu une douzaine d’entreprises suisses «emblématiques», et affiché, ci-contre, les photos des membres de leurs conseils d’administration. Parlant, non?

Certes, il y a des progrès, mais lents, très lents. Trop lents pour certains, qui verraient d’un bon œil l’instauration de quotas. Une motion qui, rappelons-le, a été rejetée par une majorité du parlement suisse il y a un an à peine, mais qui n’est de loin pas enterrée. En Suisse comme à l’étranger. Actuellement, la Commission européenne est ainsi en train de plancher sur la question, entraînée par sa très dynamique vice-présidente Viviane Reding, convaincue des bienfaits de la discrimination positive (lire encadré ci-dessous).

En Suisse, si la plupart des acteurs du milieu économique se disent opposés par principe, beaucoup avouent qu’il faudra peut-être passer malgré tout par là pour faire avancer la situation. La question des quotas ne doit pas être un tabou. Adèle Thorens, coprésidente des Verts suisses, qui avait signé la motion en question, ne dit pas autre chose. «A titre personnel, je n’aime pas les quotas. C’est une mesure «kalachnikov», potentiellement contreproductive pour les personnes qu’elle touche, avec le risque de se retrouver aux yeux des autres comme une femme-alibi. Pour moi, le quota doit être un instrument de dernier recours, et forcément temporaire. Mais j’ai signé cette motion car la situation est tellement mauvaise qu’il faut en discuter.»

Chiffres sans équivoque

Les chiffres sont là pour dissiper le moindre doute. La Fondation Ethos, actionnaire de très nombreuses sociétés suisses qui regroupe 130 investisseurs institutionnels, milite depuis longtemps pour davantage de diversité au sein de ces entités. Et elle tient les comptes. Ainsi, les 100 plus grandes entreprises nationales cotées en bourse comptabilisent 832membres de conseils d’administration, dont seulement 80 femmes. Elles étaient 59 en 2009. «Les chiffres le montrent, il y a aujourd’hui plus de femmes dans les conseils qu’il y a trois ans. Pourtant, avec un pourcentage de 9%, cette tendance devrait encore se poursuivre», argumente Vinzenz Mathys, porte-parole d’Ethos. Il poursuit: «Quoique opposés au principe des quotas, nous considérons qu’un positionnement et, le cas échéant, une intervention du régulateur seraient nécessaires pour que les entreprises prennent cela au sérieux. Il existe suffisamment de candidates sur le marché, comme cela a été démontré par plusieurs sociétés qui ont proposé d’excellentes candidates ces deux dernières années.»

Le journal Blick s’est amusé à faire le calcul: sur les 70 derniers candidats proposés à l’élection dans les conseils d’administration des cent plus grandes entreprises cotées en bourse en Suisse, 14 étaient des femmes.

Certaines entreprises n’ont pas attendu d’y être obligées avant de favoriser l’accession des femmes aux plus hautes marches de leur hiérarchie. C’est ainsi le cas d’UBS, qui vient de renouveler son conseil au début du mois de mai. Il compte désormais un quart de femmes avec l’arrivée de Beatrice Weber di Mauro et de la Vaudoise Isabelle Romy.

La multinationale Nestlé ferait, elle aussi, partie des «bons élèves», avec trois femmes dans son CA, et 28% des postes de direction sur l’ensemble de ses activités occupés par des femmes. «Mais le nombre de femmes représentées parmi les cadres supérieurs est inférieur à ce que souhaite l’entreprise», souligne Philippe Aeschlimann, porte-parole de Nestlé. L’initiative Gender Balance (équilibre des sexes) lancée en 2008 a pour but de combler ce manque.

Car le nœud du problème pourrait se trouver à ce stade intermédiaire, parmi ce que Françoise Piron, directrice de l’association Pacte (des paroles aux actes), appelle le «middle management», soit les cadres moyens: il n’y a pas aujourd’hui un «réservoir de femmes» suffisant à ce niveau-là de la hiérarchie, qui permettrait d’alimenter par effet de cascade les niveaux supérieurs et les conseils d’administration. «Environ la moitié des étudiants sur les campus universitaires sont des femmes, et les conseils d’administration ne sont composés que de 9% d’entre elles: on «perd» donc un potentiel énorme de femmes ayant un niveau de formation supérieur entre la fin des études et le conseil d’administration! Malgré tout ce qui a déjà été mis en place, un grand nombre d’entre elles «quitte le système» entre 30 et 40 ans, souvent pour fonder une famille», regrette cette ingénieure de formation.

Une efficace diversité

Dans le cadre de ses ateliers de «Potentielle Manager», auxquels participent des femmes cadres de nombreuses entreprises romandes, Françoise Piron leur apprend notamment à intégrer le fait qu’elles peuvent être mères et faire carrière sans avoir à culpabiliser. Les quotas? Pourquoi pas. «Quand on regarde la photo de la plupart des conseils d’administration, c’est vrai que l’allure générale est masculine, mono-culturelle, avec très peu de diversité. La clé pour des entreprises plus performantes, ce n’est pas seulement comme le disent certaines féministes d’avoir plus de femmes dans les conseils, mais plus de diversité. Et la femme contribue à cette diversité. Alors les quotas, c’est un moyen à court terme pour amener cette diversité. Cela obligera à chercher des candidats un peu plus loin que parmi les joueurs de golf du week-end.»

Bien peu de patronnes

Même au sein des plus fervents opposants à toute intervention de l’Etat dans l’organisation de l’entreprise, on ne peut que dresser le même constat. «Je me fais la remarque tous les jours, et pas qu’au sein des conseils d’administration, mais aussi dans nos réunions, nos entreprises: parmi les patrons, on rencontre finalement peu de patronnes», avoue Christophe Reymond, le directeur du Centre patronal suisse. Pour lui, il faut autant que faire se peut vanter les mérites de la mixité et encourager l’évolution des choses, mais il se refuse à prôner des mesures visant à la discrimination positive. Il n’aime pas ça. «On pourrait ensuite demander des quotas de seniors, ou de jeunes, de personnes handicapées. Comment fixer la limite? Pour moi, c’est clairement non. Mais les études tendent à le démontrer: plus il y a de femmes au sein de son entreprise, plus elle est performante. Donc ceux qui ne le font pas font une erreur stratégique et économique, gaspillent des ressources et spolient leurs actionnaires. Une fois qu’on a dit ça, tout est dit. Pas assez de femmes dans les conseils? Oui, certainement, tant pis, ça changera. C’est d’ailleurs heureusement en train de changer.»

Mais quitte à décevoir le «patron des patrons», la question des quotas est à nouveau d’actualité. Pour Françoise Piron, c’est depuis le grounding de Swissair, en 2001, que la Suisse a réalisé les dangers d’un management «mono-culturel». Mais certains, à l’instar de la Verte Adèle Thorens, voient la crise financière actuelle comme un déclencheur. «Pendant très longtemps, on n’a rien dit sur l’univers de la finance, tout le monde se faisait de l’argent et on ne voulait pas trop savoir comment cela se passait. Maintenant que le système s’est cassé la figure, on est devenu plus critique, on appelle à plus de régulation, et d’une certaine manière la question des femmes relève d’une problématique voisine. Soit la volonté de promouvoir une autre approche du risque et une meilleure appréhension du long terme, deux caractéristiques qui semblent être le propre du management des femmes.»

Annabelle et Femina se mobilisent

Le magazine féminin alémanique Annabelle prend la question des femmes dans les fonctions dirigeantes à cœur. Sa rédactrice en chef Lisa Feldmann lancera cet automne une campagne à l’échelle nationale, avec la participation de Femina. L’idée? Rallier 1000 «talents», hommes et femmes des milieux culturels, économiques et politiques, prêts à prendre position pour l’instauration de quotas de femmes (30%) dans les postes de direction des entreprises ayant au moins 200 collaborateurs.

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