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Brisez le tabou des règles… enfin!

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© Getty Images

Héroïque, courageuse, désarmante. Autant d’adjectifs utilisés pour décrire la nageuse chinoise Fu Yuanhui aux JO de Rio 2016. Suite à sa contre-performance au relais 4 x 100 mètres, cette dernière avait tout simplement expliqué qu’elle avait… ses règles. Un aveu si inattendu et dérangeant, qu’il a fait le tour du monde.

Car oui, au XXIe siècle, les règles font toujours polémique, alors qu’il n’est rien de plus naturel et de plus normal que les menstruations. «L’idée des règles comme effrayantes, sales, dotées de mauvaises ondes, reste très ancrée. Les femmes sont vraiment programmées à avoir une attitude négative face à ce qui est toujours un tabou. Il reste énormément de travail à faire pour démystifier les menstruations et, de manière plus générale, les organes reproducteurs», estime la Dresse Michal Yaron, responsable des consultations de gynécologie pédiatrique et des adolescentes aux Hôpitaux universitaires de Genève. C’est ce constat qui a poussé deux journalistes françaises à publier chacune leur essai – réussi – sur le sujet, en mêlant anecdotes personnelles, interviews et recherches. Auteure de «Sang tabou» (Ed. La Musardine), Camille Emmanuelle a décidé d’enquêter en constatant le «déficit de connaissance incroyable des femmes – moi y compris – comme des hommes, sur le sujet.»

Dans toutes les cultures, ou presque, les règles sont considérées comme sales depuis des temps immémoriaux. Même son de cloche de la part des trois religieux monothéistes. Aujourd’hui encore, l’idée perdure, et le patriarcat a bon dos, estime Camille Emmanuelle: «Nous, les femmes, sommes également responsables de l’existence de ce tabou. Nous parlons très peu des règles entre nous ou à nos compagnons.»

Les deux journalistes ont écrit leur ouvrage à la première personne. «Dire «Je», c’était une façon de me débarrasser d’un rapport honteux à moi-même. Je voulais en faire une affaire personnelle pour me ré-approprier ce sujet avec humour et bienveillance, mais sans impudeur. On a déjà assez de raisons de se sentir stigmatisées sur ce sujet», explique Elisabeth Thiébaut, auteure de «Ceci est mon sang» (Ed. La Découverte).

Des artistes au front

Ces dernières années toutefois, le tabou a commencé à vaciller, notamment grâce aux démarches de femmes artistes. Choquée par la pratique hindoue du «Chaupadi», qui exclut, lors de la ménarche – les premières règles – les jeunes filles de leur communauté, au prix de grandes souffrances, la photographe indienne Poulomi Basu vient de réaliser au Népal un superbe travail, «A Ritual of Exile: Blood Speaks» (un livre est prévu pour cette année). Fin 2014, l’exposition «The Curse, la malédiction», de la photographe française Marianne Rosenstiehl, avait été très remarquée. Depuis, même le magazine sportif français «L’Equipe» a consacré sa une aux règles. Mais il y a encore du boulot: un visiteur se serait évanoui devant un dessin de l’artiste suédoise Liv Strömquist montrant une patineuse enjouée en noir et blanc – avec une tâche de sang entre les cuisses. Il faut dire que ce genre d’incident demeure habituellement loin des yeux. L’événement a beau se produire chaque mois pour des milliards de femmes dans le monde, il semble surprenant, une fois dessiné.

Exigence d’information

En 2015, la poétesse canadienne Rupi Kaur postait sur Instagram une image la montrant couchée, de dos, le jogging ensanglanté. Ce qui devait n’être qu’une photo de projet de fin d’études sur le tabou des règles s’est transformé en «révolution virale», pour reprendre le terme de certains médias, lorsque l’image a été censurée – elle est désormais visible en ligne. «Merci, @Instagram, de m’avoir fourni la réponse que mon travail visait précisément à critiquer», a réagi la jeune femme. Les réseaux sociaux, caisse de résonance mondiale, vont offrir un formidable écho à l’artiste, tout en propageant un message de tolérance et d’exigence d’information. C’est ainsi que la campagne indienne The Red Cycle s’accompagne du hashtag happytobleed (heureuse de saigner). Le message: s’accepter enfin telle qu’on est et qu’on vit.

Le diktat du «faire avec»

Mieux connaître et écouter son corps, c’est d’ailleurs l’un des messages véhiculés par toutes nos interlocutrices. Cela inclut le fait d’assumer de ne pas forcément être bien pendant les menstruations. «J’ai totalement nié l’impact des hormones sur mon humeur, écrit ainsi Camille Emmanuelle. J’entendais tellement de remarques sexistes sur les femmes qui sont «chieuses» pendant leurs règles, et je ne voulais tellement pas donner raison à ce discours sexiste, que je faisais comme si les hormones, chez moi, ça n’existait pas.» Et ce alors qu’elle fait partie des quelque 20 à 30% des femmes qui souffrent du syndrome prémenstruel – officiellement reconnu en 2013 seulement par l’Association psychiatrique américaine (sa forme sévère, le trouble dysphorique menstruel, touche, lui, entre 2 à 8% des femmes). «Encore trop de femmes «font avec» les symptômes, ainsi qu’avec la douleur, et pensent que le SPM ne peut pas être traité», déplore la Dresse Michal Yaron. Mais il ne faut pas hésiter à consulter et, la prochaine fois qu’un collègue vous lance: «Ben quoi, t’as tes ragnagnas?» répondre: «Oui! Et toi, c’est quoi ton problème?»

Au-delà des répliques douteuses en «open space» ou des regards de travers, les règles, sont aussi un sujet politique. Oui, même aujourd’hui, après un quart de siècle de féminisme! La «taxe rose» est l’expression utilisée pour évoquer le surcoût appliqué aux produits hygiéniques féminins. Un marketing du genre potentiel que le Conseil fédéral a refusé d’examiner, en 2016, et qui continue à faire débat en France, par exemple. Par ailleurs, il reste très difficile de connaître la composition des serviettes et des tampons, ce que déplore Elise Thiébaut: «Les femmes sont conditionnées à penser qu’il faut absolument faire disparaître ce flux trois à cinq jours par mois pendant quarante ans. Ce n’est pas avec une telle image de soi qu’on a envie de se rebeller. Au contraire, on est plutôt portées à choisir des protections qui nous permettent d’être conformes à cet idéal abstrait, fait de liquide bleu et de champs de tournesols…»

Cette décoloration et cette dématérialisation des menstruations par la pub ont forcément beaucoup fait culpabiliser les premières concernées. Il y a quelques années, la sexologue Laurence Dispaux, établie à Morges, entendait souvent les femmes dire qu’elles souhaitaient prendre la pilule en continu afin de ne plus avoir leurs règles. Aujourd’hui, c’est plutôt le discours inverse que tiennent des femmes qui veulent «se sentir plus «nature», à l’écoute de leur corps. Elles rapportent spontanément qu’elles peuvent ainsi mieux repérer les signaux de désir, d’excitation – mais aussi de fatigue – le moment de l’ovulation, bref ce qu’exprime leur corps, y compris les symptômes les moins agréables. Le fait d’avoir à nouveau des menstruations est vécu comme un recentrage sur elles-mêmes, un respect de leur cycle

Cette tendance est à mettre en parallèle avec le succès grandissant des coupes menstruelles. Attention, toutefois, à ne pas tomber dans l’extrême inverse, glisse Camille Emmanuelle, qui voit d’un œil critique les First Moon parties, célébration américaine de la ménarche apparue récemment, qui mettent, selon elle, «la fertilité sur un piédestal». «Les règles devraient être vécues comme l’allaitement, sans tabou, mais sans tomber dans l’hyperglorification non plus.» L’occasion de rappeler, comme l’avait fait le médecin Martin Winckler dans «Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les règles sans jamais avoir osé le demander» (Ed. Fleurus), que le cycle menstruel n’est pas calqué sur le cycle lunaire: seules 30% des femmes ont un cycle de 28 jours.

Dans l’intimité du couple

Parler des règles, oui, mais pas forcément tout le temps et en tous lieux. On peut le faire, par exemple, avec son compagnon, pour lui expliquer ses états d’âme ou son manque de désir. Elise Thiébaut a été «surprise» de constater l’intérêt pour son livre de la gent masculine, qui y a trouvé «de nombreux sujets d’étonnement et de réflexion».

Sujet de discussion incontournable en couple: l’amour pendant les règles. Selon la sexologue Laurence Dispaux, c’est «assez binaire». Il y a d’une part les couples qui n’y pensent pas: «Soit il y a dégoût de la part de l’homme, soit il est mal à l’aise, car il associe le sang à une blessure. Quant à la femme, elle se sent éloignée de la sphère érotique à cause de la fatigue, humeur, douleurs.» Mais on compte aussi des couples qui font l’amour «sans se poser trop de questions». La sexologue souligne que dans cette catégorie, «certains font état d’un sentiment de complicité et de proximité, car seul le conjoint sait certaines choses sur l’intimité de sa partenaire et ses réactions». Au final, c’est à chaque couple de décider, mais en se rappelant que non, le sang, ce n’est pas «sale». Reste à voir si ces artistes, écrivaines, médecins qui se mobilisent pour des règles qui s’assument sauront transformer le liquide bleu éthéré des publicités en 50 nuances de rouge. Celui du désir, de l’amour, de la vie, d’une expression sans filtre de la féminité.

Briser le flux du silence

L’art pour revendiquer Ce triptyque peint résume toute l’hypocrisie sociétale qui entoure le sujet des règles. Dans «Menstruate with pride», l’artiste britannique Sarah Maple représente une foule dégoûtée par une femme tachée de sang, mais brandissant le poing.


©Sarah Maple

Avec pédagogie Fatiguée de voir les femmes se sentir toujours honteuses de leurs règles, la jeune Cass Clemmer a publié «Toni le Tampon», un livre pour enfants qui démystifie le sujet. Humoristique, mais surtout libérateur.


©Cass Clemer

L’image qu’il ne fallait pas montrer En 2015, l‘artiste canadienne Rupi Kaur postait sur Instagram cette image d’elle, dans le cadre d’un projet de fin d’études sur le tabou des règles. La réaction ne s’est pas fait attendre: elle a été censurée, ce qui a provoqué d’innombrables réactions sur les réseaux sociaux.


©Rupi Kaur/Instagram

Règles et fair-play Jeux de Rio 2016. La nageuse chinoise Fu Yuanhui, grande favorite, rate la médaille d’or et explique sa contre-performance par le fait d’avoir ses règles. Entrave réelle ou excuse? Peu importe: cette phrase a eu le mérite de faire enfin entrer la question des menstruations dans l’arène sportive.

Briser la loi du silence La publicité vend serviettes et autres tampons dans des décors faits de champs de tournesols et de liquide bleu à absorber, confortant le tabou, que certains s’activent aujourd’hui à briser.


©Instagram

L’avis du médecin

Dr Michal Yaron, responsable des consultations de gynécologie pédiatrique et des adolescentes aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)

«En consultation, je suis toujours choquée par la manière dont les parents se réfèrent aux organes génitaux des petites filles: «la foufounette», «petite fesse», «zézette»… Comment, dès lors, ces dernières peuvent-elles créer un lien avec leurs propres organes? Jusqu’à leurs 12-13 ans, elles n’ont aucune notion de leur fonctionnement, et du fait qu’ils font partie intégrante d’elles. Un jour, leurs règles débutent et elles doivent s’en accommoder et s’y habituer. Et l’on s’étonne qu’elles aient, plus tard, des rapports non protégés. Quand je demande aux mères pourquoi elles utilisent ce vocabulaire infantilisant, elles sont étonnées, répondent que cela les gêne, que c’est ainsi que leur propre mère leur parlait. Cette vision des choses est profondément ancrée. Je fais l’analogie avec l’hygiène buccale: dès qu’un enfant a une ou deux dents, on va lui apprendre à les brosser, à en prendre soin. Pourquoi ne pas prendre soin également des organes reproducteurs? Il faudrait, dès le plus jeune âge, pratiquer une éducation simple et factuelle appropriée à chaque âge, transmise à la maison comme à la crèche et à l’école.»

L'association CorpsEmoi

Birgit Marxer, animatrice d'ateliers de découverte du cycle menstruel en Suisse romande, au sein de l'association.

«Nos ateliers visent à valoriser l'étape de l'arrivée des règles pour renforcer l'estime de soi. Nous recevons des filles entre 10 et 14 ans avec leur mère, dans un cadre qui se tient hors du domicile familial, pour ouvrir le dialogue. On sent chez les mères une grande attente, de l'insécurité, parfois de la gêne. Nous laissons d'ailleurs les mamans témoigner sur leurs premières règles, la manière dont elles vivent leur cycle. Je souligne la présence de femmes musulmanes, d'Afrique du Nord par exemple, qui viennent combattre l'ignorance et des pratiques comme l'excision. Nous avons également un moment avec les filles seules. Là, elles évoquent fréquemment le regard des garçons, vécu comme dévalorisant, moqueur, à cause, notamment, de la pornographie. Nous proposons également des ateliers pour les garçons, mais ils sont beaucoup moins nombreux à s'inscrire. Peut-être parce que la possibilité d'une paternité est plus abstraite que celle de tomber enceinte.»


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