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3 cheffes au service de la gastronomie

Femina 48 3 Cheffes Cuisine

Des cheffes au top de leur art.

© Guillaume Mégevand

«Impliquée, excellente». Interrogé au printemps 2017 sur la victoire d’Elodie Jacot-Manesse au concours du Cuisinier d’or, Franck Giovannini, chef triplement étoilé de l’Hôtel de Ville de Crissier, ne tarissait pas d’éloges sur celle qui a longtemps travaillé sous ses ordres. Au sujet de la jeune femme de 24 ans, la première à décrocher le prestigieux titre, il ajoute: «C’est tout simplement l’une des meilleures employées que j’ai eues ici. Elle a toujours donné le meilleur.» Preuve de sa confiance, c’est à elle que celui qui vient d’obtenir le titre de Cuisinier de l’année et Brigitte Violier viennent tout juste de confier les commandes de l’Académie de cuisine Benoît Violier.

Comme nombre de ses consœurs, Elodie Jacot-Manesse est la preuve vivante de la réussite des femmes en cuisine. Et le parfait argument pour contrer l’inconscient collectif qui cantonne les talents féminins à la popote du quotidien quand ces messieurs seraient les seuls à prétendre tutoyer les étoiles. En quête de toques féminines d’ici et d’ailleurs à mettre en lumière pour son passionnant documentaire «A la recherche des femmes chefs», la réalisatrice française Vérane Frédiani, n’a eu, à sa surprise, que l’embarras du choix: «Je me suis laissée surprendre, en voulant être le plus éclectique possible. Les femmes sont partout. Dans la gastronomie, des Mères lyonnaises à Anne-Sophie Pic, mais aussi dans la streetfood ou les restaurants ethniques, où ce sont elles souvent qui font bouillir la marmite.»

En Suisse, les talents féminins sont de plus en plus nombreux, dans des styles divers mais toujours un peu plus affirmés. Après Irma Dütsch qui, en 1994, ouvre la marche en devenant la première femme à obtenir une étoile Michelin et à être nommée Cuisinier (sic) de l’année pour son restaurant de Saas-Fee, c’est Judith Baumann et ses délicates recettes autour des plantes sauvages qui lui succède trois ans plus tard. En 2014, Tanja Grandits, à Bâle, est couronnée grâce à son délicat travail sur les épices. Aujourd’hui, Virginie Basselot à Genève, Anne-Sophie Pic à Lausanne, et bien d’autres, incarnent, chacune à leur manière, une nouvelle génération de cuisinières talentueuses, passionnées et… décomplexées!

Virginie Basselot, 38 ans, La réserve, Genève


© Guillaume Mégevand

Lorsqu’on évoque avec elle son tout nouveau titre de Cuisinière de l’année que vient de lui décerner le Gault&Millau Suisse, la joie est contenue, mais le sourire franc et lumineux. Car, à l’image du nom de l’hôtel qui héberge désormais ses talents, la réserve est un trait de caractère majeur de la personnalité de Virginie Basselot «Je ne cache pas que cela m’a fait très plaisir, d’autant plus de l’avoir dans un autre pays que le mien», ajoute-t-elle tout de même, sobrement.

Nommée à la tête des différentes tables de l’établissement genevois il y a tout juste un an, la Normande de 38 ans, yeux bleu glacier et chignon serré, y fait des merveilles. Grâce à une brigade reformée et à quelques plats signatures de haut vol, comme son inoubliable cabillaud au beurre de mélisse. Deuxième femme à avoir remporté le prestigieux concours de Meilleur ouvrier de France (MOF), celle qui, élevée près des plages du Débarquement par des parents aubergistes, se rêvait pourtant pilote de chasse, est entrée en cuisine à quinze ans, avant de poursuivre sa route dans de fameuses maisons parisiennes.

Travail de précision

Sa créativité, elle l’a exercée auprès de l’excentrique Guy Martin, au Grand Véfour. Sa technique et sa rigueur au Bristol, aux côtés du triplement étoilé Eric Fréchon, qu’elle désigne sans hésiter comme son mentor. C’est d’ailleurs avec lui, et son second Franck Leroy, tous deux MOF, que la bosseuse a travaillé jour et nuit pour décrocher le concours qui lui vaut d’être l’une des rares à arborer le col tricolore sur son tablier.

Au Loti, la brigade est complète, les fondations sont faites, on peut construire de belles choses.

A La Réserve, qu’elle a rejoint à la surprise générale en quittant le Saint-James, à Paris, où elle venait de décrocher une étoile, et notamment au Loti, la table gastronomique, elle ajoute peu à peu les produits du terroir; la féra, son poisson préféré parmi les habitants du lac, mais aussi les cardons: «J’aime beaucoup leur goût. Mais il faut à tout prix les travailler frais!» A Genève, dont elle parcourt désormais les alentours pour de grandes balades détente, l’ambitieuse a de grands projets.

Marie Robert, 29 ans, Le Café Suisse, Bex (VD)


© Guillaume Mégevand

Aujourd’hui, Marie fronce les sourcils. Elle a mal à la tête: «C’est à cause du poids de mon chignon», dit-elle en dénouant un énorme bun posé sur le sommet de son crâne, libérant instantanément une aussi splendide qu’interminable cascade de cheveux blond vénitien. Lorsqu’on lui suggère, un peu moqueuse, une bonne coupe de cheveux en guise de solution radicale, elle s’oppose en riant: «Ah non, c’est la seule chose féminine que j’arrive à conserver quand je bosse!» Petite, menue et… chevelue, la jeune cheffe avoue que son look surprend souvent les clients lorsqu’elle fait le tour des tables en fin de service: «Je pense qu’ils s’attendent à voir débouler une sorte de matrone, façon Maïté.»


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Mais sous cette apparence se cache un tempérament de feu qui lui a valu nombre de remarques de la part de ceux, et celles, qui ont croisé son chemin dans le métier: «Un de mes premiers profs de cuisine m’avait dit qu’il faudrait que j’arrête de faire ma maligne. Un chef était persuadé, lui, de ma réussite si j’arrivais… à me taire. Franchement, ado, j’étais la petite racaille rebelle dans toute sa splendeur», concède volontiers la jeune femme de 29 ans. Mais ce mauvais caractère (ou cette force de caractère, question de point de vue) a toujours été un moteur plutôt qu’un frein pour Marie, aspirante cuisinière plutôt précoce: «J’ai toujours su que je voulais faire ça. Toute petite, je mélangeais du cacao à de l’eau et, fière, je faisais goûter ma création.»

Un de mes premiers profs de cuisine m’avait dit qu’il faudrait que j’arrête de faire ma maligne. Un de mes chefs était persuadé, lui, de ma réussite si j’arrivais... à me taire.

Lors de sa formation, elle a soif d’apprendre: «Je restais le soir, je venais sur mes jours de congé.» Motivée, fonceuse et douée, elle remporte d’ailleurs le concours du meilleur apprenti vaudois en 2006: «Dès le départ, je savais que je voulais exercer ce métier dans la gastronomie, et en ayant ma propre affaire.» Après quelques belles adresses romandes, Marie prend la direction de Pauillac, pour travailler auprès de Thierry Marx, un chef dont elle aime la personnalité tout autant que la cuisine: «Mais je me suis vite rendu compte que ça n’était pas pour moi. En France, dans des cuisines de ce niveau, tout passe par le mental, je n’étais pas prête à ce genre de rigueur.» Sûre d’elle, et épaulée par Arnaud Gorse, son amoureux d’alors et son associé d’aujourd’hui qui œuvre en salle, elle décide, à 21 ans, de reprendre le Café Suisse, à Bex. Soutenu par ses amis, le couple fonce, sans business plan ni réflexion préalable: «J’étais sûre que si je faisais de la bonne cuisine, cela ne pouvait que marcher.»

Voler de ses propres ailes

Huit ans plus tard, le succès est au rendez-vous. Notée 14/20 au Gault&Millau, Marie œuvre en cuisine entourée d’une brigade presque entièrement féminine et livre des plats où la beauté des dressages rivalise avec les contrastes de textures et de goût, tout autant qu’avec l’originalité du choix des saveurs et des épices. Côté salle, la jeune cheffe, qui ne tient pas en place, met aussi son grain de sel en repensant fréquemment l’ambiance générale. Une vraie boule d’énergie jamais à bout de projets pour qui l’avenir se rêve avec «1 ou 2 points de plus au Gault&Millau et une étoile au Michelin.» Qui sait?

Maryline Nozahic, 43 ans, La table de Mary, Cheseaux-Noréaz (VD)


© Guillaume Mégevand

Cuisinière… ou propriétaire d’un bar à bière. Toute petite déjà, Maryline Nozahic savait ce qu’elle voulait. Et ne voulait pas. Dotée depuis toujours, et de son propre aveu, d’un «tempérament volcanique», cette fille de paysans du Bugey, dans l’Ain tout proche, ne cherche pas à plaire à tout prix: «Je ne travaille pas pour les récompenses, je bosse pour mes clients», explique-t-elle pour clouer le bec tout net à ceux qui émettraient un avis sur la récente obtention de sa première étoile Michelin. Etoile obtenue dans son restaurant de Cheseaux-Noréaz, tout près d’Yverdon, où elle et son mari sont installés depuis dix ans, après quatre ans passés à Vugelles-La Mothe (VD). Cette belle distinction, que nombre de cuisiniers passent des vies à attendre, la cheffe l’accueille avec philosophie et… surprise: «Je ne m’attendais vraiment pas à être primée. Je ne multiplie pas les amuse-bouches, les mignardises… mais je pense que le Michelin a bien aimé ma simplicité, la sincérité que je mets dans ma cuisine.» Si bien que le jour de la visite de ce client très particulier, elle ne change rien à ses habitudes et à sa façon d’être: «A la fin du repas, l’inspecteur a demandé à mon mari, qui est en salle, que je vienne le voir. Il lui a répondu que c’était impossible, que j’étais seule en cuisine et que le service n’était pas terminé. Dubitatif, il a demandé à venir voir lui-même et a pu constater que c’était la vérité.»

J’aime qu’on voie que ce qu’il y a dans l’assiette a été fait avec amour. Je déteste les gens qui ne se donnent pas la peine.

Ni brigade, ni commis, ni apprenti, c’est bel et bien en solo derrière ses fourneaux que Marilyne assure au quotidien la trentaine de plats du jour, menus affaire, menus ou cartes midi et soir, épaulée seulement par son mari Loïc et un serveur pour la mise en place et la salle. Croyant dur comme fer à l’adage «Mieux vaut être seule que mal accompagnée», la Française au caractère bien trempé assume la charge de travail et les responsabilités: «Je suis très exigeante, donc je préfère être seule. Et puis je dis trop facilement ce que je pense, ce qui pose problème. Quant aux apprentis, je m’investissais trop, j’étais souvent déçue. J’en avais assez de faire la maman», affirme-t-elle sans l’ombre d’une hésitation. «De toute façon, en cuisine, j’aime tout faire, des entrées à la pâtisserie. Mais je me lasse vite. Je change de cartes tous les deux mois. Je n’ai pas le temps de m’ennuyer.»

Cuisinière passionnée

Et quand la cheffe n’est pas là? «Eh bien on est fermé, c’est aussi simple que ça! Pour moi, un chef doit toujours être présent dans son restaurant.» Passionnée, Marilyne cuisine comme elle aime, et à l’instinct: «Je vais à l’essentiel.» Les produits? Simples et de saison. Les cuissons? Précises, comme les dressages. Les sauces? Pas trop crémées, plutôt légères: «J’aime qu’on voie que ce qu’il y a dans l’assiette a été fait avec amour. Je déteste les gens qui ne se donnent pas la peine.» Lorsqu’on lui demande si ce rythme de travail effréné n’est pas usant à la longue, alors qu’elle nous reçoit un mardi, jour de fermeture, et qu’elle est dans sa cuisine pour faire la mise en place de la semaine, cette maman d’une adolescente de quatorze ans répond par la négative: «Je fais ce que j’aime. Si un jour je perds cette passion, je ferme tout de suite et je fais autre chose. Et puis, je travaille avec mon mari, on habite au-dessus du restaurant, notre fille passe tout le temps. Et on ferme pendant les vacances scolaires.» Une vie de cheffe quoi!

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