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Enquête: la fidélité reste le moteur principal des couples

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© Getty Images

Je ne peux pas croire qu’en dehors de moi, quand je ne suis pas là, elle est fidèle. (…) Elle fait ce qu’elle veut, tant que je ne le sais pas.» Ces quelques mots, prononcés récemment par le réalisateur français Yvan Attal à propos de sa compagne de vingt-cinq ans, Charlotte Gainsbourg, ont fait l’effet d’une petite bombe. Au-delà de l’aspect peopolesque, le bruissement des réactions à la fois titillées et limite inquiètes sont révélatrices. Charlotte et Yvan, c’est eux, c’est nous, tous les deux enlacés dans le tourbillon de la vie, et personne pour venir briser cette belle image d’un couple solide, uni. Sous-entendu: exclusif jusqu’à preuve du contraire. Un modèle qui, en 2016, pourrait passer pour sacrément ringard. Le mariage bourgeois vécu jusqu’à ce que mort s’ensuive n’a plus vraiment la cote, en effet, et cela fait un bail que les règles de l’Eglise ne sont plus celles des hommes. Sans compter la floraison spectaculaire des sites et applis voués aux rencontres extraconjugales. Pourtant, en dépit de ces apparents assouplissements du cadre, le couple sachant se la jouer forteresse qui résiste aux tentations reste l’idéal. Et l’exclusivité son alpha et son oméga. Il y a donc comme un gouffre entre toute une société qui ose remettre en question les codes, et les desiderata des individus, confirme Dominik Schobi, sociologue à l’Université de Fribourg: «Les normes sociales sont moins strictes, nous sommes plus ouverts à parler des transgressions. La société tolère mieux l’infidélité; les individus, pas forcément… Elle semble plus facile à pardonner aujourd’hui, mais les relations amoureuses étant plus fondées qu’avant sur une base romantique, cela peut également rendre les choses difficiles.»

Une norme tacite

Justement, parce que nous nous mettons en couple par pur amour et non plus par intérêt, l’impératif de l’exclusivité pourrait même être encore plus fort… Mais d’abord, qu’est-ce donc que l’exclusivité? «Je réserverais ce terme au domaine de la sexualité en précisant «exclusivité sexuelle», répond la thérapeute de couple Anne-Claude Rossier Ramuz, basée à Vevey. Au niveau relationnel, je préfère parler de la «valeur fidélité», qui implique confiance et liberté. La fidélité devrait être davantage comprise en termes de projet de couple qu’en terme d’acquis ou d’obligation, ce que suggère, lui, le terme exclusivité.» Etonnant: quand hommes et femmes n’ont jamais été aussi libres de leur choix, l’exclusivité reste la norme tacite. Et, paradoxalement, c’est précisément cette liberté de choix qui expliquerait que les couples continuent à s’engager sur ce chemin étroit en acceptant de porter des œillères.

«L’exclusivité reste quelque chose d’important pour les couples aujourd’hui, peut-être en partie parce qu’elle constitue un des ingrédients du lien amoureux qui renvoie au tout premier couple vécu par chacun, le couple mère-bébé, avance Anne-Claude Rossier Ramuz. Lors d’une relation amoureuse, la nostalgie de ce premier lien vécu comme exclusif résonne très fort et se traduit effectivement comme un Graal à retrouver, à garder précieusement.» Une envie véritable, alors? Pas si vite, rétorque le psychologue et physicien Yves-Alexandre Thalmann. Si l’exclusivité paraît quasi obligatoire, c’est en raison de «l’idéologie romantique qui prévaut dans notre société. On essaie de prolonger l’état amoureux, par nature exclusif, en toute une vie d’amour – ils se marièrent, furent heureux… Nos relations affectives sont calquées sur le mode de la passion amoureuse. On se doit d’aimer de la même façon que l’on est amoureux, parce qu’on nous a appris à faire ainsi.»

Etre là quoi qu’il advienne

Reste, à en croire le professeur Dominik Schobi, que «le fait de se mettre en couple et d’établir des relations intimes est profondément ancré en nous, lié qu’il est à notre développement psychologique et biologique, depuis des millions d’années». Selon lui, l’exclusivité est au contraire une caractéristique innée aux relations de couple, et ce pour plusieurs raisons. «Nous établissons une telle relation parce que nous avons besoin d’un partenaire proche qui nous accepte, nous estime et nous comprend de manière plus ou moins inconditionnelle, qui sera là quoi qu’il advienne. Nous maintenons de telles relations parce que nous sommes mieux avec que sans.» Même si ce n’est pas forcément évident. «Nous devons nous livrer, laisser le partenaire connaître nos secrets et nos peurs, nous appuyer sur lui, et cela nous rend vulnérable. Nous ne pouvons alors supporter cette vulnérabilité que si nous sommes sûrs que cela en vaut la peine, c’est-à-dire si nous avons la conviction que notre partenaire est là pour nous. Cela ne marche donc que si la relation est exclusive. Si elle ne l’est pas, cela veut dire qu’il y a une autre personne qui concourt pour la loyauté et la dévotion du partenaire.»

Thérapeute de couple à Lausanne et auteur du livre «Laissez faire l’amour» (Ed. Almasta, 2013), Stephen Vasey confirme le fondement de ce besoin de confiance. «Pour moi, il ne s’agit pas de possession, mais bien d’ouverture. Je m’ouvre, je me lie, je me livre, je vais tout donner à une seule personne.» Mais alors, exclusivité des sentiments ou de la sexualité? Actuellement, elles tendent à se confondre. «Le mot fidélité vient du latin «fides»: faire et avoir confiance en la parole de l’autre. Le terme est aujourd’hui compris comme exclusivité sexuelle», selon Yves-Alexandre Thalmann. Dominik Schobi, lui, estime que l’exclusivité sexuelle «est généralement plus importante pour les hommes, qui vont réagir plus fortement envers une infidélité sexuelle, alors que les femmes vont réagir plus fortement à une infidélité émotionnelle.» Même si, là non plus, ce n’est pas si simple: les femmes sont plus nombreuses qu’avant à aller voir ailleurs.

Grande terreur des tandems contemporains, l’infidélité n’est cependant plus perçue comme le game over de la love story. «Je pense que la banalisation du divorce et la plus grande facilité à se séparer peuvent permettre a contrario qu’une relation extraconjugale ne soit pas simplement subie, mais devienne une occasion de travailler le lien de couple, de le faire évoluer. Une liaison est souvent le symptôme d’un malaise préexistant dans la relation, sans forcément que les partenaires en aient été conscients», explique Anne-Claude Rossier Ramuz. Et de remarquer que les couples qui font le pas d’aller en thérapie sont «probablement ceux qui ne peuvent pas renoncer» à l’exclusivité.


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A chaque couple sa loi propre

Dans «The New Monogamy» (New Harbinger, 2013), l’Américaine Tammy Nelson plaide quant à elle pour une approche plus pragmatique: plus le couple est prêt à accepter l’idée qu’il risque d’y avoir infidélité, mieux armé il sera pour, au mieux, l’éviter, et au pire la surmonter. Certes, pour le romantisme, on repassera. Mais Tammy Nelson souligne combien les nouvelles formes de communication ont brouillé les pistes. Ce qui est acceptable pour un couple, des SMS, un dîner ou un baiser, ne le sera pas pour un autre. L’essentiel, c’est que les partenaires dialoguent pour définir, et revoir si besoin est, les limites au sein de leur couple. Là non plus, pas évident.

«Le partenaire est investi de plusieurs rôles: parent, confident… C’est d’autant plus difficile pour de nombreux hommes qu’ils ne sont pas formés à parler de ça», indique Stephen Vasey. Et, selon Yves-Alexandre Thalmann: «On assiste à de la monogamie à répétition: on change beaucoup de partenaires à l’heure actuelle. On croit alors qu’il existe une personne qui nous conviendrait mieux, plutôt que d’essayer d’améliorer nos compétences relationnelles, c’est-à-dire de soigner la relation.»

Vivable, le polyamour?

Mais au fait, quid des couples ouvertement non exclusifs, à l’image des iconiques et pionniers Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre? Ils demeurent l’exception. Voire tendraient à se raréfier. La preuve? Il y a dix ans, Yves-Alexandre Thalmann plaidait pour «Les vertus du polyamour: la magie des amours multiples» (Ed. Jouvence). Les sentiments, soulignait-il, sont par nature insoumis: nous ne pouvons pas décider d’aimer ou de ne pas aimer; tout au mieux pouvons-nous faire en sorte de soigner nos sentiments pour qu’ils perdurent. Cette insoumission du cœur trouverait donc écho dans le polyamour et ses vertus: la personne qui se surprend à être attirée par quelqu’un alors qu’elle est en couple n’a pas à s’en culpabiliser ou à remettre en question sa relation. Mais, estime lui-même l’auteur, il avait alors traité l’aspect relationnel en accéléré. «J’y avais à l’époque consacré quelques pages, confie l’auteur, j’en ferais maintenant une partie essentielle de l’ouvrage. Mener une relation sentimentale sur les voies de la satisfaction est difficile. Alors, que dire du projet d’en mener d’autres en parallèle?! Aujourd’hui, les gens courent après le temps: les moments passés en couple, surtout lorsqu’on a des enfants, sont limités. J’ai du mal à imaginer partager encore plus ce temps. Notre mode de vie n’est pas adapté aux relations polyamoureuses.» Au fond, «c’est à chaque couple d’inventer le mode de fonctionnement qui lui convient, en assurant toutefois un cadre sécurisant pour les enfants lorsqu’il y en a. Pour certains, ce sera un mariage monogame exclusif, pour d’autres un couple ouvert (avec ou sans obligation de relater ce qui s’est passé à l’extérieur), pour d’autres le polyamour…»

Dominik Schobi, lui, reste persuadé que l’exclusivité «va rester un aspect fondamental des relations amoureuses pour la grande majorité d’entre nous. Et puis, souligne-t-il, les gens ont de moins en moins de confidents réellement proches. Cet aspect de la relation de couple va devenir encore plus important. Avec le corollaire qu’il sera encore plus difficile pour un partenaire de combler ce besoin.» Et cet autre, plus optimiste: que le lien amoureux, désormais forcé de se réinventer sans cesse, se trouve peut-être sur le point d’entrer dans sa maturité...

Anne, 42 ans, en couple depuis cinq ans

«Pour mon compagnon et moi, l’exclusivité va de soi. Nous n’en avons jamais parlé de manière explicite. La non-exclusivité crée inévitablement des blessures et un déséquilibre difficile à gérer. Chacun, je pense, a besoin de cette certitude qu’il est le seul pour l’autre. Même si je fais la distinction entre exclusivité sentimentale, relationnelle, et fidélité sexuelle. J’ai clairement dit à mon compagnon que, s’il me trompe un jour, je ne veux surtout pas le savoir. Tant qu’une aventure ne remet pas notre relation en question, cela ne m’intéresse pas. J’ai moi-même été infidèle dans des relations précédentes et j’ai réalisé que, souvent, cela ne m’apportait pas plus qu’une mauvaise conscience. Mais cela ne veut pas dire que je ne me permettrai jamais un écart… Si cela arrive, il ne faut surtout rien dire à l’autre.»

Quelques chiffres

91% des adultes (américains) estiment l’infidélité moralement répréhensible, selon une étude réalisée aux States (Newport et Himelfarb 2013).

20-25% des hommes - au grand minimum - auraient déjà été infidèles, avancent différents sondages internationaux, contre 10 à 15% des femmes. Un écart qui tend à diminuer, l’infidélité de ces dames étant à la hausse.

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