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Manon Schick est de ces personnes qui rendent le monde plus beau. Parce que, même si la directrice d’Amnesty Suisse ne peut pas gagner l’entier de ses batailles pour le respect des droits humains, elle les mène toutes avec une ferveur et une volonté inébranlables. Et admirables. L’adjectif la fait sourire: se battre pour une cause juste lui semble tellement normal! «Je me demande même pourquoi tout le monde ne s’indigne pas. Surtout chez nous, où il est si facile de se mobiliser sans risque», note-t-elle avec fermeté. L’engagement comme une seconde nature, composante si essentielle de son être qu’elle ne sait plus précisément à quoi l’attribuer.

Songeuse, Manon Schick replonge dans une enfance qu’elle se rappelle «heureuse», passée dans les hauts de Lausanne, à la Blécherette. Elle évoque les valeurs qui les ont aidées à se construire, sa sœur et elle: «Un esprit d’ouverture, de tolérance et de respect de l’autre.» Et puis: «Ma mère était une féministe active et convaincue qui nous a souvent martelé qu’à sa majorité, elle n’avait pas le droit de vote.» Autrement dit, la petite Manon a été très vite sensibilisée «à des questions d’injustice», à des idéaux qui n’expliquent pourtant pas à eux seuls comment elle est devenue la femme qu’elle est aujourd’hui.

Abordant sa double culture helvético-allemande, la quadragénaire remonte l’histoire de sa famille, explique que l’Allemagne a également joué un rôle dans son parcours. Elle conte la culpabilité qui lui est venue, vers les 13 ans, ce poids du génocide des Juifs qu’elle a commencé à porter sans oublier pour autant les récits de son grand-père, engagé à son corps défendant dans la Luftwaffe avant d’être fait prisonnier. Elle se rappelle aussi les mots de son père lui racontant «l’après»: Berlin détruite à 80%, les gravats, la famine… Et son incompréhension d’enfant face à la réalité du Mur, qu’elle évoque avec émotion: «La tante et les cousins de mon père habitaient à l’Est, si bien qu’ils n’avaient pas le droit de se voir. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi on séparait des familles, ni comment on pouvait justifier une telle chose. Cela m’a énormément marquée et a nourri mon rejet absolu de la guerre. J’en ai tiré la certitude qu’un conflit armé ne fait que des perdants.»

Contre l’arbitraire

Parallèlement à cet héritage allemand qui fait germer en elle la révolte contre l’arbitraire et l’iniquité, Manon réalise aussi, dans les années 1980, que la Suisse n’est pas au-dessus de tout soupçon. De fait, le mari de sa tante, un Iranien qui a fui la Révolution de 1979, se voit signifier par les autorités helvétiques qu’en raison des «dangers de surpopulation» (!), il n’est pas le bienvenu, quand bien même son épouse est une Suissesse. Une position qui, aujourd’hui encore, scandalise la directrice d’Amnesty Suisse.

S’il prépare le terrain, ce n’est pas cet épisode qui marque l’entrée de Manon Schick en résistance active: «Mon premier combat est venu d’Afrique du Sud et de l’envie de lutter contre l’apartheid.» Adolescente, fan de Johnny Clegg et de l’écrivain André Brink, bouleversée par le film «Cry Freedom», elle refuse en effet d’admettre «ça» et décide de faire quelque chose. Ni une ni deux, la voilà qui s’engage, «indépendamment de mes parents». Immédiatement, elle précise: non, il n’était pas question de les provoquer ni de marquer contre eux une quelconque rébellion. Ses révoltes sont liées à des injustices fondamentales, pas à sa vie de famille. D’ailleurs, c’est avec sa mère qu’elle pose son premier acte militant: «J’avais une petite épargne à Credit Suisse. Or, cette banque était mouillée avec l’Afrique du Sud et, de ce fait, soutenait l’apartheid – ce que je ne pouvais pas cautionner. Du coup, ma maman est venue avec moi pour clore mon compte.» Elle s’amuse de l’anecdote, relève au passage que, sur le principe, «c’était juste, parce qu’il faut agir à tous les niveaux. Et puis après tout, les petits ruisseaux font les grandes rivières, non?!» Certes. Et si cela semble un brin idéaliste, cet idéalisme ne rime pas avec irréalisme. Le travail d’Amnesty, où Manon Schick a commencé à collaborer comme bénévole dès 1995, ne consiste-t-il pas, entre autres, à «semer les graines qui permettent à l’utopie de pousser»? Ainsi, même si elle se sent parfois fatiguée par «ces Suisses qui votent de travers» – comme elle le dit en faisant notamment allusion aux votations du 9 février 2014 sur l’immigration – elle ne se donne pas le droit de lâcher prise. «Si je baisse les bras, je ne les baisse pas seulement pour moi, mais aussi pour ceux qui comptent sur nous. Donc… non!»

De toute façon, ses légers découragements éventuels sont vite balayés par un optimisme que cette hyperactive entretient à coups de sorties, de soupers et de discussions entre amis, de rires, de chant ou de voyages. Ainsi que par les petits ou les grands succès récoltés par Amnesty, en Suisse et ailleurs. «Quand on a permis une libération, un changement d’habitude ou de loi ou quand, comme en 2013, on obtient une suspension des renvois de réfugiés sri-lankais ainsi qu’un moratoire, je me dis que ça vaut la peine de se battre!» Même si elle n’en a jamais douté – forte d’une assurance essentielle qu’elle doit à ce père et à cette mère qui lui ont «toujours laissé penser que rien n’est impossible.»

Tout en élégance – elle porte bien son nom! – Manon Schick reprend: «Quels qu’aient été mes choix, ils ont cru en moi et m’ont soutenue.» Dans un rire, elle décrit ainsi ses parents qui, «vraiment braves», ont «subi» sans ciller les repas parfois «immangeables» que sa sœur et elle concoctaient pour la famille. Ou les auditions musicales auxquelles ils assistaient, «même si le niveau était pitoyable» De même quand, toute minote, elle se lance avec passion dans le théâtre et l’impro, devient animatrice radio ou décide d’entreprendre un stage de journaliste plutôt que d’aller à l’Université, ils la laissent faire. Et quand, après avoir finalement suivi des études de lettres, elle choisit de partir en Colombie sous l’égide des Brigades de paix internationales, en 2003, ils lui offrent, là encore, un soutien indéfectible.

L’autorité pour la bonne cause

Attendrie, la jeune femme résume: «Cette confiance qu’ils m’ont donnée est un cadeau magnifique!» Cadeau qui se concrétise parfois par un rien d’autoritarisme, non? L’air amusé, elle confirme: oui, depuis qu’elle est toute petite, comme son papa et comme son aînée «avec qui elle s’est beaucoup crêpé le chignon», elle a tendance à donner des ordres. «Ma maman me demandait d’ailleurs assez souvent de me montrer moins autoritaire avec mes copines!»

Et Manon Schick de nuancer, soulignant qu’il s’agit essentiellement de voir les choses fonctionner «vite et bien», pas de rechercher un quelconque pouvoir. Une question d’efficacité et d’organisation, donc. «Quand j’étais petite, mes parents travaillaient. Avec deux filles qui avaient toutes sortes d’activités extrascolaires, ça devait rouler, à la maison. Nous, on a pris le pli.» Et aujourd’hui, comment gère-t-elle ce trait de caractère? «Mon compagnon se moque de moi et me rappelle qu’à la maison, je ne suis pas cheffe», rigole-t-elle. Non sans préciser que, s’il lui arrive d’imposer une idée ou une manière de faire, ce n’est jamais pour écraser la personne qui lui fait face mais bien pour atteindre son but: faire gagner la cause des droits de l’homme.

Curriculum vitae

1974 Le 25 décembre, joli cadeau de Noël pour ses parents et sa sœur aînée: Manon paraît, à Lausanne.

1995 Début de son engagement pour Amnesty, en tant que bénévole.

2003 «J’étais en Colombie avec les Brigades de paix internationales. D’une intensité folle, cette année-là a été très enrichissante.»

Mes premières fois

Son premier souvenir… Je devais avoir 5 ou 6 ans: je me revois en train de demander à ma mère pourquoi elle avait acheté des billets de bus car je trouvais bizarre qu’on doive payer. Je ne sais plus trop comment elle m’a expliqué les choses, mais c’est en tout cas mon tout premier rapport à l’argent.

Une bêtise qu’elle se rappelle Avec ma sœur, nous allions sonner aux portes avant de partir en courant. Comme nous opérions dans le quartier, nous avons bien sûr été reconnues et ma mère a été prévenue. Elle ne nous a pas grondées mais nous a dit: «Quand vous faites ce genre de blague, essayez au moins de ne pas vous faire reconnaître!»

Un livre qui l’a marquée Un? Non, ce n’est pas possible! Si je dois vraiment limiter, je dirais tous les livres d’André Brink, liés à l’Afrique du Sud. Ou encore «Le journal d’Anne Franck», qui m’a beaucoup confortée dans mon sentiment de culpabilité car je me disais: «Je suis Allemande et les Allemands ont fait des choses tellement horribles…»

Un légume de choix J’ai toujours aimé tous les légumes, avec une préférence pour l’artichaut et le chou de Bruxelles.

Une saveur qu’elle n’aime pas Je déteste les fruits exotiques. Ça n’a l’air de rien, mais ça peut être très embêtant en voyage.

Une musique d’enfance Mon père adorait les Beatles mais ce qui me ramène à l’enfance, c’est surtout la musique classique. Avec mes parents, nous sommes allés plusieurs fois écouter la Neuvième de Beethoven à l’occasion du concert de Nouvel-An, à Berlin. Et c’est peut-être ça qui m’a donné envie de chanter – une activité que je pratique régulièrement puisque je fais partie d’un chœur.

Un film Incontestablement «Cry Freedom». Ce film sorti en 1987 est à la base de tout un engagement.

Un parfum Le cacao! Mon papa me préparait souvent un chocolat chaud avec de la mousse de lait et j’adorais ça.

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