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Après être parvenue à rendre une part importante de leur mobilité perdue à des singes, elle pourra bientôt expérimenter son traitement sur l’homme.

Jocelyne Bloch parle d’une voix posée et pondérée. Pas une once d’ego ne pointe dans sa présence à l’autre. Abondante chevelure brune, elle offre un regard souriant derrière une épaisse monture de lunettes.«Fille d’une mère enseignante et d’un haut responsable chez Manor, mes parents ne m’ont jamais poussée à faire carrière.» Cette mère de deux enfants, mariée au chirurgien cervico-facial Philippe Pasche, est neurochirurgienne au CHUV, à Lausanne. La quarantaine tranquille, vraie, authentique dans son récit, elle donne envie de l’écouter.

«Petite, plutôt timide, je n’étais pas une meneuse, mais j’étais très volontaire. »A l’âge où on choisit sa voie, elle opte donc logiquement pour la difficulté. «Malgré le fait que je venais de moderne, la section des langues pour lesquelles j’avais beaucoup de facilité, je me suis dirigée vers la médecine.» L’a motivée aussi, se rend-elle compte quand elle fouille dans ses souvenirs, la révolte de la mort. «J’étais alors très tourmentée par la disparition d’êtres chers.»

C’est un sentiment de profonde injustice qui l’amène à s’intéresser, vers 15-16 ans, au système nerveux. «J’estimais intolérable, qu’il y ait des gens paraplégiques. Je me disais que ce serait extraordinaire de les guérir… Je me souviens, j’aimais bien le magazine Science et Vie. J’y avais lu un article, à l’époque, sur les greffes de cellules fœtales dans le cerveau pour soigner la maladie de Parkinson. Ça m’avait scotchée.»

Aujourd’hui, cette femme – l’une des premières de Suisse romande à s’être consacrée à la neurochirurgie –, incarne un espoir fou. Celui de faire reconquérir aux victimes d’attaques cérébrales jusqu’à 70% de l’usage de leurs membres lésés. Lorsqu’il a été massif, l’Accident Vasculaire Cérébral, dit AVC, signifie parfois non seulement un, mais plusieurs handicaps. Il stoppe net la vie d’avant, et dévaste, en passant, l’identité physique et psychique de sa victime.

De plus en plus souvent, des jeunes sont frappés par ce mal, qui touche, en Suisse, 16 000 personnes par an. Toutes sont en droit de croire, qu’un jour, la médecine leur fera récupérer une grande partie de leur motricité perdue. Et elles y croient encore plus fort depuis la diffusion d’un 19:30, fin janvier 2011, sur la chaîne qu’on appelait encore alors TSR1. Le téléspectateur y apprenait que des singes avaient regagné une part importante de leur mobilité perdue. Jocelyne Bloch et son équipe de chercheurs leur avaient implanté chirurgicalement, aux endroits lésés par une AVC, des cellules de leur propre cortex cérébral. Etant donné ce résultat probant, l’expérience allait pouvoir s’élargir sur des patients. Ce soir-là, les victimes d’AVC ont vu leur rêve le plus fou – reconquérir en grande partie leurs facultés d’autrefois – devenir, un peu, réalité.

Après les singes, l’homme...

«Depuis ce 19:30, j’ai reçu une quantité impressionnante de demandes de la part de familles dont des proches ont été victimes d’AVC!» commente Jocelyne Bloch. Son vœu, comme ceux des malades dont le destin s’est arrêté sur la case plégie, hémiplégie ou toute autre paralysie, «c’est bien sûr de passer le plus vite possible à la phase expérimentale sur des patients! L’institution et la commission d’éthique m’ont déjà donné leur feu vert. J’attends maintenant celui de Swissmedic, qui va étudier l’innocuité de la démarche.» Il y aura ensuite la barrière financière à franchir. «Tout est à notre charge, souligne Jocelyne Bloch. Les assurances-maladie ne vont pas payer le traitement. Les frais médicaux s’élèveront à 30 000 francs par malade.»

Elle a déjà récolté, auprès de fondations privées, une partie de la somme pour traiter dix patients, dans une première phase d’études. «Nous avons créé l’association Neurocellia pour faire connaître notre démarche et chercher des fonds par le biais de manifestations et d’événements divers», explique-t-elle. Elle pensait pouvoir passer à l’étape expérimentale sur des personnes cette année encore. «Maintenant, je me dis que ce sera peut-être pour 2013.»

Inspirée par Marie Curie

Mais comment en est-elle arrivée à la chirurgie du cerveau? «C’est de la microchirurgie, donc une chirurgie élégante, tranquille, par petits gestes, par mouvements fins. Je ne me voyais pas exercer une chirurgie très masculine, qui demande beaucoup de force. En salle d’opération, les intervenants sont calmes, l’ambiance est feutrée. Il fait sombre. Il y a juste la lumière du microscope.» Parfois, il lui arrive d’opérer avec son mari. «Notre entente est alors parfaite.»

Jocelyne Bloch a toujours été très admirative, enfant et ado, des grandes épopées scientifiques qui ont marqué une avancée pour l’humanité. «J’étais captivée par la biographie de Marie Curie. Elle m’a fait rêver des journées entières. Je trouvais phénoménal que quelqu’un puisse, dans sa cave, poursuivre un but sans en démordre, et arriver à un résultat.» Avec le temps, elle a l’impression d’être de plus en plus obstinée. «Je suis entre la résilience et la résistance. Les gens me pensent calme, or j’ai une certaine nervosité, maîtrisée.»

Dans le cadre des recherches qu’elle mène depuis des années, en groupe, sur les autogreffes de cellules corticales, un homme aussi assidu qu’elle œuvre à ses côtés. Il s’agit du biologiste Jean-François Brunet. «Il est fabuleux, souligne-t-elle. Né de parents agriculteurs, il a la main verte et la patience du terrien. Un plus dans la culture de cellules… Car il lui en a fallu, de la persévérance! Il a tenté plusieurs essais pour réussir des cultures de cellules corticales. Beaucoup, au bout de deux, trois ou quatre essais, auraient renoncé, ce qui n’est pas son genre du tout! Avec lui, nous sommes les seuls à travailler sur l’autogreffe de cellules du cortex cérébral, l’enveloppe du cerveau.»

Selon leurs dogmes, les scientifiques pensent qu’il n’y a pas de cellules-souches dans le cortex. «Mais Jean-François Brunet a réussi à leur faire comprendre que nous avons pu faire des cultures cellulaires à base de cortex, et qu’il y a partout, dans le cortex, des cellules jeunes, capables de devenir comme des cellules-souches en culture. Et ce sont elles, implantées dans la région lésée par l’AVC, qui sont à la base du traitement.»

Jocelyne Bloch est fière d’avoir ainsi, avec ses coéquipiers, fait bouger des lignes qui, jusqu’à ce jour, étaient restées inamovibles. «Ensuite? Les scientifiques partent de l’avis que nous n’allons pas redonner un destin de neurone à une cellule qui vient d’une culture. Ils nous demandent de leur prouver que c’est bien elle, qui reprend l’information et son relais, qu’elle n’est pas juste un support trophique pour le reste des cellules. Je pense que le jour où nous prouverons ça, là, vraiment, ce sera assez dingue. Parce que jamais une telle découverte n’a encore été réalisée!»

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