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Les cheveux courts, vêtue d’un tailleur masculin, elle a l’élégance racée de sa mère, Ingrid Bergman, et la vivacité intellectuelle de son père, Roberto Rossellini. Incandescente, attachante, Isabella, 59 ans, aime la peinture violente et les films inattendus…

Inoubliable en beauté soumise aux caprices cruels de Dennis Hopper dans Blue Velvet, de son ex-compagnon David Lynch, elle a accumulé les rôles hauts en couleur, a été la muse des plus grands photographes – de Robert Mapplethorpe à Peter Lindbergh – l’égérie mythique de Lancôme…Un pied dans le passé, l’autre dans l’avenir, Isabella Rossellini est hilarante dans Trois fois 20 ans, une tragicomédie sur les seniors de Julie Gavras qu’on a pu voir, dans les salles romandes, cet été. Elle a aussi réalisé, avec le cinéaste Guy Maddin, Seduce Me et Green Porno, 28 courts-métrages érotico-zoologiques sur la vie sexuelle des animaux. Ces petits bijoux exquis – dans lesquels elle est déguisée en abeille, en araignée ou en anchois – ont été projetés récemment dans le cadre d’une exposition au Musée d’histoire naturelle de Londres (Sexual Nature).

Dans une langue bien à elle – un français impeccable qui glisse vers l’anglais puis l’italien – elle a une façon douce de convoquer les fantômes, les figures de son enfance: sa mère, son père, Anna Magnani, Jean Renoir, Marlene Dietrich… Ex-épouse de Martin Scorsese, mère poule d’Elettra, 27 ans, et de Roberto, 18 ans, qu’elle a adopté avec Gary Oldman, Isabella Rossellini se décrit comme une self-made-woman, indépendante et fière de son statut de célibataire.

FEMINA Dans Trois fois 20 ans, vous avez joué, au côté de William Hurt, un drôle de couple en crise. Qu’est-ce qui vous a séduite dans le scénario de Julie Gavras?
ISABELLA ROSSELLINI Julie aborde des thèmes forts – l’âge, la crainte de ne plus trouver sa place dans la société – avec beaucoup d’ironie. Mon personnage, Mary, et son époux, Adam, ont presque 60 ans…Ils ont cette soixantaine dynamique de notre époque, qui gère brillamment travail, enfants et petits-enfants. Jusqu’au jour où ils réalisent qu’ils font partie de la catégorie senior. Tous deux réagissent alors de façon diamétralement opposée. Adam est dans l’action et le déni. Mary décide de s’occuper de son mari et de sa famille. Mais sa volonté de bien faire est excessive.

Les réactions de Mary sont aussi drôles que loufoques…
Au début, pour convaincre son architecte de mari de se préparer à une vieillesse sereine, Mary adopte la méthode du mal par le mal. Elle équipe son logis de tous les accessoires para-sénilité qu’elle trouve: de la baignoire à porte à la poignée de salle de bains à ventouse pour ne pas glisser, du téléphone pour presbytes à touches XXL au monte-escalier… William Hurt est à l’agonie! Materfamilias rassurante, italo-anglaise, Mary est une emmerdeuse. Très drôle aussi: surtout quand elle recommence à tester son pouvoir de séduction auprès des autres hommes.

Julie Gavras nous a dit qu’elle vous a choisie parce qu’elle savait que vous sauriez jouer sans complexes avec l’âge…
J’ai 59 ans, l’âge de Mary, et même sima vie a été bien moins traditionnelle que la sienne –mon parcours sentimental a été assez rock’n’roll – je comprends ses questionnements. J’avais envie de faire face au spectre du temps qui passe…D’ailleurs, je le fais aussi dans le prochain film de Marjane Satrapi, Poulet aux prunes (sortie en Suisse romande le 26 octobre 2011), dans lequel je joue la mère mourante de Mathieu Amalric! (rires) Dans ma carrière, j’ai toujours aimé jouer avec le feu!

De qui avez-vous pris ce goût du risque?
De mes parents! On se souvient surtout de ma mère dans Casablanca, de Michael Curtiz, avec Humphrey Bogart, ou dans Les Amants du Capricorne, d’Alfred Hitchcock…Elle était pourtant aussi attirée par le néoréalisme italien naissant. En 1949, elle a écrit une lettre à mon père: «Si vous avez un rôle pour une actrice suédoise qui parle l’anglais, bredouille un français à peu près incompréhensible et qui, en italien, ne sait dire que «ti amo», je suis prête à tourner avec vous.» Un an plus tard, elle était sur le tournage de Stromboli, dans les bras de mon père. Cet amour lui a coûté cher: elle a été mise au ban de Hollywood, traitée de pute, et le Sénat américain lui a interdit l’accès au territoire des Etats-Unis pendant huit ans, la privant ainsi de voir sa fille Pia (née d’un premier mariage)! Pourtant, elle a continué à soutenir le cinéma de mon père, très critiqué et totalement incompris à l’époque.

Vous avez toujours tourné avec des cinéastes et des acteurs d’avant-garde: David Lynch, Gary Oldman ou Guy Maddin…Avez-vous cherché votre père dans ces hommes?
Je suis attirée par les personnalités fortes, comme celle de mon père. Les hommes qui m’ont séduite sont tous des pionniers qui se battent pour imposer leurs idées. J’étais aussi très proche de mon père. J’aimais son côté enveloppant, protecteur…Qui pouvait virer à une jalousie folle! Papa était un Italien à l’ancienne: il a failli mourir quand j’ai eu mon premier boyfriend, à 16 ans! Il a eu la migraine pendant un mois. Mais il m’a appris tellement de choses. Dernièrement, en tournant dans le prochain film de Guy Maddin, Keyhole, Jason Patric, qui joue à mon côté, m’a dit: «Mais comment fais-tu? On ne comprend rien à cette narration!» J’ai répondu que je ne comprenais rien non plus, mais que je me laissais faire, parce que j’avais confiance en Guy. Et c’est mon père qui m’a appris ça pendant ses tournages: à obéir à un cinéaste, sans chercher à tout saisir tout de suite.

Vous avez assisté aux tournages de vos parents?
A tous! Quand papa réalisait un film, toute la famille était là, car il avait des petits budgets. Sa première femme faisait les costumes, et j’étais son assistante. Mon cousin s’occupait des décors, et mon oncle, de la musique. Ma tante organisait le casting, mon frère Robertino était assistant à la réalisation…

Vous avez grandi au milieu de mythes du cinéma…Qui vous a le plus marquée?
Vittorio De Sica, qui était comme un oncle… Et Anna Magnani! Elle, c’était une terreur pour moi, parce qu’elle était très forte et que maman lui avait volé papa. Je me disais qu’elle allait me tuer, mais elle était en réalité très gentille. Et puis Sophia (Loren),Gregory Peck, Hitchcock, Cary Grant… Celui qui me fascinait le plus était Jean Renoir. Je me souviens de ce monsieur si gentil et drôle qui jouait toujours avec nous. Je me souviens aussi d’un soir, à Paris, où, assise avec mon père au bar de l’hôtel Raphael, nous attendions une dame avec qui il devait dîner. C’était Marlene Dietrich: elle avait la démarche d’une déesse. Je les ai vus partir comme sur un écran de cinéma.

Votre enfance ressemble à un roman…
Oui, mais un roman plutôt surréaliste! Je suis née à Rome et, quand mes parents ont divorcé – j’avais 4 ans – je suis allée vivre à Paris, à l’hôtel Raphael, avec ma mère. Puis maman a pris une maison près de Versailles…Mon père a voulu que nous rentrions en Italie où, entre-temps, il s’était remarié avec une scénariste indienne…J’avais 8 ans. J’habitais avec mon frère aîné Roberto et ma soeur jumelle, Ingrid, dans une maison avec une nounou. Nos parents venaient nous voir à tour de rôle. A 18 ans, je suis partie pour New York et je suis devenue mannequin.

Vous affirmez votre indépendance. Pourquoi?
Parce qu’après une vie tumultueuse en amour j’ai compris que j’adorais être seule! D’ailleurs, je dis toujours que je suis la meilleure des femmes divorcées! J’entretiens d’excellentes relations avec mes ex-maris: quand j’écris à Martin (Scorsese), je termine toujours par «Your very faithful divorced wife…» («Ta très fidèle ex-femme»)!David (Lynch), lui, est un peu fâché, parce que je ne m’intéresse pas du tout à sa passion, la méditation transcendantale. Moi, ce qui me rend heureuse, c’est la grange où je vis à Long Island, près de New York, avec mes vieux livres et une dizaine de chiens d’aveugle que je dresse pour une association.

Vos courts-métrages sur les animaux font partie de l’exposition Sexual Nature, à Londres. Vous êtes une écologiste militante, mais assez décalée…
J’aime les animaux et les observe depuis l’enfance. J’ai voulu réaliser, avec Guy Maddin, des films de deux minutes, à la Méliès, pour montrer la vie sexuelle des bêtes. Je me suis glissée dans des costumes en papier. Et je me suis beaucoup divertie à mimer l’hermaphrodisme de l’escargot ou le cannibalisme de la mante religieuse qui bouffe son amant sans vergogne. Que dire? J’ai la cinquantaine amusante!

  • «Poulet aux prunes», sur les écrans dès le 26octobre 2011.
  • «Trois fois 20ans», en DVD, sortie prévue en novembre 2011.

Ses films

  • Trois fois 20 ans (2011), de Julie Gavras. Isabella Rossellini et William Hurt, drôles, sensibles et amoureux.
  • Poulet aux prunes (2011), de Marjane Satrapi. Avec Mathieu Amalric et Maria de Medeiros.
  • Sailor et Lula (1990), de David Lynch. Avec Nicolas Cage. Culte.
  • Green Porno (2010), d’Isabella Rossellini et Guy Maddin. Une série de vidéos montrées dans le cadre de l’expo Sexual Nature, à Londres.
  • Blue Velvet (1986), de David Lynch. En chanteuse de cabaret psychologiquement fragile. Avec Kyle MacLachlan (photo) et Dennis Hopper. Une date dans le cinéma.
  • Soleil de nuit (1985), de Taylor Hackford. Elle tient son premier rôle important au côté du danseur Mikhail Baryshnikov.
  • Le pré (1979), des frères Taviani. Avec Michele Placido. La ressemblance d’Isabella avec sa mère, Ingrid Bergman, y est sidérante.

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