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Premier homme de ma vie, mon père était mon soleil. Il est mort d’un cancer du côlon en novembre 2005 et je vis toujours son absence comme un manque douloureux et considérable. Nous étions très complices. Une connivence rare. Un regard nous suffisait pour savoir ce que nous pensions. J’ai perdu la personne qui me connaissait le mieux. Il parlait peu. Quand il me disait je t’aime, il pleurait… Il m’a appris à jouer aux échecs, au billard et au baby-foot. J’ai à mon tour initié mes enfants aux échecs pour lui rendre hommage…»

Quand elle évoque son père, beaucoup d’émotion af fleure dans la voix d’Iris Jimenez, journaliste et productrice de l’émission de la RTS «La puce à l’oreille». «Espagnol, il est arrivé en Suisse à 18 ans. Ouvrier staffeur (artiste du bâtiment), il était spécialisé dans l’abattage des faux plafonds, une technique très particulière. Il a construit toutes les corniches du Conservatoire de Genève.»

Sa mère, elle, est issue d’un milieu bourgeois de Saint-Etienne, qu’elle a choisi de fuir. «Elle a arrêté de travailler. Elle était assistante sociale en psychogériatrie. Elle s’occupait des vieux fous et aidait leurs familles. Parfois elle devait protéger ses patients contre leurs proches qui tentaient de s’en débarrasser.» Iris, qui a grandi à Prangins, puis à Carouge dans un immeuble où elle a subi les bruits de la construction des deux chantiers du tunnel et du tram – «à force pourtant on ne les entendait plus» – se rappelle une enfance heureuse, avec sa sœur Sigrid. «Elle a un jour, un mois et un an de plus que moi. Nous ne nous ressemblons pas, mais nous avons la même voix. Nous nous amusions à répondre l’une pour l’autre au téléphone, juste pour embrouiller les gens. Surtout quand des garçons appelaient. Je l’admire énormément. Elle a refusé un poste de cadre très bien payé dans une société pour se consacrer aux jeunes en difficulté dans certains quartiers de Genève. Un travail social, comme ma mère.»

Toutes les deux mettaient souvent leur père en boule. «Il détestait notre côté bordélique. Il prenait les choses, les papiers qui traînaient et les jetait n’importe où pour nous obliger à ranger. Il appréciait l’ordre, passait l’aspirateur. Il aidait beaucoup à la maison, allait chercher le pain. Remarquez, avec trois femmes, il n’avait pas vraiment le choix! Il aimait aussi faire des blagues. Un jour il était sorti acheter des fleurs à ma mère et il est revenu avec un poulet grillé, parce que ça sentait si bon… Ravi de son coup. Pour le reste, il se montrait peu expansif, sauf dans son rire, énorme, en cascade. Mais c’était un angoissé, un pudique qui le cachait.»

La mère d’Iris est une émotive, sensible, imaginative

«Elle est petite, rase-motte et on l’entend de loin. Elle est drôle, caustique, fait preuve d’un redoutable humour noir et mes amis l’adorent. L’autre jour encore, une amie journaliste qui venait de faire sa connaissance m’a envoyé par texto: «Ta mère, je la kiffe!» Ça m’a beaucoup amusée!»

«Ma mère m’a appris le plaisir immense de la lecture, le goût de la cuisine, reprend la jeune femme. C’était une enseignante, mais pas une passeuse pour tout ce qui touche à l’épanouissement corporel, à la féminité. J’ai mis longtemps à m’accepter, à m’aimer. Chez nous, il n’y avait pas de minauderie. On n’avait par exemple pas droit aux Barbie. Alors je jouais aux petites voitures...»

Pour ce qui concernait la féminité, Iris a toutefois pu compter sur sa grand-mère. «C’était un personnage absolument central, essentiel. Même décédée, elle reste une icône dans le domaine pour l’ensemble de ma famille: ses six enfants, leurs conjoints, mes quinze cousins germains... dont un l’a tatouée sur lui en petit et en noir-blanc, c’est vous dire! Vive, gracieuse, ultraféminine et joueuse tricheuse, il paraît qu’aucun homme ne lui résistait. Tous les profs de ma mère étaient amoureux d’elle, mais elle a choisi mon grand-père, pas très beau, parce qu’il la faisait rire. Je crois qu’elle a été fidèle… Chez eux, on ne parlait pas de choses «impudiques». Quand ma mère a eu ses premières règles, elle a perdu le sommeil plusieurs nuits, dans l’angoisse de souffrir d’une maladie grave. Elle n’a rien dit, puis quand elle s’en est ouverte à ma grand-mère, celle-ci a eu pour seul commentaire: «Eh bien voilà, maintenant tu es une femme, ma fille!»

Dans l’enfance d’Iris aussi il y avait des sujets tabous. A commencer par le sexe, sauf pour plaisanter. «Je lisais 'Justine ou les malheurs de la vertu' de Sade aux toilettes. On ne se risquait pas non plus (pas plus qu’aujourd’hui) à parler de la Seconde Guerre mondiale. Ma mère bondit quand on lui dit que la France n’a pas gagné la guerre. A part ça, on discutait de tout. Littérature, politique, féminisme...»

La tête haute

Malgré tous ces rires, cet amour, cette complicité, vers ses 15 ans Iris traverse des moments de profond mal-être. «Je lisais beaucoup sur l’époque de l’Holocauste. J’étais dans une incompréhension totale. Je trouvais que la vie n’avait pas de sens. Et cela a pris de l’ampleur. Alors qu’à l’école primaire ma meilleure amie et moi alternions toujours les première et seconde places, j’ai arrêté le collège à la fin de la première année. Je vivais un grand trouble. Je souffrais des non-dits familiaux et j’étais fréquemment submergée par mes émotions. Après une période très sombre, heureusement, je suis tombée sur des personnes formidables qui m’en ont sortie. En particulier mon mari, rencontré lorsque j’avais 17 ans – nous sommes ensemble depuis plus de vingt ans.»

La jeune femme, qui a rattrapé sa scolarité en passant un bac libre avec mention, restait cependant timide, manquait de confiance en elle. C’est son mal-être qui a fini par déterminer ses choix professionnels: «J’ai suivi des cours de théâtre. Pas pour devenir comédienne, mais pour aller vers les autres, ce qui me coûtait, ou simplement pour me délier la langue. J’ai eu du plaisir à changer de voix. A imaginer des sketches sur répondeur. J’ai été engagée à Couleur 3 en 1996, puis on m’a proposé la météo à Léman Bleu. Cela m’a appris à m’accepter. J’ai fait mon nid, je me voyais comme une autre, et ça continue. Après un poste de speakerine à la TV romande, on m’a confié plein d’émissions de divertissement, j’ai fait un stage de journalisme au «Matin Dimanche» et, depuis trois ans, je produis et présente ‘La puce à l’oreille’».

En dépit de ses problèmes d’adolescente et de jeune adulte, Iris Jimenez a gardé la tête haute. Et cela elle le doit à ses parents, de qui elle se sent à la fois semblable et différente. «Mon père m’a transmis une fougue, de l’orgueil, ma mère une liberté de pensée et, tous les deux, l’engagement. Ils m’ont toujours dit d’être et de rester moi-même, un conseil que je tente d’appliquer.»

«Mes parents, je les vois à la fois vulnérables et pugnaces, résume-t-elle. Tous les matins, mon père partait au travail comme il serait parti à la guerre, comme s’il devait affronter le monde. Parfois il se mettait lui-même dans des situations embarrassantes. Face aux douaniers, par exemple, qu’il défiait pour le plaisir. Ma mère devait trouver des combines pour qu’on ne passe pas des heures à se faire fouiller. Elle allait jusqu’à laisser des couches sales dans le coffre…»

Mère à son tour de trois garçons de 10 ans, 7 ans et 8 mois, Iris n’a pas envie de reproduire avec eux le modèle parental. «Il y a la part importante qu’amène mon mari. Une grande liberté d’expression. Pour l’instant, ils me disent tout ce qu’ils ont sur le cœur. J’espère qu’ils ne cesseront jamais de le faire.»

Curriculum vitae

1975 Naissance le 26 juin à l’Hôpital de Nyon.

1991 Une fête surprise costumée, en juillet, pour les 50 ans de ma mère, concoctée par ma sœur et moi, réussie au-delà de toutes nos espérances. Mon père avait chanté ce jour-là un air de flamenco bouleversant.

2005 Mon mariage, parce que mon père était là. Et les années de naissance de mes trois fils, bien sûr.

Questions d’enfance

Odeur d’enfance Celles des dalles du patio de la maison familiale en Andalousie. La pierre minérale chauffée au soleil.

Mon jouet fétiche Kiki, une très vilaine peluche, et Gongon, une poupée aux cheveux noirs, sans bras ni jambes, avec juste une tête qui sortait d’une chaussette. Je dormais avec.

Mon bonbon favori Je ne suis pas du tout bonbons, ni sirop, éventuellement guimauve. En revanche, j’adore le chocolat noir. J’en mangeais jusqu’à deux plaques par semaine! Heureusement, je me suis un peu calmée.

Mon dessert enchanteur La crème brûlée, la vraie, catalane… A se taper la tête contre les murs. J’adore aussi l’île flottante avec la crème vanille faite maison.

Mon légume détesté La ratatouille, parce que les aubergines avaient un goût amer.

Mon premier amour Martin, prononcé à l’espagnole. J’avais 15 ans. Il m’a ouverte à la sensualité tout en me respectant.

Mes premières vacances Chaque été, on allait en Espagne, en Andalousie et à Madrid, voir mes grands-parents. J’adorais passer un mois là-bas. Pour moi, c’était le nirvana.

Un vêtement dont j’étais fière Aucun, en réalité. Ma mère s’intéressait très peu à la toilette et avait, disons, un goût très relatif en la matière. Qu’ils me plaisent ou non, qu’ils m’aillent ou non, j’héritais des habits de ma sœur et de mes cousines.

Mon héros préféré Enfant, je n’en avais pas. Mais à 17 ans, je suis tombée raide dingue de Daniel Day-Lewis. Je le suis toujours, mais à l’époque, si je l’avais rencontré quelque part, je l’aurais suivi au bout du monde.

Une phrase qu’on me répétait et qui m’agaçait De la part de mes parents, je ne m’en rappelle pas une en particulier. En revanche, qu’est-ce que j’ai pu entendre la question que posaient les gens à ma mère: «Et comment il s’appelle ce petit garçon?» Tout ça parce que j’avais les cheveux courts…

Catherine Leutenegger
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