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Arrête de regarder par la fenêtre!» La phrase court à l’encre rouge dans le carnet d’école de la petite Géraldine. Trente ans plus tard, celle qui aimait contempler les oiseaux depuis la salle de classe vole de ses propres ailes. Tête en l’air à l’époque, elle tutoie aujourd’hui les nuages. On la surnomme la femme choucas.

Le 7 juin 2014, sur le coup de midi, accompagnée du Neuchâtelois Julien Meyer, elle sautait du sommet du Cervin – en wingsuit, cette combinaison ailée. Altitude: 4478 mètres. Une première mondiale. «Tu es prêt, comme un pilote en train de décoller. Cinq... Quatre... Trois... Deux… Tu es concentré. Tu pousses avec le pied d’appel. Le gauche pour moi... Et tu voles!»

Les phrases sont courtes, comme le souffle lorsqu’il s’agit de gravir l’arête enneigée du Hörnli pendant près de huit heures. Les mots s’enchaînent à la vitesse du saut – 150 km/h pour une chute d’à peine quelques minutes. «Les trois premières secondes sont les plus intenses. C’est comme une éternité. Tu t’éloignes de la falaise. Tu commences à tomber. Les ailes se gonflent, tu es posé sur un coussin d’air... C’est un sentiment unique».

Le matin même, ils n’étaient pas certains de pouvoir sauter. «En montagne, il faut savoir renoncer. Si c’est dangereux, il faut redescendre. Ma maman m’a appris à être responsable.» Enseignement salvateur, vu les sports pratiqués par Géraldine Fasnacht, les limites qu’elle ne cesse de repousser dans une carrière semée d’exploits et de trophées, du freeride au base jump, du wingsuit aux glaciers, à la conquête desquels elle repartira le mois prochain, pour une expédition dans l’Antarctique…

La prudence maternelle s’est toujours doublée d’un tonus en or, où Géraldine a puisé l’élan et la confiance qui, seuls, rendent l’aventure possible. «Elle a toujours cru en moi, ne m’a jamais dit: «C’est impossible.» Plus jeune, par exemple, si je voulais sortir, elle ne m’en empêchait jamais. Mais il fallait que j’assume: «Tu peux sortir, disait-elle, mais tu gères.» Et le lendemain il fallait que je sois en forme.

Une maman complice

Cette mère soutenante avait tôt assumé les responsabilités familiales. Et pris une place essentielle dans l’équilibre de Géraldine. «Elle travaillait beaucoup. Je vivais seule avec elle. Du coup, à midi, je me faisais à manger. J’ai appris à me débrouiller. A la fin de la journée, je posais mon sac d’école et je partais à vélo ou j’allais construire des cabanes avec les copains. Je n’ai pas connu les jeux vidéo ni la télévision, j’étais tout le temps dehors. Mais le soir, ma maman était là, et elle vérifiait si j’avais fait mes leçons.»

Même sourire, même regard espiègle, même énergie: mère et fille se ressemblent. «Elle m’a toujours suivie, a toujours senti ce qui était important pour moi.» Une mère complice des jours heureux, présente dans les moments douloureux. Comme en août 2000, lorsque Grégory, le petit frère de Géraldine, perd la vie. «Il s’amusait avec Didier, son meilleur ami, quand une voiture les a fauchés. Mon frère n’a eu que huit ans sur cette terre, mais on a eu huit ans de bonheur ensemble. Il m’a donné tant d’amour que j’ai envie de le distribuer aux autres.»

C’est ainsi que Jacqueline, Géraldine et Lucien, ce beau-père qu’elle adore aussi mais dont elle parle moins, créent l’association Gregory Didier. L’objectif: venir en aide aux enfants orphelins et laissés-pour-compte. De Roumanie au départ, puis de Suisse. «On leur offre des vacances multisports à Yverdon. Tout le monde a droit à des moments de bonheur.»

D’où lui vient cet appétit des sommets qui l’a posée sur des skis à 2 ans et, six ans plus tard, sur le snowboard dont elle est devenue championne? «Probablement de ces balades dans la nature où ma maman nous entraînait: depuis, la montagne réussit toujours à me ressourcer.» Mais aussi de cet encouragement maternel: «Si ça ne marche pas la première fois, il y en a une deuxième, puis une troisième...» Si bien que, «quand je suis montée sur une planche pour la toute première fois, j’ai passé ma journée à tomber, à me relever et à tomber encore. C’est en pensant à maman que je n’ai pas lâché.»

Et c’est à l’âge de 16 ans que Géraldine se trouve placée à la croisée des chemins. A l’aéroport de Genève, un métier lui tend alors les bras. «Ma mère, qui dirige une école de langues, m’avait donné le goût du voyage. Elle m’a aussi inculqué le sens de la discipline: j’ai su très tôt qu’il fallait travailler, investir beaucoup de temps et d’énergie et surtout y croire pour réussir.» Son avenir semble tout tracé. Trop, peut-être. Car… «je «ridais» sur le glacier du Mont-Fort, à Verbier, quand un sponsor m’a remarquée. Tout s’est alors enchaîné, jusqu’au jour où on m’a proposé de participer à l’Xtreme de Verbier.»

«C’est ton rêve, lance-toi!»

Géraldine doit choisir. Prendre le temps de se préparer, en vraie professionnelle. Donc quitter son job... Nouvel envol. «Une fois de plus, ma mère a joué un rôle déterminant. Elle m’a dit: «Tu dois le faire. On ne vit pas avec des regrets. C’est ton rêve, lance-toi!» Géraldine sourit et poursuit: «Ma maman est intuitive. Elle fonctionne comme ça. Elle n’a pas froid aux yeux.»

La jeune snowboardeuse non plus. En mars 2002, elle s’élance depuis le sommet du Bec-des-Rosses. Elle caresse la poudreuse, franchit les barres de rocher. D’un geste sûr, d’un trait rapide, elle dessine des courbes sur la toile blanche. Dans la foule, tous retiennent leur souffle. Y compris son père. «Tout comme ma mère, mon père est directeur d’entreprise. Il a dû monter sa boîte. Il s’est fait tout seul. Il ne lâche rien. Il a un caractère bien trempé. J’ai aussi le mien.»

Ce jour-là, il fallait en avoir un solide pour remporter l’Xtreme de Verbier! Et s’inscrire ainsi comme la plus jeune gagnante de tous les temps.

Pour celle qui n’imagine pas travailler dans un bureau, les portes s’ouvrent alors sur le monde. Les voyages. Le grand air. Mais pas l’évasion. «Je devais faire des résultats. La compétition n’est pas une échappatoire.» Elle connaît l’ingrat système du succès. Alors elle crée Mountain Line Foundation, destinée à soutenir de jeunes talents dans les sports alternatifs tels que le snowboard ou le freeride.

Le goût du risque? «Non, celui de la liberté.» Elle découvre le base jump, un dérivé du parachutisme. Elle saute d’un pont, d’une falaise. Elle vole, Géraldine. Et elle connaît le bonheur avec le guide de montagne valaisan Sébastien Gay, qui deviendra son mari. «Il voulait toujours faire plein de choses, partir en montagne, profiter de chaque instant. C’était comme s’il savait que le temps lui était compté.»

Si précieuse, la vie

Un jour, le 30 décembre 2006, tout s’arrête. Sébastien Gay trouve la mort en montagne. Il faudra beaucoup à Géraldine pour réapprendre à vivre, pour récupérer le droit d’être heureuse. «Sébastien et mon petit frère sont aujourd’hui sur le plus haut sommet du monde. Ils m’ont permis de réaliser à quel point la vie est éphémère, précieuse. Raison pour en profiter à fond.»

Ils sont nombreux les enfants qui, la nuit, prennent leur envol. Au fil des années, ils perdent souvent leurs rêves. Géraldine Fasnacht, elle, les a conservés. Mieux: elle les a réalisés. «Même si, enfant, beaucoup de choses restaient dans le domaine du rêve, ma maman ne m’a jamais montré que je pouvais me tromper. C’est comme cela que je suis devenue plus forte.»

Curriculum Vitae

  • 1980 Naissance le 18 juin à Lausanne. Puis Géraldine grandit à Poliez-le-Grand (VD).
  • 2002 Victoire à l’Xtreme de Verbier. «Je rêvais d’y prendre part. Jamais je n’aurais pensé gagner.» Elle réitérera l’exploit deux fois.
  • 2014 Première mondiale. Avec le Neuchâtelois Julien Meyer, elle saute en wingsuit depuis le sommet du Cervin.

Questions décalées

Un parfum d’enfance Les odeurs d’un village paysan, Poliez-le-Grand (VD). Celles du bois, des arbres, de la ferme, des champs de blé où je me couchais et regardais passer les nuages.

Mon jouet fétiche Ma wingsuit, mon parachute et mon snowboard. Au fait, il s’agissait de jouets de mon enfance? Peu importe. Je suis une grande enfant, que je n’ai juste pas envie de grandir.

La phrase que l’on me répétait et qui m’agaçait «Assieds-toi!» ou «arrête de regarder dehors!». On me l’a même écrit en rouge dans mes cahiers d’école.

Mon légume détestéJ’ai toujours adoré les légumes. Celui qui m’a le moins inspirée, c’est le fenouil.

Mon bonbon préféré Je n’ai jamais tellement aimé les bonbons. Je suis fan de chocolat, en revanche. Aujourd’hui, j’adore, les cakes au chocolat de Benoît Violier et sa brigade: ils ont le goût de l’enfance.

Les premières vacances
A Verbier, été comme hiver, pour marcher et faire du ski. A Minorque un peu plus tard, cette île paradisiaque où on allait en famille. Une maison accrochée à la falaise, de petites criques: c’était trop beau.

Les vêtements dont j’étais fière J’avais une robe de princesse. Et une superbelle robe que ma mère m’avait offerte pour le carnaval: une tenue de danseuse espagnole, rouge et blanc. Mais j’adorais aussi ma salopette à tout faire, celle avec laquelle je pouvais aller traîner dans la nature.

Le héros qui m’a fait rêver «Le Petit Prince» de Saint-Exupéry. Et Atreyu dans «L’histoire sans fin». J’ai dû regarder ce film une centaine de fois. J’aimais l’idée de ce petit garçon qui part sauver le monde de Fantasia. Son défi: croire suffisamment en lui pour passer les épreuves et franchir la porte de verre. Il traversera les marécages, franchira les sables mouvants avant de s’envoler sur Falcor, un chien dragon porte-bonheur…

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